Méditer, un vrai soutien pendant la pandémie

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De passage à Bordeaux il y a huit ans, Lucie a découvert le livre de la psychothérapeute Jeanne Siaud-Facchin, qu’elle connaissait : Comment la méditation a changé ma vie… et pourrait bien changer la vôtre ! (Odile Jacob, 2012). Elle l’a lu, et d’autres aussi, et la prophétie s’est réalisée. À 55 ans, cette kinésithérapeute en long congé a désormais besoin de sa séance quotidienne de 40 minutes. « Je m’arrête parfois pendant un mois, mais après je dois reprendre : je ne peux plus m’en passer, dit-elle. La méditation me rend plus consciente, et je suis moins engloutie par le tourbillon. »


Matthieu Ricard : “Le bonheur en cinq points et trois semaines, cela n’existe pas”


Quand elle médite, elle a besoin d’être guidée, soit par sa professeure de yoga, en petit groupe, soit chez elle par des CD. Depuis deux ans, elle est abonnée à l’application Petit Bambou. Elle aime ses programmes variés, les voix du psychiatre Christophe André ou de Mathilde Farcy-Mossard, apaisantes. Les exercices de cohérence cardiaque lui apportent moins que la méditation, qui l’amène « à respirer lentement, fait baisser la pression et (l’)aide à progresser dans le lâcher-prise ». Pendant le confinement, elle l’a pratiquée le matin, le coeur plutôt léger malgré le contexte. Sur son profil, Petit Bambou a compté 165 séances et 44 heures de pratique ! Quand elle est moins assidue, des messages l’incitent à « s’accorder un moment à soi », et Lucie apprécie leur ton bienveillant : « Vous nous manquez ! »


Une explosion de connexions


La méditation a la cote. Avec la crise sanitaire, l’engouement, évident depuis cinq ans, explose. L’obligation de rester chez soi a poussé les confinés à se tourner vers leur intériorité. Reclus, moins soumis aux sollicitations, les Français, citadins et ruraux, se sont passionnés pour cette activité censée équilibrer leur mental, antidote à l’angoisse liée à la pandémie. Notamment – paradoxe – via leur Smartphone ! Créée en 2014 par Ludovic Dujardin et Benjamin Blasco, l’application Petit Bambou, qui promet gestion du stress et meilleur sommeil, séduit en masse. « Le succès de notre application s’est accéléré pendant le confinement. Il y a d’abord eu de la sidération. Mais, très vite, nous sommes passés de 5000 utilisateurs par jour à 15.000 : 5,3 millions de personnes sont inscrites sur notre site, contre 2 millions en 2018. Nous avons triplé le nombre de séances quotidiennes en ligne, y compris gratuites. Notre rendez-vous mensuel en Facebook live est devenu quotidien, avec 50.000 connexions ! », expose Benjamin Blasco, un polytechnicien au départ « hyperstressé », selon son acolyte.


Le patron de la start-up dit aimer un métier « qui a du sens ». « On a perçu une grande détresse psychologique », note-t-il. Les usagers ? Des hommes surtout, et beaucoup de débutants, désemparés par le confinement. Sur le site, les messages de remerciement foisonnent. Tel celui de Daniel, 72 ans, devenu accro, lui qui s’est « pourtant toujours fui, bien loin du “ici et maintenant” ». « C’est le moment où jamais de s’y mettre ! », s’exclame Frédéric Lenoir, dans une vidéo d’Émergences. Créée en 2014, l’association d’Ilios Kotsou, forte de 40 instructeurs, a aussi multiplié les rendez-vous de méditation en ligne, séances de groupe ou dialogue entre Ilios Kotsou et des sommités de la discipline, de Fabrice Midal à Marie de Hennezel.


Le désir de connaissance de soi est ancien : en Grèce, il y a 2000 ans, Socrate professait déjà “Connais-toi toi-même”.

– Caroline Lesire, instructrice de méditation


Dans sa maison bruxelloise, un havre avec jardin partagé avec sa fillette et sa femme, Caroline Lesire, instructrice de méditation, le docteur en psychologie nous explique cet essor, plus net depuis le Covid-19. « En Occident, la question du bien-être préoccupe. La méditation, sans être la panacée, apporte une réponse. Dans une société où tout va vite, où l’on souffre de solitude, elle correspond à un besoin de revenir à sa vie intérieure, de se reconnecter à son soi profond. La pandémie a fait prendre conscience de sa vulnérabilité dans un contexte mondialisé. Mais la crise est propice à l’apprentissage. Et le désir de connaissance de soi est ancien : en Grèce, il y a 2000 ans, Socrate professait déjà “Connais-toi toi-même”. » À chacun de retrouver sa sensibilité, sans succomber à la « tyrannie des émotions », formule chère à Ilios Kotsou, 47 ans, qui a perdu ses parents (une mère allemande et un père grec) très jeune. Dans quel but ? Pour être plus apaisé. Moins prisonnier de ses automatismes. Plus lucide, plus créatif, plus engagé. « Les gens heureux sont plus généreux », estime-t-il. Émergences ne finance-t-elle pas, à hauteur de 80.000€ par an, des cours de méditation en prison, le Samu social belge et Karuna-Shechen, l’association humanitaire népalaise de Matthieu Ricard, son parrain ?


Une science de la patience et de la répétition


Mais pourquoi le goût pour la méditation devient-il si contagieux ? On dit pourtant que cette science contemplative, désignée par le mot gom (« se familiariser ») en tibétain ou bhâvana (« cultiver l’attention ») en sanskrit, nécessite patience et répétition. Car comment s’y prend-on ? Méditer, c’est porter attention au va-et-vient de son souffle. Mieux habiter sa vie et l’instant présent. Cultiver la sérénité. Accepter de se frotter à ses difficultés. Le titre de l’article du Monde paru pendant la crise a fait grincer les connaisseurs : « Méditation, la grande évasion ». « Il induit une idée fausse : c’est plutôt chiant de méditer, ce n’est pas une distraction », réfute Fabrice Midal.


« La méditation ne pousse pas à s’évader du monde, mais à mieux l’accueillir dans sa réalité », énonce Christophe André, pour lequel nous sommes tous « des intermittents du bonheur ». Même des députés, à l’initiative du Breton Gaël Le Bohec (La République en marche), s’y adonnent par cycles, à distance pendant le confinement, et sur leurs deniers. Niche porteuse, le secteur devient concurrentiel. Or, le succès des applications mobiles, de Petit Bambou à Mind en passant par l’américain Headspace, fait l’objet de critiques ! Comme si, pour les puristes et les gardiens du temple, celles-ci avaient à voir avec une mode new age ou un business bobo… Créateur de l’École occidentale de méditation, Fabrice Midal, auteur de livres à succès tel Foutez-vous la paix ! Et commencez à vivre (Flammarion, 2017), redoute une vision trop utilitariste de la discipline ou une perte de profondeur.


« On fait le vide dans sa tête comme on vide son ordinateur, pour être plus efficace et ne plus avoir d’état d’âme. On veut gérer son capital bonheur comme un compte en banque (…) Il faut en réalité se laisser toucher par la crise pour transformer sa peur en compassion », estime le philosophe, qui propose aussi des séances de méditation sur la Toile, depuis que la pandémie a banni le « présentiel ». En mai, il a donné des cours en ligne sur les sources chrétiennes de la méditation qui ont rencontré un public : 300 auditeurs par séance ! Selon lui, approcher son chagrin apaise. « Méditer, c’est toucher à quelque chose de plus profond. Pour les chrétiens, la présence de Dieu en soi », note-t-il.


S’initier ou renforcer sa pratique


À chacun sa voie pour progresser. Certains ont saisi l’occasion de la crise pour s’initier. D’autres, hier pionniers, ont renforcé leur pratique. Cadre bancaire sous pression, Éric est devenu enseignant quand il a frôlé le burn-out, il y a 20 ans. La méditation a accompagné son changement de vie. Récemment, la pandémie lui a donné l’occasion d’approfondir sa pratique. À 67 ans, formateur en anglais en Île-de-France, il s’impose chaque jour une séance de 15 à 40 minutes, en suivant sur CD les leçons de Christophe André, Jon Kabat-Zinn ou Thich Nhat Hanh. « Avant, même si je savais que c’était bon pour moi, je remettais parfois au lendemain. Avec le confinement puis le télétravail, le temps gagné sur les transports, je n’y déroge plus. Les résultats me motivent. Car méditer me déstresse. Cela m’aide à prendre du recul et à mieux me connaître, à être plus conscient, à éviter que des problèmes deviennent envahissants. La méditation développe la jubilation et l’altruisme », analyse-t-il.


Méditer me déstresse. Cela m’aide à prendre du recul.

– Éric


En disciple de Matthieu Ricard, Éric, bénévole aux Restaurants du coeur, ne s’en vante pas mais distribue chaque dimanche soir des repas aux démunis. Son épouse, Rose, pratique aussi désormais. Sans doute convaincue des bienfaits de la méthode grâce aux résultats observés sur son mari. « S’il y a un business, c’est qu’il existe une attente réelle », note-t-il. Photographe doué et bienveillant, Christophe Boisvieux entretient aussi un rapport ancien à la méditation. Il pratique quotidiennement depuis 30 ans, car la discipline nourrit son désir profond de spiritualité, lui qui a perdu sa mère jeune. Parce qu’il a eu la chance de goûter au grand frisson nommé kundalini (de kundala, « boucle d’oreille, bracelet, entouré en spirale » en sanskrit), qui remonte depuis le sacrum par la colonne vertébrale, il sait que méditation peut rimer avec mystère et qualité de présence exceptionnelle.


Mais, le plus souvent, « il ne se passe rien ». Pas d’état de conscience modifiée ! « Au début, j’avais l’impression de perdre mon temps », avoue-t-il. Longtemps installé à Paris, il vit depuis peu dans sa maison familiale du Tarn. Un cadre rural approprié où méditer une demi-heure avec un minuteur qui, sur son téléphone, indique par un gong début et fin de séance. « Les chants d’oiseaux me ramènent à moi-même. Des douleurs au dos m’empêchent de m’asseoir par terre en lotus, la position royale, alors je reste sur une chaise. La crise n’a rien changé à ma pratique. Je médite le matin, et ce moment colore et ordonne ma journée. La méditation est un outil précieux pour prendre de la distance par rapport aux émotions, cela aide à mieux les accueillir. Mais, parfois, cela ne marche pas ! », se moque-t-il.


Un bar à méditation


L’injonction au bien-être tient parfois du vœu pieux. La méditation a beau être « une science de l’esprit vieille de plus de 2 500 ans », née avec l’hindouisme puis le bouddhisme, elle ne va pas de soi. « Tout le malheur des hommes vient de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre », énonçait le philosophe Pascal au XVIIe siècle. Le confinement a pu susciter des angoisses et réactiver des maladies psychiatriques. Or, la méditation est déconseillée pour les gens très déprimés, schizophrènes ou en état de stress posttraumatique, car elle peut précipiter l’épisode dépressif, le délire, le trouble dissociatif. « Ces techniques augmentent parfois la vulnérabilité », met en garde la psychiatre Yasmine Liénard, qui dit par ailleurs beaucoup de bien de la méditation comme mode de soins psychiatriques.


À la Maison de l’inspir, la méditation se vit à la campagne


En 2017, sa consœur Christine Barois a créé à Paris un bar à méditation. Pour offrir aux cadres stressés une pause relaxante. Mais l’expérience a échoué. Peut-être faudra-t-il la renouveler, maintenant que la crise a révélé une demande plus forte. « La méditation n’est pas une mode, elle va durer, comme le yoga s’est enraciné. Je médite moi-même tous les matins une demi-heure depuis 15 ans, parce que cela fait un bien fou. On domestique son esprit. On choisit ses combats quand il a acquis plus de clarté », dit la praticienne. Auteure de Pas besoin d’être tibétain pour méditer (Solar, 2014), elle anime sur Zoom des séances en petits groupes, « On cherche un bonheur idéalisé, une vie sans souffrance, des émotions seulement positives », explique encore Ilios Kotsou, qui « pleure plus facilement » depuis qu’il pratique. Son association Émergences initie aussi en huit semaines à la technique la plus rodée, qui suit un protocole précis : la pleine conscience.


Le programme MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction, réduction du stress basée sur la pleine conscience), créé en 1979 par le biologiste Jon Kabat-Zinn à l’université du Massachusetts, mêle traditions orientales et science occidentale. Un entraînement intensif, pour répondre plus efficacement au stress, à la douleur et à la maladie. Méditant depuis 10 ans, Ilios Kotsou espère que la vogue « participe d’un changement de culture ». Plus qu’une gym cérébrale, elle propose « une autre manière de vivre » avec sagesse, interdépendance et compassion, buts de tout pratiquant authentique. « En période de crise, la méditation acquiert un sens plus profond », note encore Fabrice Midal, pour qui « méditer, c’est aller à la rencontre d’une altérité en soi », en ayant à coeur une dimension éthique. Méditer pour se changer et changer le monde.


Emmanuel Pierrat, l’avocat qui pratique en laïc

Hyperactif toujours sur la brèche, Me Emmanuel Pierrat a appris la méditation en Inde il y a 20 ans avec un maître de yoga. Depuis, il a pris l’habitude de méditer le matin, comme « une hygiène de vie », après avoir regardé ses dossiers du jour pour s’organiser. Durant le confinement, il a continué de se rendre à son cabinet. Sa séance quotidienne de 20 minutes, dans son appartement parisien, lui est devenue « vraiment indispensable ». « Même avec un esprit cartésien, la situation était anxiogène, confie-t-il. Plus que d’habitude, méditer m’a aidé à préparer des journées complexes : il fallait travailler avec des gens inquiets pour leur vie. Dans nos existences tourbillonnantes où le temps s’accélère, la méditation permet de ralentir… peut-être pour mieux absorber la vitesse qui suit. » Mais pas question pour cet homme fâché avec la religion, qui a publié en juin Je crois en l’athéisme (Cerf), d’y accorder un sens spirituel : « Je n’ai pas quitté l’Église catholique pour rejoindre le bouddhisme : méditer pour moi, c’est une pratique laïque. »


Anne Filippuci, l’enseignante déjà accro

Dans sa maison de Seine-et-Marne, Anne Filippuci, 51 ans, professeure des écoles, a profité du confinement pour s’initier. Entrée dans un groupe Whatsapp grâce à une amie, elle a suivi un programme pendant 21 jours : réflexion sur un thème, la prospérité, puis séance matinale d’une vingtaine de minutes, dans une position confortable. En répétant un mantra si besoin, quand « l’esprit était parasité par des pensées », ou en fixant une bougie, à l’écoute d’une voix masculine, traduite de l’anglais. Mais sans adhérer au contenu « plutôt mystique » des messages. « C’est difficile de ne penser à rien, de se concentrer seulement sur sa respiration et ses sensations corporelles », dit-elle. Elle y a pris goût. Depuis, chaque jour, sans horaires fixes, Anne Filippuci médite sur son canapé ou dans son potager. Elle constate les effets bénéfiques : mise à distance, pensées positives, meilleure gestion de ses émotions. Elle se sent moins dans la confusion face à des situations compliquées, « plus lucide ». Elle sait maintenant que le travail, qui « prend tant de place », n’est pas la priorité !


Des bienfaits reconnus par la science

La pratique séduit aussi parce que, depuis 20 ans, ses effets sont validés scientifiquement. On sait, notamment grâce aux expériences menées sur le cerveau de Matthieu Ricard, que la méditation, de plus en plus utilisée à l’hôpital, modifie le fonctionnement et la structure du cerveau. C’est la neuroplasticité : le cerveau change grâce à l’expérience vécue. Le dalaï-lama s’est toujours montré favorable à ces études, initiées avec l’institut Mind and Life de Francisco Varela. La méditation active des zones qui commandent l’attention, les émotions, la présence au monde. Grâce aux IRM, on remarque une augmentation des ondes gamma, qui boostent les communications neuronales. Le tissu préfrontal du cortex cérébral gauche s’épaissit. Mieux, les phénomènes inflammatoires et le vieillissement cellulaire ralentissent avec la pratique. En France, des laboratoires de recherche mènent des études poussées sur les effets positifs de la méditation. Notamment à Caen et à Lyon, où des équipes de l’Inserm, dont le chercheur en neurosciences cognitives Antoine Lutz, travaillent sur le ralentissement du vieillissement, ou à Strasbourg, sur une moindre récidive du cancer du sein.