“Mes beaux-parents nous mettent la pression pour avoir des enfants“

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« Je ne sais plus trop comment m’y prendre avec mes beaux-parents. Nous avons de bonnes relations mais depuis quelques temps, je sens comme une forme d’intrusion dans notre couple. Tout est parti de notre choix de vie et de leur forte envie de devenir grands-parents. Ceci est une situation inconfortable dans notre couple… Cela fera plusieurs années que nous sommes ensemble, avec 5 ans de vie commune. En effet, lorsque nous nous sommes mis en couple au lycée, nous savions déjà que notre relation serait sérieuse. De mon côté, mes parents sont divorcés et viennent d’un pays outre-mer. J’ai beaucoup de frères et sœurs. Nous entretenons des liens très forts. Mes parents, quels que soit leurs différends, m’ont toujours poussé à faire des études, à être indépendante et me poussent à partir de la région, voire du pays comme ils l’ont fait, si je dois trouver du travail. Du côté de mon ami, la séparation pour faire des études a été un peu plus compliquée. Il faut savoir que c’est le seul de sa famille à vouloir faire des études… D’ailleurs, il en a un peu souffert car il y a eu des discussions houleuses à ce sujet. Beaucoup d’incompréhension de leur part sur son envie de partir du cocon familial.

Lorsque j’ai eu mon baccalauréat, nous avions proposé à nos parents respectifs de vivre en « colocation » tous les deux, puisque nous allions étudier dans la même ville. Au final, cela s’est fait très naturellement. Bien que nous soyons jeunes, nous savions très bien ce que l’on voulait pour nous et notre couple. Vivre en couple nous a permis de traverser les moments difficiles vis-à-vis de nos études ensemble, et travailleurs comme nous sommes, nous nous sommes dit que nous ferions un sacrifice de quelques années pour atteindre nos objectifs. A ce moment-là tout va bien pour nous deux, il y a quelques réflexions des beaux-parents, mais nous n’y prêtons pas attention.

En effet, au tout début, on ne prêtait pas trop attention à notre petite vie. Contrairement à son frère aîné, on ne nous offrait pas de “smart box” pour partir en vacances alors que l’on savait que nous n’en prenions jamais. Cependant, depuis que celui-ci s’est séparé de sa compagne on dirait que l’espoir de devenir grands-parents s’est projeté sur nous. Il est vrai que notre couple devient sérieux. Et pour le moment, nous ne sentons pas l’envie de fonder une famille juste après la fin de nos études… Pour le moment nous souhaitons pourtant profiter de la vie, de notre couple.

Aujourd’hui, notre rythme de vie s’est intensifié. Mon ami est sur sa dernière année d’étude et a potentiellement trouvé du travail à l’étranger. De mon côté, je l’ai toujours poussé, comme il a fait pour moi, à dépasser ses limites. Malheureusement ses parents l’ont mal pris. “Pourquoi partir d’ici ? Tu peux trouver un travail moins prestigieux et rester. Quand vous aurez des enfants, ceux-ci n’auront pas leurs grands-parents à côté et donc pas de repères.” Au début, ce sont des plaisanteries, mais à force de nous le rabâcher, j’ai envie de leur dire stop…  

De mon côté, je ne leur réponds jamais car sur le moment, je suis outrée que je ne sais pas quoi dire. Et par respect, je me tais…Cependant, leur envie d’être grands-parents, surtout pour ma belle-mère, se fait de plus en plus forte. Mon ami n’y prête plus attention car, de toute façon, il veut partir. En revanche, de mon côté je le prends très mal vis-à-vis de ses parents car je sens comme une forme d’intrusion, mes propres parents ne réagissent même pas de cette manière… Plus ils m’en parlent, moins j’ai envie de fonder une famille, car j’ai peur qu’ils nous sautent dessus. J’ai envie qu’ils comprennent que nous sommes grands, que nous faisons les choix à deux et non à quatre. Nous n’avons pas besoin de leur approbation pour avancer mais seulement qu’ils acceptent et nous laissent le temps de nous construire… 

Comment faire pour poser ses limites sans offenser les uns et les autres ? Comment s’imposer en tant que femme et homme car nous ne sommes plus des adolescents ? Et surtout, pourquoi cette forte envie de devenir grands-parents alors que nous-mêmes ne voulions pas devenir parents pour le moment ? Et pourquoi le projeter sur nous ?

Je vous remercie d’avoir pris le temps de me lire, je souhaite à tout prix éviter les conflits mais lorsque trop de réflexions s’accumulent, j’ai tendance à exploser jusqu’à couper les ponts… et c’est surtout ce que je souhaiterais éviter. »


La réponse de Jacques Arènes :


J’ai coupé une partie de votre lettre, pour vous conserver une part d’anonymat, et celle-ci égrène divers exemples de la manière dont vous ressentez vos beaux-parents comme cherchant à vous instrumentaliser, aux profits de leurs propres désirs. Parce qu’en fait, il ne s’agit pas de votre désir, mais du leur. En tous cas, vous le percevez comme cela. Vous le ressentez d’ailleurs plus crument que votre ami, qui a l’air de prendre quelque distance vis-à-vis de la situation.


En fait, votre lettre est un mixte d’un vœu affirmé d’indépendance et d’une forme curieuse de dépendance, vis-à-vis de ce qu’on vous dit, des « réflexions » qui vous sont adressées, selon votre expression. Leur attente est « trop ». Et elle est d’autant plus exacerbée que vous avez pris de la distance, votre ami et vous, ne serait-ce qu’en pilotant avec une grande volonté tous les deux le bateau de vos études, qui sont importantes pour l’un et pour l’autre.


Votre vie commune, telle qu’elle s’est déployée, échappe en quelque sorte à leur « système ». Vous n’avez pas « besoin » d’eux, et ils vous l’ont fait payer. En avantageant financièrement, par exemple, tel frère plus proche d’eux. Il n’est pas rare que des avantages indument accordés à un membre d’une fratrie soit aussi un fil à la patte, payé au prix fort par une forme de dépendance. Cela n’est pas votre cas, et vous leur échappez, mais, en même temps, vous constituez actuellement leur seul espoir de petits enfants. Cet espoir détient une telle force qu’il sera difficile d’éviter leurs « réflexions » si vous continuez à les voir. La pression affective va donc continuer, directement ou indirectement.


Il s’agit donc de leur dire clairement que vous n’en êtes pas à ce moment-là de votre vie, en leur demandant de ne pas insister. C’est cela ne plus être adolescent : affirmer votre propre position, non pas comme une revendication, mais comme une réalité à laquelle ils doivent s’habituer. Ce serait encore mieux que cette position soit soutenue à deux, pour lui donner plus de force, si les remarques désagréables envers vous se poursuivent.


Il y a aussi quelque chose que vous devez élucider : vous expérimentez une situation « étrange » dans laquelle vous demeurez géographiquement loin de votre famille d’origine, pourtant si proche affectivement, alors que vous êtes en proximité « physique » avec la famille de votre ami, tout en tentant de vous préserver d’elle. Il est difficile ainsi de trouver un équilibre. Je vous pose alors une question plus personnelle : qu’en est-il quand vous sortez du « nous » ? Quand vous relatez votre trajectoire, ce « nous » est constant. « Nous sommes grands », « nous faisons les choix à deux », qu’ils « nous laissent le temps de nous construire », etc. Ce « nous » est heureux et cohérent. Vous vous êtes battus tous les deux pour avancer. Votre couple est, en quelque sorte, aussi une famille ; il constitue un refuge et une ressource. Et cela vous a été utile, si loin de vos parents, qui n’ont pas pu, quant à eux, faire couple jusqu’au bout.


Quittez cependant un peu le « nous », pour connaître votre propre désir. Notamment votre désir d’enfant ; qui n’est sans doute pas, comme vous l’affirmez, aujourd’hui réel. Écoutez cependant ce que vous vous racontez à vous-même, en dehors du bruit fait par votre belle-mère d’un côté, et en dehors de cette nécessité de « construire » votre existence, d’un autre côté. Vous avez mobilisé pas mal de courage dans le passé, et vous voulez maintenant profiter de la vie. C’est tout à fait respectable. Même si ce n’est pas le moment, laissez-vous aller à rêver à comment cela sera quand vous aurez envie d’un enfant, dans un futur plus ou moins proche. Où vous aimeriez alors vivre, et auprès de qui ?


En pensant à tout cela, il est possible que vos parents vous manquent. Votre « nous » très solide, vous l’avez aussi édifié pour faire face à ce côté étrange de votre vie commune avec, du côté de la famille de votre ami, ce « trop » de pression, alors que, du côté de votre famille d’origine, vous avez un goût de trop peu… Cette « étrangeté » qu’il a fallu affronter, a suscité le côté déjà très adulte de votre couple, mais elle a aussi généré ce parfum de manque avec lequel vous aurez à cheminer…