Semblables et différents : l’énigme des frères et sœurs

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Entre frères et sœurs, le jeu des ressemblances et des différences intrigue, fascine, déconcerte. Pourquoi telle fratrie ne compte-t-elle que des enfants brillants ? Pourquoi, dans telle autre, cet enfant se démarquera-t-il par son originalité : un don, un parcours de vie qui tranchent avec les traditions du « clan » ; ou des difficultés qu’aucun de ses frères et sœurs n’a semblé rencontrer ?


Et l’on s’interroge. Quelles sont ici les parts respectives de l’héritage génétique et du vécu personnel – qui, on le sait, peut varier d’un enfant à l’autre au sein d’une même famille ? Question rebattue, en vérité. Elle renvoie à cet éternel débat : quelle est la part de l’inné et de l’acquis, des gènes et de l’environnement, dans ce qui façonne tout individu ? Vouloir résoudre cette question, c’est un peu vouloir comprendre ce qui, du fil de trame ou du fil de chaîne, crée le tissu ; ce qui, de la graine…

La fondue de l’abbé Saint-Genis

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J’avais 15 ans et je ne savais pas qu’il fallait faire bouillir de l’eau pour cuire des pâtes. On mangeait bien, pourtant, à la maison. Ma mère préparait des civets de lièvre et des gratins dauphinois qu’elle glissait dans le four avant de partir travailler. Le mercredi en fin de matinée, quand le thermostat se déclenchait en vue du repas de midi, je levais à peine un œil sur le plat soudain éclairé. Quant à mon père, il excellait dans la production de pâte de coing et d’escargots. Il les ramassait, les faisait jeûner puis bouillir dans la cave. J’entends encore crépiter le beurre persillé dans de minuscules pots de terre vernissée. Mais nul n’est prophète en son pays et surtout pas avec ses enfants. Il m’a fallu un détour par le large avant de faire mien l’héritage culinaire familial.


En pleine anorexie


J’avais 15 ans et j’étais en pleine anorexie quand j’ai poussé la porte de la chapelle dite « du lycée » à Belley, dans l’Ain, la petite ville où j’ai grandi. Elle abritait l’aumônerie de l’enseignement public, mais j’ignorais tout alors des cadres et des structures. Je voulais faire de la philo et cherchais quelqu’un pour apaiser ma faim. J’aurais pu frapper à la porte d’une secte, j’ai toqué à celle de l’Église catholique. Une chance. Pour mon jeune esprit… et pour mon palais, comme on va le voir.


Jean-Claude Saint-Genis, druide vigoureux, chemise de bûcheron par-dessus le pantalon, fin collier de barbe, crâne lisse, enjambait des cartons d’où émergeaient un camping-gaz, des Cocotte-Minute et des cafetières italiennes. L’aumônier, qui était aussi curé d’un village voisin, venait d’accompagner un groupe à Rome et rangeait son matériel de cuisine. « De la philo ? On commence la semaine prochaine. Reviens avec des copains. » C’est ainsi qu’a débuté notre amitié, un jour de 1981. Elle s’est achevée à sa mort, il y a deux ans. Elle m’a sortie peu à peu de mon obsession pour les calories et du vertigineux sentiment de puissance que procure l’anorexie. Nous avons fait de la philo, lu la Bible et les Évangiles, observé les étoiles, fouillé les racines des mots, marché autour du mont Blanc, chanté assis par terre à Taizé, visité Paris pour la première fois.


Nourritures terrestres


Durant toutes nos virées, le repas, lieu de la transmission, tenait une place centrale. Sur les places de Berlin, Amsterdam, Ravenne, Naples, devant la cathédrale de Chartres et celle d’Orvieto, nous sortions le réchaud à gaz de son Combi Volkswagen et faisions revenir des oignons. Soupe à l’ortie, spaghettis à la tridentine (au lard et aux noix), osso-buco, vermicelles dorés à la savoyarde : déployer son savoir-faire culinaire dans les lieux les plus inattendus était une forme de respect de soi et de célébration du bonheur de vivre. Il fallait couper le pain avec dignité, tenir la couronne à bras-le-corps, tailler les tranches d’un geste large, rond, lent, précis. Nous possédions tous, gravé à nos initiales, un élégant couteau italien au manche en buis, fabriqué à la main par un artisan dans une vallée lombarde. Paolo ­Annovazzi, toute une histoire !


Jean-Claude Saint-Genis dynamitait les conventions de notre milieu rural en se pointant sans prévenir à l’heure du dîner, à une époque beaucoup moins spontanée qu’aujourd’hui. Il apportait chez les uns les terrines ou tomates du jardin offertes par les autres. Non sans citer au passage ­Matthieu, chapitre 10 : « Ce que vous avez reçu gratuitement, donnez-le gratuitement. » Il évangélisait par les nourritures terrestres, élargissant les tablées et les cœurs.


Parmi ses grands classiques, la fondue savoyarde, décrétée fondue bugiste parce qu’on la mouillait au vin du Bugey. Sa 2 CV sentait très fort le comté. Des générations de Belleysans se souviennent de ses fondues sous les tilleuls devant le presbytère, au crépuscule. On mangeait debout en tournant autour du réchaud, en file disciplinée. Il fallait respecter le rituel sous peine d’encaisser une remarque un peu sèche : enfoncer la fourchette sur la tranche du morceau, à la fois dans la croûte et dans la mie, la plonger en accomplissant une torsion au fond du caquelon pour en ressortir une bouchée parfaite.


Quand je lui ai annoncé que j’allais épouser un musulman qui ne boirait jamais une goutte de chardonnay, mon ami prêtre a essayé de m’en dissuader. Il a boudé plusieurs mois puis, de guerre lasse, a mis au point une version sans alcool de la fondue dont je vous offre la recette. Légère, étonnante, simplissima ! Sûr que vous allez l’adopter et la partager avec vos amis, que vous soyez cinq ou bien cinquante.

La fondue de l?abbé Saint-Genis
© Gérard Dubois pour La Vie



La recette :



Ingrédients et préparation, pour 10 personnes :

Une recette de fondue savoyarde où le vin blanc est tout simplement remplacé par du jus de tomate.

Un caquelon ou une cocotte de fonte. Une cocotte en inox fait aussi bien l’affaire.

Un réchaud à alcool, à gaz ou une plaque électrique, à poser sur la table.

150 g de fromage par convive. Râpez-le ou coupez-le en fines lamelles. Le mieux est de mélanger les variétés : une dominante de comté, mais aussi de l’abondance, du beaufort, de l’appenzell.

L’emmental donne peu de goût, mais fait des fils, ce qui peut être amusant.

Un litre de jus de tomate (au rayon jus de fruits).

Deux gousses d’ail, deux noix de beurre.

Du pain de la veille. Coupez-le en dés de 3x3cm environ, chaque morceau devant comporter une surface de croûte.

Faites revenir rapidement l’ail écrasé dans une noix de beurre, ajoutez le jus de tomate et portez à la limite de l’ébullition. Ajoutez le fromage poignée par poignée sans cesser de remuer avec une cuiller en bois.

Quand tout le fromage est fondu, c’est prêt. N’ajoutez aucun assaisonnement.

Posez la fondue sur la table et mangez-la debout.

“Mon fils fuit ses responsabilités et refuse mon aide“

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« Je suis un Papa séparé depuis Septembre 2016 avec 2 enfants de 18 et 20 ans, Liam et Dylan. Dylan le plus âgé, est en Fac de Philo après avoir terminé un Bac pro photo – il affirme ne plus être intéressé – et cumule avec ses études une soit disant activité culturelle mais qui semble être fausse.

Avec ma femme, nous avons décidé de nous séparer physiquement, et elle vit pour l’instant chez une amie en colocation, jusqu’à la vente de la maison qui nous permettra d’avancer. La situation financière, bien qu’elle ne soit pas catastrophique, nous cantonne à un style de vie très simple et sans possibilité de superflus.

Les 2 enfants vivent avec moi dans la maison familiale, en vente.

Le sujet du problème est lié à mon fils Dylan de 19 ans, qui a un comportement grave avec plusieurs démarches qui font de lui un menteur compulsif sur les sujets les plus simples liés à ses attitudes, travail ou vie quotidienne autant que sur les gros problèmes auquel nous le confrontons souvent.

Il nous vole souvent de l’argent, cela depuis plusieurs années de façon de plus en plus importante, 4 ou 5 ans, entre les vols de carte bleu, de porte-monnaie des parents, et hélas de nos proches, amis et famille. Nous n’avons pas de preuves filmées, mais les autres preuves, comportements et conséquences ne font aucun doute. Par ailleurs, certains de nos amis commence finalement à admettre qu’ils ont eu des “épisodes” lors de la présence de Dylan chez eux, mais qui n’ont jamais rien dit “pour ne pas causer de soucis”.

Au-delà de ces vols, il existe une consommation de cannabis et tabac, soit disant “à cheval” des amis car il n’a pas de moyens d’acheter (ni nous de lui financer). Il y a quelques semaines, sa maman me fait part de l’aveu de mon fils d’un épisode de cocaïne. Cela semble s’être passé lors de l’annonce de notre séparation.

Les vols se sont également manifestés au cours d’un stage. Je lui ai trouvé occasionnellement des emplois saisonniers ou à mi-temps, qu’il n’a jamais réussi a garder en raison de son constant état d’esprit de détachement de tout, matériel et personnes, sauf certains amis.

Il traine depuis quelques temps un historique de dettes, entre autres des découverts bancaires importants, des amendes SNCF à plus de 800 euros pour fraude sans billet, des amis que j’ai vus sur les réseaux sociaux qui exigent “qu’il paye ce qu’il doit”, bref voilà.

Globalement, son détachement de tout semble être une forme de fuite de ses soucis, foncer sans regarder et sans aucun jugement de ses actes.

Le tout est encore aggravé par quelques épisodes d’automutilation, coupures, cigarettes, etc. qu’il qualifie de jeux, mais qui s’affirment comme ce que c’est, notamment par des documents que j’ai trouvés il y a quelques jours de l’hôpital qui l’on gardé une nuit pour coupure sur bras, il était ivre et coupé.

Il estime en tant qu’adulte qu’il a peu de compte à rendre, même vivant sous mon toit, et que ses aller-retour ou absences de plusieurs jours n’ont pas à être annoncés, et beaucoup de nos échanges commencent par là, du fait que je me fais du souci car je ne sais plus où il est ou ce qu’il fait.

Il est évident qu’en tant que majeur il va devoir commencer à assumer ses actes, mais l’amour que je lui porte essaie tant bien que mal d’être présent dans sa vie, de continuer à lui ouvrir la porte et l’avoir avec moi en l’aidant, en étant à l’écoute, mais il ne communique pas, se renferme et ne sort aucun mot.

J’ai essayé de lui conseiller une aide psychologique, des centres de suivi pour la drogue ou alcool, mais il a repoussé toute forme d’aide, disant qu’il n’en a pas besoin.

Je suis coincé, la situation n’est pas facile pour personne, lui non plus j’imagine, mais je suis à bout d’espoir et dans la totale déprime. »


> La réponse de Jacques Arènes :


Je suis désolé de répondre si tardivement à votre courriel. J’espère qu’il vous trouvera, d’une manière ou d’une autre, sur internet. Il sera, en tous cas, utile à bien d’autres qui quêtent sur le Web des réponses à leur souffrance singulière. Vous êtes, comme tant d’entre nous, un père démuni, réduit à être observateur de la souffrance de son enfant, avec le sentiment de ne pas pouvoir faire grand-chose.


La dimension de la séparation avec votre épouse n’est pas anodine – vous le percevez vous-même en décrivant la situation – et donne un cadre douloureux à ce que vous vivez avec votre fils. Ce que vous expérimentez me fait penser à ce qu’écrit le grand romancier américain Richard Ford, qui a beaucoup évoqué la paternité blessée. Il décrit, dans son livre Indépendance (Éd. de l’Olivier), un homme divorcé confronté à la dérive de son fils ; le héros tente de se montrer présent à la galère de son jeune, mais il n’arrive pas à croire à la possibilité d’infléchir le « destin » de l’adolescent. Ce personnage résume à lui seul la difficulté actuelle de tant d’hommes à incarner leur paternité : « Mais durant nos brefs échanges, je me retrouve incapable de lui parler autrement que d’une manière fugace avant de battre en retraite, de crainte de me tromper, de le harceler ou de m’opposer à lui, de jouer au thérapeute au lieu d’être simplement son père [...] Me reste donc le pire de la paternité : être un adulte. Qui ne possède pas le langage adapté ; qui n’affronte pas les mêmes terreurs aléas et ratages ; qui en sait long, mais est condamné à rester planté comme un réverbère allumé, dans l’espoir que son fils en distinguera la lueur et se rapprochera pour profiter de la chaude lumière offerte en silence. » (p.28)


Je ne vous recommande pas de lire cet auteur : il alimenterait encore plus votre déprime actuelle ! Je le signale pour vous aider à saisir que vous n’êtes pas le seul à vivre ce type d’épreuve. Parce que vous la vivez au même titre que votre fils. Vous analysez finement ses problèmes et décrivez soigneusement ses comportements, mais je vous propose de vous attarder d’abord sur vous-même. Prenez donc du temps pour vous intéresser à vous. A ce sentiment d’être coincé, au fait que vous vous faites du souci, à cette impuissance qui est le cœur de votre déprime, comme elle est le centre de la blessure paternelle décrite par Richard Ford. Vous voyez votre Dylan aller et venir, vous êtes le témoin de ses souffrances, de ses dérapages, de ses hospitalisations. Vous examinez en douce ses dossiers médicaux et ses contacts sur internet. Vous êtes l’observateur de sa souffrance.


Vous avez raison : il faut sortir de cela. Il vaut mieux – c’est ce que je crois – risquer de commettre des erreurs que de ne rien faire. Votre fils n’a pas « besoin » d’un père déprimé. Il a « besoin » d’un adulte présent – écoutant certes, comme vous l’êtes, mais aussi exigeant – et donc qui intervienne. Vous ne pouvez certes pas le forcer à suivre une thérapie, mais vous pouvez, sans exagérer, lui rappeler le fait qu’il est majeur, et notamment que c’est à lui d’assumer ses actes. S’il affirme d’une manière péremptoire qu’il est adulte et que vous n’avez pas à le fliquer, il doit alors endosser complètement la panoplie de l’adulte et subvenir lui-même à ses besoins. Le contexte de séparation, je l’ai dit, n’est pas anodin, et il alimente peut-être votre mauvaise conscience, qui est souvent paralysante. Vous ne dites rien de ce qui s’est passé entre vous deux – les parents – et de la manière dont cela impacte la famille. Vous en parlez seulement au niveau des problèmes économiques que cela suscite, et dont votre fils s’affranchit pour une part en vous volant.


Là aussi, cela n’est pas un destin. Il s’agit de prendre des mesures rigoureuses et précises pour l’empêcher de continuer à vous voler. Le mettre devant ses responsabilités, cela sera aussi lui signifier en actes, que vous ne subviendrez pas ad vitam à ses attentes pécuniaires. Il ne s’agit pas de mettre en place brutalement ces nouvelles mesures, puisque la situation est installée, mais de prendre progressivement des décisions qui le poussent dans ce sens (quid de l’argent de poche, par exemple ?). En attendant, vous ne pourrez pas changer de positionnement subjectif vis-à-vis de lui sans vous occuper de vous-même. Si n’est pas pensable de le forcer à faire une psychothérapie, ou à vous exprimer ce qu’il vit, vous pouvez vous-même vous faire accompagner. Justement dans le but de (re)trouver un positionnement juste, solide, sans complaisance. Vous êtes le père courage dont l’amour « essaie tant bien que mal d’être présent dans la vie » de son fils. Je suis d’accord avec vous là-dessus, mais pas à n’importe quel prix…

Posez vos questions à Jacques Arènes

Donner du sens à une épreuve, poser des choix délicats, comprendre une période de la vie… Vous avez des questions existentielles ou spirituelles ?
Adressez-les à Jacques Arènes, psychologue et psychanalyste :

> Par e-mail en écrivant à j.arenes@lavie.fr
> Par courrier postal en écrivant à Jacques Arènes, La Vie, 80 boulevard Auguste-Blanqui, 75013 Paris.

Chaque semaine, Jacques Arènes publie sa réponse à une des questions sur notre site internet.
Retrouvez toutes ses réponses passées dans notre rubrique
Questions de vie