Gleeden : Le couple fidèle, une utopie du passé ?

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Les AFC contre Gleeden : le “business de l’infidélité“ en procès


Que pensez-vous du jugement rendu par le TGI ?


Ce jugement montre bien l’évolution de notre société : le mariage est devenu plus contractuel qu’institutionnel. Or un contrat se modifie. La fidélité serait donc une dimension d’engagement relatif, qui peut évoluer selon l’appréciation des conjoints. Mais si le droit peut évoluer avec les mœurs, la réalité est plus complexe. L’infidélité majeure, qui pouvait être tolérée avant, est aujourd’hui un motif de séparation. On ne reste plus ensemble parce qu’il le faut. La relation doit être authentique pour faire sens.


Comment expliquez-vous cette évolution ?


Qu’il soit social ou familial, le lien est aujourd’hui affecté. Sa pérennité ne va plus de soi. D’où la difficulté contemporaine à « faire couple » : nous nous sentons moins engagés que les générations précédentes dans l’échange d’une parole, dans le cadre d’une institution qui défaille. La production de normes devient de plus en plus individuelle, dans une société qui enjoint d’être soi-même et de se fier à ses sentiments. Cela ne va pas sans effet psychique : trouver sa propre norme est un exercice périlleux et lourd à assumer !


Aujourd’hui, par le mariage civil, les époux se doivent mutuellement fidélité, selon l’article 212 du Code civil. L’État sera-t-il jugé demain trop intrusif d’intervenir dans ce domaine ?


La famille est de plus en plus privatisée : chacun veut pouvoir la construire comme il l’entend, selon une perspective libérale et libertaire. On perçoit le sens de la dimension protectrice du mariage, la protection des époux et des enfants, la répercussion sociale du mariage. Dans le même temps, une aspiration plus subjective et personnelle d’épanouissement et d’authenticité s’accorde difficilement d’un contrat. Mais peut-on construire une relation en fonction d’un baromètre affectif personnel et fluctuant ? On peut poursuivre son désir, comme le furet, sans jamais l’atteindre.


L’obligation de fidélité supporte-t-elle des exceptions, comme l’a jugé le TGI ?


Je ne crois pas dans l’infidélité ludique, même si certains couples s’en réclament. D’abord le pourcentage des conjoints qui ont une relation extra-conjugale, d’un commun accord, est très faible. En réalité, le tissage de l’intimité engage toute la personne. Dans la majorité des cas, le fait de le vivre avec un(e) autre est vécu comme une trahison ou un abandon.


À quoi répond la tentation d’aller voir ailleurs ?


Les motifs sont divers mais l’infidélité est souvent causée par le désamour au sein du couple. Notre société sécrète de la disqualification, du mépris, la compétition narcissique et la revendication personnelle, qui se répercutent dans le couple. La vie de couple met à nu : quand on se dévoile, on se rend vulnérable, on peut être confrontés aux échardes de l’autre. Beaucoup de conjoints se sentent ainsi jugés, mal-aimés. Et il n’y a rien de pire que la solitude, quand on est deux ! L’infidélité peut s’expliquer en partie par ce dépérissement de l’héritage commun.


La fidélité est-elle possible aujourd’hui ?


C’est une question existentielle, qui touche à la vie et à la mort. Il existe une angoisse de vieillir avec un conjoint dont on perçoit les limites. Or accepter de continuer avec l’autre tel qu’il est suscite la créativité. Quand j’accepte que l’autre ne changera pas, je lui offre la liberté de changer. Ainsi, un conjoint mutique commencera à partager lorsqu’il sentira moins de sollicitations pour s’exprimer. Le couple, quand il réussit, est très personnalisant : il fait exister comme sujet face à un autre sujet. Paradoxalement, un alter ego aide à devenir soi. Le couple souligne la singularité de la personne.


Comment durer en couple ?


La vie conjugale n’est pas toujours régie par le principe de plaisir. Mais elle peut s’alléger avec le temps. Ce tissage passe par la sensorialité : le toucher, l’odorat, le regard que je pose sur l’autre. Il s’enrichit de la légèreté, de l’humour, qui supposent délicatesse et intelligence de la relation.Ce n’est pas donné tout de suite dans la vie d’un couple. Pour ne pas mourir, cet espace commun doit rester palpitant.