Sur la famille, une Église lucide et franche

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L’Église catholique aime bien le jargon. Ainsi, quand les fidèles ne veulent plus l’écouter, elle parle de « défis pastoraux ». Et quand on ne vit plus comme elle le souhaite, elle relève des « situations pastorales difficiles ». Mais on aurait tort de s’en tenir là et de traiter par l’ironie ou le mépris le document préparatoire au prochain synode sur la famille. Récemment rendu public (on peut le lire en intégralité ici), ce texte se révèle de grande qualité. Il est vrai que l’on ne partait pas de rien. Sous l’impulsion du pape ­François, partout dans le monde, des catholiques ordinaires ont réfléchi, des conférences épiscopales ont travaillé. Partout dans le monde, des réflexions ont été élaborées et rendues publiques, et de partout, des synthèses ont été envoyées à Rome, reflétant le caractère vraiment universel de l’Église et, par contrecoup, des problèmes qu’elle soulève ou qu’elle rencontre. Aucun problème n’est escamoté. Aucune question n’est évacuée.


L’Église constate que le terrain intellectuel sur lequel elle s’appuie pour dire sa vision de l’homme et de la société n’existe plus ou se trouve fortement disputé. Il en va ainsi, par exemple, du discours sur la « loi naturelle », un concept fondamental désormais perçu comme un « héritage dépassé ». Sous les coups de butoir de « la recherche scientifique », avec en particulier « l’évolution, la biologie et les neurosciences », c’est l’idée même de nature qui se trouve mise en cause. Et pas seulement en Europe ou aux États-Unis. Après avoir affecté d’abord l’Occident, en raison de la place que les sciences y ont tenu dans les derniers siècles, une vaste crise culturelle s’étend progressivement à toute la chrétienté, du nord au sud. Dans ces conditions, dit froidement le rapport, il ne faut pas s’étonner si « de nombreux aspects de la morale sexuelle de l’Église ne sont pas compris aujourd’hui ». Le mérite du document est d’admettre qu’il ne suffira pas de les ressasser pour qu’ils fassent à nouveau sens.


La question la plus emblématique et la plus délicate, celle du remariage à l’Église ou de la communion pour les personnes divorcées, se trouve posée avec clarté. On sait et on sent que les tensions demeurent ici très fortes. D’ailleurs, si le problème était théologiquement, canoniquement et humainement aussi simple qu’on veut bien le dire, on l’aurait sans doute résolu. Il faudra bien, pourtant, qu’il soit traité, sans quoi le synode ne pourra être qu’un échec – et pas seulement le synode : une partie importante du pontificat du pape François se joue sur ce débat-là. Pourtant, le divorce n’est que l’arbre qui cache la forêt. Des non-pratiquants et même des non-croyants demandent le mariage religieux. Faut-il leur dire oui ? Des enfants naissent ou grandissent élevés par des parents homosexuels ? Peuvent-ils accéder à une éducation chrétienne ? Dans certains pays, l’État se montre « envahissant » et cherche à « évincer la famille de sa responsabilité éducative » ? Faut-il résister, et si oui, comment ? On voit bien que c’est tout l’édifice qu’il va falloir revisiter, si l’on ne veut pas que les catholiques, tels des Amish, deviennent d’aimables curiosités, témoins d’un passé charmant mais révolu.


La difficulté se trouve en partie là : c’est parce que le monde change de plus en plus vite qu’il devient si difficile de le penser à la lumière lente et longue du christianisme. Une nouvelle vision de l’homme et de la société s’impose. Chaque personne entend être juge de son propre bien. On tient désormais le désir individuel pour plus légitime que la loi qui le borne. Continuer à proposer ou à défendre, dans de telles conditions, une vision stable de la famille, comme on préserve une sorte de sanctuaire, devient une gageure. D’un autre côté, l’Église ne perd pas de vue les plus faibles et les plus fragiles. Et comme elle se sait dépositaire d’un trésor, elle n’a pas l’intention de tout lâcher pour un illusoire relookage. Elle voudra donc garder l’œil sur le vrai et le beau. Le synode sera le lieu de ce tiraillement essentiel.