L’éléphant fait la différence entre les voix humaines

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Éléphants au Parc national d'Amboseli, au Kenya, au pied du Mont Kilimandjaro / Photo : Amoghavarsha, CC BY-SA 3.0

Éléphants au Parc national d’Amboseli, au Kenya, au pied du Mont Kilimandjaro / Photo : Amoghavarsha, CC BY-SA 3.0

L’éléphant d’Afrique est capable de reconnaître quelle est la langue parlée par une personne, et sait également identifier son âge et son sexe. Tel est le surprenant résultat publié le 10 mars 2014 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, sous le titre « Elephants can determine ethnicity, gender, and age from acoustic cues in human voices ».

Comment les auteurs de cette étude sont-ils parvenus à cette conclusion ? En faisant écouter des voix humaines enregistrées à des éléphants d’Afrique du Parc national d’Amboseli (Kenya) émises par un haut-parleur dissimulé dans la végétation, puis en observant les réactions des pachydermes.

Dans un premier temps, la zoologiste britannique Karen McComb (Université du Sussex, Grande-Bretagne) et ses collègues ont fait écouter à ces éléphants des voix d’hommes adultes, appartenant soit au groupe ethnique des Masaï, soit à celui des Kamba.

Pourquoi le choix de ces deux groupes ethniques ? D’une part, parce que les éléphants de cette zone sont en contact régulier avec ces deux groupes de population. Et d’autre part, parce qu’ils n’entretiennent pas du tout le même type de rapport avec l’un ou l’autre de ces deux groupes : alors que les confrontations entre les éléphants et les Masaï, un peuple de chasseurs, sont généralement violentes, elles sont en revanche beaucoup plus pacifiques avec les Kamba.

Voici le dispositif utilisé dans l'expérience pour reproduire les voix humaines enregistrées dans l'expérience de Karen McComb (PNAS, 10 mars 2014) / Photo : courtesy of Graeme Shannon.

Voici le dispositif utilisé dans l’expérience pour reproduire les voix humaines enregistrées dans l’expérience de Karen McComb (PNAS, 10 mars 2014) / Photo : courtesy of Graeme Shannon.

Quelle a été la réaction des éléphants à l’écoute des bandes enregistrées ? Ils ont présenté des réactions de peur beaucoup plus marquées à l’écoute des voix Masaï que des voix Kamba : ils ont adopté un comportement de retrait, tout en se regroupant les uns à côté des autres.

Dans un second temps, les auteurs de l’étude ont diffusé des enregistrements de voix Masaï, provenant soit d’hommes, de femmes ou d’enfants.

Écouter : les voix des Masaï reproduites devant les éléphants d’Amboseli

Résultat : leurs réactions de défiance ont été beaucoup moins marquées à l’écoute des voix féminines et enfantines. Ce qui suggère que les éléphants d’Afrique sont parfaitement capables de distinguer le sexe et l’âge des voix humaines. Les hommes Masaï se chargeant de la chasse, ils sont un danger potentiel pour les éléphants, qui auraient ainsi appris à les éviter sélectivement.

De plus, les auteurs de l’étude ont observé que cette aptitude se vérifie même lorsque les fréquences des voix masculines adultes sont modifiées de façon à les rendre plus aigües (et donc plus proches des voix féminines et enfantines): même dans cette configuration, les éléphants sont parfaitement capables de distinguer les voix appartenant à des hommes adultes, de celles appartenant à des femmes ou des enfants…

De gigantesques quantités d’eau enfouies sous nos pieds ?

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L'échantillon de diamant JUc29, provenant de Juina, au Brésil, contenant l'inclusion hydratée de ringwoodite (40 microns, non visible), comme le rapportent Pearson et al., Nature 2014. La forme insolite de ce diamant brut a été sculptée naturellement par les liquides corrosifs du manteau lors de son transport à la surface. / Photo Richard Siemens, Univ. Alberta

L’échantillon de diamant JUc29, provenant de Juina, au Brésil, contenant l’inclusion hydratée de ringwoodite (40 microns, non visible), comme le rapportent Pearson et al., Nature 2014. La forme insolite de ce diamant brut a été sculptée naturellement par les liquides corrosifs du manteau lors de son transport à la surface. / Photo Richard Siemens, Univ. Alberta

De colossales quantités d’eau sont-elles présentes dans la « zone de transition », cette région du manteau terrestre située entre 410 et 660 km sous la surface de la Terre ? C’est en tout cas ce que suggère un petit diamant découvert au Brésil en 2009. Et pour cause, puisque l’analyse de ce diamant a révélé qu’il contenait un minéral formé dans la zone de transition, constitué de… 1% d’eau.

Selon le géochimiste canadien Graham Pearson (Université de l’Alberta à Edmonton, Canada) et son équipe, qui ont étudié ce diamant au cours de ces dernières années, la quantité d’eau présente dans la zone de transition pourrait être plus importante que l’eau de tous les océans actuels réunis.

Cette hypothèse a été publiée le 12 mars 2014 dans la revue Nature.

Évidemment, si ces quantités d’eau existent bel et bien dans la zone de transition, elles ne se présentent pas sous la forme de masses d’eau liquide. En effet, à de telles profondeurs, l’eau n’est pas liquide : elle est intégrée à l’intérieur des minéraux, lesquels sont alors dits « hydratés ».

Pour comprendre ce qui amène ces scientifiques à émettre une telle hypothèse, il nous faut nous intéresser plus précisément à ce diamant. Mis au jour en 2009 dans le district de Juina, au Brésil, ce diamant a rapidement retenu l’attention du géochimiste canadien Graham Pearson (Université de l’Alberta à Edmonton, Canada) et de son équipe.

Pourquoi un tel attrait pour ce petit diamant ? Car il s’agit d’un diamant particulièrement intéressant pour un géologue. En effet, tandis que la plupart des diamants se forment à une profondeur de 150 à 200 km sous la surface de la Terre, il s’avère ce petit diamant, pesant moins d’un dixième de gramme, s’est formé dans une région beaucoup plus profonde du manteau terrestre : la « zone de transition », située à une profondeur comprise entre 410 à 660 km.

 

Schéma de la coupe de la Terre illustrant l'emplacement de la ringwoodite, qui compose environ 60 % de cette partie de la zone de transition. Le diamant contenant l'inclusion de ringwoodite hydratée trouvé par by Pearson et al. (Nature, 2014) a été originé environ 500 km sous la surface de la Terre, où une grande masse d'eau pourrait s'accumuler du fait de la subduction et du recyclage de la lithosphère océanique dans la zone de transition. / Infographie : Kathy Mather

Schéma de la coupe de la Terre illustrant l’emplacement de la ringwoodite, qui compose environ 60 % de cette partie de la zone de transition. Le diamant contenant l’inclusion de ringwoodite hydratée trouvé par by Pearson et al. (Nature, 2014) a été originé environ 500 km sous la surface de la Terre, où une grande masse d’eau pourrait s’accumuler du fait de la subduction et du recyclage de la lithosphère océanique dans la zone de transition. / Infographie : Kathy Mather

 

A l’évidence, pour Graham Pearson, l’analyse de ce diamant est l’occasion rêvée de mieux comprendre les conditions qui prévalent à de telles profondeurs. Une zone très mal connue des scientifiques, précisément en raison de sa distance d’avec la surface terrestre.

Or, en analysant par diffraction aux rayons X la nature d’un fragment de minéral inclus dans ce petit diamant, Graham Pearson et ses collègues découvrent qu’il s’agit en réalité… d’un fragment de ringwoodite, un minéral dont l’existence était prédite depuis longtemps par les scientifiques, mais qui n’avait pas réellement été mise en évidence concrètement jusqu’ici.

Qu’est-ce que la ringwoodite ? C’est en réalité d’une forme d’olivine, un minéral qui abonde dans le manteau supérieur terrestre, mais qui s’est constituée dans des conditions de pression très supérieures à celles qui président habituellement à sa formation.

Mais ce n’est pas tout. Car en analysant la composition chimique de ce fragment de ringwoodite, Graham Pearson et ses collègues ont découvert qu’il contenait… 1% d’eau. Si une telle quantité peut sembler faible, ce n’est en réalité pas le cas. En effet, étant donné que les géophysiciens pensent que la ringwoodite est très répandue dans la zone de transition, alors cela suggère ni plus ni moins que cette région du manteau terrestre regorge d’eau ! Selon le géochimiste Graham Pearson, si l’on se base sur cette proportion de 1 %, alors cela signifie que la zone de transition pourrait même contenir à elle seule plus d’eau que tous les océans du monde réunis…

Notons toutefois qu’il n’est pas certain que de telles quantités d’eau soient présentes dans la zone de transition. En effet, rappelons que cette estimation n’est basée que sur l’extrapolation d’une proportion d’eau retrouvée dans un unique – et minuscule – morceau de minéral. Une proportion il n’est pas du tout certain qu’elle prévaut pour l’ensemble de la zone de transition…

Le premier écho du big bang enregistré par les astronomes ?

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Une petite partie du ciel, dans la constellation australe du Toucan, c'est à dire dans la direction du pôle sud galactique, vue par le télescope Biceps 2. Ce que cette image abstraite montre, ce sont, 380 000 ans après le big bang, les fluctuations de densité et de température du fluide gazeux brûlant qu'était alors l'Univers. Le réseau de lignes noires en surimpression, ce serait, d'après les cosmologistes de la collaboration Biceps 2, l'empreinte des ondes gravitationnelles primordiales, émises au moment du big bang... Photo Biceps 2 Collaboration.

Une petite partie du ciel, dans la constellation australe du Toucan, c’est à dire dans la direction du pôle sud galactique, vue par le télescope Biceps 2. Ce que cette image abstraite montre, ce sont, 380 000 ans après le big bang, les fluctuations de densité et de température du fluide gazeux brûlant qu’était alors l’Univers. Le réseau de lignes noires en surimpression, ce serait, d’après les cosmologistes de la collaboration Biceps 2, l’empreinte des ondes gravitationnelles primordiales, émises au moment du big bang… Photo Biceps 2 Collaboration.

D’abord, la prudence. Avant la stupeur, l’enthousiasme, le vertige et les superlatifs, la circonspection : l’annonce faite ce lundi 17 mars 2014 par une équipe de scientifiques essentiellement américains doit-être vérifiée, confirmée, d’abord par leurs pairs, ensuite par de nouvelles analyses des données et enfin par de nouvelles observations. Voilà ; une fois cette précaution prise, et en admettant que cette observation soit finalement validée, ne boudons pas notre plaisir : la détection des « ondes gravitationnelles primordiales » serait l’une des plus belles découvertes astronomiques de ce début de siècle et l’un des plus beaux triomphes de l’histoire des sciences. C’est que, nous allons le voir, cette découverte touche à tous les grands symboles du récit scientifique moderne, constitutif de notre imago mundi : la relativité générale, la mécanique quantique, l’Univers, le big bang… rien que ça ! Une découverte, mais pas une surprise, puisque les cosmologistes – ces astronomes et physiciens qui étudient l’Univers considéré dans son ensemble, quoi que cela puisse vouloir dire – l’attendaient, l’espéraient, pour certains, depuis… plus de trente ans !

Le petit télescope Biceps 2, en avant-plan de l'image, est installé à 2900 mètres d'altitude, dans la base américaine Amundsen-Scott, au Pôle sud. Un observatoire idéal pour observer le rayonnement millimétrique, domaine de longueur d'onde où le rayonnement cosmologique est le plus brillant. Photo Steffen Richter/Biceps 2 Collaboration.

Le petit télescope Biceps 2, en avant-plan de l’image, est installé à 2900 mètres d’altitude, dans la base américaine Amundsen-Scott, au Pôle sud. Un observatoire idéal pour observer le rayonnement millimétrique, domaine de longueur d’onde où le rayonnement cosmologique est le plus brillant. Photo Steffen Richter/Biceps 2 Collaboration.

Venons-en donc à cette possible et extraordinaire observation… L’équipe de la collaboration Biceps 2, dirigée par John Kovac, du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, aurait détecté pour la toute première fois les « ondes gravitationnelles primordiales », émises lors du big bang. Ou plus exactement, l’effet sur le rayonnement de fond cosmologique de ce rayonnement gravitationnel primordial. Bon, l’annonce, comme ça, semble absconse, mais la découverte est réellement fondamentale. Pour en saisir la portée, revenons à l’origine de cette observation, la théorie du big bang et le rayonnement de fond cosmologique. Pour les astrophysiciens, il existe désormais un modèle cosmologique, dit de concordance, qui explique à peu près tout de l’histoire de l’Univers depuis son origine jusqu’à nos jours. En quelques mots, notre univers – oui, il y en a peut-être d’autres, je vais y revenir… – serait apparu voici 13,8 milliards d’années, lors d’un événement singulier, le big bang. Au moment du big bang, l’Univers était tout à la fois plus dense et plus chaud qu’aujourd’hui, chaud et dense à tel point que la matière n’existait pas encore, et que les quatre forces fondamentales de la nature que nous connaissons aujourd’hui étaient peut-être fondues en une seule et même force. Et, débordant d’énergie, le cosmos dissipait celle-ci en grandissant : en clair, l’Univers, depuis le big bang, est en expansion, sa température baisse, sa densité diminue. Mais il n’y a pas de mots pour décrire l’Univers au moment du big bang, ni d’ailleurs de concept physique ou mathématique pour le concevoir : personne ne sait ce qu’est l’Univers à l’époque, si cette expression veut dire quelque chose, puisqu’il n’y avait peut-être ni espace ni temps à « ce moment là ». Pour les cosmologistes, qui utilisent les outils théoriques légués par leurs aînés voici un siècle, la relativité générale et la mécanique quantique, le big bang est une singularité, qui, espèrent-ils, entrera dans le giron d’une future théorie globale de l’Univers, qui pourrait s’appeler théorie des cordes, gravitation quantique à boucles, etc. Bref, la science est aujourd’hui muette quand il s’agit d’expliquer l’origine de l’Univers, même si certains physiciens ne renoncent pas à la tentation folle d’expliquer le « tout ».

Paradoxalement, cette extraordinaire observation a été réalisée avec un instrument astronomique très modeste. Biceps 2 est un télescope de seulement 30 centimètres de diamètre, la taille d'un gros télescope d'amateur ! Biceps 2 n'observe pas la lumière visible, mais le rayonnement millimétrique, à 2 mm de longueur d'onde pour être précis. Sous le ciel d'une pureté quasi spatiale de l'Antarctique, le télescope Biceps 2 est extraordinairement sensible, mais sa résolution est très faible : un degré seulement ! Photo Steffen Richter/Biceps 2 Collaboration.

Paradoxalement, cette extraordinaire observation a été réalisée avec un instrument astronomique très modeste. Biceps 2 est un télescope de seulement 30 centimètres de diamètre, la taille d’un gros télescope d’amateur ! Biceps 2 n’observe pas la lumière visible, mais le rayonnement millimétrique, à 2 mm de longueur d’onde pour être précis. Sous le ciel d’une pureté quasi spatiale de l’Antarctique, le télescope Biceps 2 est extraordinairement sensible, mais sa résolution est très faible : un degré seulement ! Photo Steffen Richter/Biceps 2 Collaboration.

Tache illusoire, probablement, puisque le big bang nous oppose un horizon des observations, qui est aussi sans doute un horizon du connaissable. En effet, ce big bang, qui a eu lieu il y a 13,8 milliards d’années, les chercheurs ne peuvent pas l’observer. Ils ne le pourront probablement jamais : du point de vue astronomique, cet événement se situe à un redshift infini. Ce que cherchent les astronomes et les physiciens, se sont les traces du big bang dans le cosmos ultérieur, cela, oui, c’est accessible, c’est même l’histoire de l’Univers, que l’on reconstitue peu à peu, depuis les observations fondatrices d’Edwin Hubble au mont Wilson, voici un siècle. La preuve la plus spectaculaire et la plus convaincante du big bang, c’est bien sûr le fameux rayonnement fossile, ou rayonnement cosmologique, découvert en 1964, ce qui a valu à Arno Penzias et Robert Wilson le Prix Nobel de Physique 1978, rayonnement fossile photographié pour la première fois par le satellite américain Cobe, ce qui a valu à George Smoot et John Mather le Prix Nobel de Physique 2006. Cette image du rayonnement fossile, enregistrée de nouveau dans le rayonnement submillimétrique par le télescope spatial Planck en 2012, montre l’Univers tel qu’il existait 380 000 ans après le big bang. C’est le moment exact où le cosmos est devenu transparent au rayonnement. Avant, le cosmos était un brouillard de lumière brûlant, impénétrable. Après, l’expansion universelle aidant, la lumière émise a été définitivement libérée, comme la lumière du Soleil est libérée à sa surface, alors que son globe gazeux, lui, est opaque.
Cette image du Soleil est choisie à dessein. On peut en effet facilement s’imaginer à quoi ressemblait l’Univers à l’époque, 380 000 ans après le big bang : passez un scaphandre ultra résistant, et vous voilà flottant dans un bain de chaleur et de lumière aveuglante, un bain à 3000 °C, et un brouillard, brillant, partout, comme le Soleil… Ce que Planck a photographié, c’est cela, cette lumière infernale, mais diluée, refroidie après plus de 13 milliards d’années d’expansion universelle. Aujourd’hui, le cosmos baigne dans un bain glacial, à -270,42 °C et le ciel est noir, obscur.

Voici l'Univers tel qu’il existait voilà près de 13,8 milliards d’années, et 380 000 ans seulement après le big bang. Cette image, prise par le satellite européen Planck, est en réalité une carte de température du rayonnement de fond cosmologique observé aujourd’hui. Les différences de couleurs trahissent d’infimes différences de température du plasma brûlant qu’était, à l’époque, le cosmos entier… Photo ESA.

Voici l’Univers tel qu’il existait voilà près de 13,8 milliards d’années, et 380 000 ans seulement après le big bang. Cette image, prise par le satellite européen Planck, est en réalité une carte de température du rayonnement de fond cosmologique observé aujourd’hui. Les différences de couleurs trahissent d’infimes différences de température du plasma brûlant qu’était, à l’époque, le cosmos entier… Photo ESA.

Cette véritable photographie du cosmos ancien, prise par Planck, est fondamentale et définitive. Définitive, parce que les astronomes considèrent que, quelle que soit la puissance des télescopes à venir, ils n’obtiendront pas d’image de meilleure qualité. Fondamentale, parce que c’est notre seul moyen de remonter plus loin dans l’espace, plus tôt dans le temps… Car cette image, supposent les chercheurs, garde l’empreinte des événements qui ont marqué le cosmos depuis le big bang. Ce que montre, de façon spectaculaire Planck (après les satellites américains Cobe et Wmap), c’est que, dès cette époque, l’Univers est structuré : l’image n’est pas homogène, uniforme, elle est recouverte de taches, qui témoignent d’infimes différences de densité et de température dans le brouillard brûlant qu’était alors le cosmos.
Ces inhomogénéités, ces fluctuations, elles dateraient, pensent les astronomes, de l’époque primordiale de l’Univers, une époque datée – à partir d’une « instant zéro » arbitraire, fictif – de 10 puissance -35 seconde après le big bang. A cette époque, l’Univers, d’après les calculs, a une température de l’ordre de 10 puissance 30 degrés (oui, 1 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 degrés…), une densité de 10 puissance 90 (je vous fais grâce des 90 zéros après le 1), il est soumis tout à la fois aux règles de la relativité générale et de la mécanique quantique. C’est comme si l’Univers entier était quantique, c’est à dire soumis à de violentes perturbations à la fois spatiales et temporelles. Espace et temps, au sens commun du terme, n’existaient peut-être pas alors.
Et c’est la trace d’un événement crucial, fondateur, qui s’est passé à cette époque, que peut-être, l’équipe de Biceps 2 a détecté dans l’écho lumineux du big bang, le rayonnement cosmologique… Il y a plus de trente ans, trois physiciens russes et américain, Alexei Stravrobinsky, Andrei Linde et Alan Guth, ont imaginé un processus physique, baptisé inflation, pour résoudre des problèmes que posait le cosmos aux observateurs. En simplifiant un peu pour ne pas sortir du cadre de ce billet, l’Univers, dans le cadre de la théorie du big bang, était tout à la fois trop homogène et trop grand. Stravrobinsky, Linde et Guth ont proposé qu’après le big bang, un épisode d’accélération fulgurante – l’inflation – ait brutalement augmenté la taille de l’Univers par un facteur gigantesque, de plusieurs dizaines, ou centaines, d’ordres de grandeurs. Cette proposition, malgré son caractère ésotérique et ad hoc, s’est imposée progressivement, mais restait un peu gênante pour les scientifiques car bien difficile à démontrer…
Or, c’est une prédiction de cette phase fulgurante d’inflation que l’équipe Biceps 2 a peut-être confirmée ! D’après les cosmologistes, la phase d’inflation, dans un espace-temps soumis à de violentes fluctuations quantiques, a du produire des ondes gravitationnelles, c’est à dire des vibrations de l’espace-temps… Ces ondes gravitationnelles, en déformant l’espace-temps qu’elle ont traversé, ont du, selon toujours, les théoriciens, imprimer leur empreinte dans le cosmos primordial. Or, rappelons-nous, à l’époque, celui-ci est essentiellement un brouillard de particules élémentaires et de lumière… L’effet attendu du passage des ondes gravitationnelles dans l’Univers primordial, c’est une légère modification de la polarisation de la lumière – l’orientation du champ électromagnétique, pour être plus précis – un phénomène attendu, et recherché, par les astronomes dans le rayonnement de fond cosmologique depuis des années… Cet effet, appelé « polarisation de mode B » a donc été détecté pour la première fois par la collaboration Biceps 2 et cette observation provoque à son tour une immense clameur dans le monde astronomique, car ses implications sont extraordinaires.
Triomphe, d’abord, pour Albert Einstein, qui a indirectement postulé l’existence des ondes gravitationnelles via sa théorie de la relativité générale, qui décrit un espace-temps dynamique, déformable. L’observation de Biceps 2 validerait une nouvelle fois la relativité générale, même si il ne faut pas oublier que les ondes gravitationnelles ont déjà été indirectement observées, via l’accélération du couple de pulsars PSR B1913+16 par Russell Hulse et Joseph Taylor, observation qui leur a valu le Prix Nobel de Physique 1993. Triomphe, peut-être, aussi, pour Stravrobinsky, Linde et Guth en particulier, et la cosmologie contemporaine en général, puisque cette détection serait aussi un indice de la validité de la théorie de l’inflation. Immense espoir, enfin et surtout, pour les physiciens, qui verraient pour la première fois un signe, un indice, de la possible unification de la relativité générale et de la mécanique quantique, deux théories, l’une de l’infiniment grand, l’autre de l’infiniment petit, irréductiblement inconciliables depuis cent ans. Ces fluctuations quantiques de l’espace-temps, au moment du big bang, ouvriraient, enfin, la voie vers une théorie de la gravitation quantique, et permettraient d’aller voir plus près, encore, du big bang et de l’abstrait « instant zéro ».
Cette possible découverte ouvrirait donc un nouveau et immense champ d’étude à la physique et à la cosmologie, qui cherchent, encore une fois, à se retrouver dans une théorie universelle encore à écrire, une théorie de la gravitation quantique. Première conséquence, si l’observation est validée : une ribambelle de théories cosmologiques et physiques vont pouvoir être abandonnées, toutes celles qui ne prédisent pas cette polarisation de mode B. Seconde conséquence, les astronomes vont probablement proposer aux grands instituts internationaux de concevoir un nouveau satellite, un « super Planck » dédié à l’observation fine de la polarisation du rayonnement de fond.
Enfin, cette découverte, si elle confirmait que l’Univers a bien connu une phase d’inflation, pourrait donner du crédit aux modèles cosmologiques, étranges et vertigineux, défendus en particulier par le physicien américain d’origine russe Andrei Linde… Pour lui, l’inflation et le big bang sont un seul et même phénomène. Linde propose, depuis un quart de siècle, une théorie véritablement vertigineuse, hypnotique, « l’Univers inflationnaire éternel autoreproducteur ». Pour Linde, le big bang et notre cosmos ne sont qu’un aléa d’un multivers éternel et infini dans lequel des fluctuations quantiques engendreraient spontanément, de loin en loin, des univers en expansion… Un Univers d’univers, gigogne, infini, éternel. Une conception du monde qui demeurera théorique, qui ne sera jamais validée par l’observation. La grandeur et le drame de la cosmologie, c’est sa dimension irréductiblement métaphysique. Il est des questions posées au ciel qui demeureront à jamais sans réponse.
Serge Brunier

PS : Une touchante vidéo mise en ligne par l’Université de Stanford qui montre comment a été annoncée la possible découverte de l’inflation cosmique à Andrei Linde…