Ce que notre voix dit de nous

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Là où il y a de la voix, il y a de la vie. Car notre voix n’est autre que du souffle transformé en son. C’est même un cri qui marque notre entrée dans l’existence. L’air s’engouffre dans les poumons du nouveau-né dont les alvéoles se déploient, les muscles respiratoires se mettent en route. À l’expiration, l’air propulsé fait vibrer les deux replis du larynx appelés plis vocaux ou cordes vocales. La note poussée par le bébé, fréquence moyenne des cris du nourrisson, fait d’ailleurs référence : c’est un la 440, celui du diapason et de la tonalité du téléphone ! À l’inverse, « une voix qui se brise préfigure celle qui s’éteint pour toujours », suggère Aline Seytre, orthophoniste à Paris, spécialisée dans la rééducation vocale.

Notre carnet de santé

Dans l’émission des sons, tout notre corps se mobilise. « Notre posture, notre ancrage jouent sur la manière dont nous utilisons notre “soufflerie” », note Bernadette Mercier, chanteuse lyrique et professeure de chant, adepte du yoga, du stretching et des massages énergétiques chinois. « Quelqu’un qui se tient très voûté, avec le sternum “enfoncé”, ne peut pas avoir une voix libre. » Les chanteurs connaissent ainsi les répercutions du sommeil ou du cycle menstruel sur leur organe. La voix nous renseignerait si bien sur l’état de fatigue du corps que des chercheurs travaillent actuellement sur les signes avant-coureurs de maladies dégénératives du système nerveux comme celle de ­Parkinson que l’on pourrait y déceler.

« Le larynx est par ailleurs un organe sexuel secondaire », rappelle Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel, ORL-phoniatre, ancienne présidente de la Société ­française de phoniatrie. Les sons qu’il produit renseignent sur notre identité : le sexe de 94 % des gens serait identifiable à leur seule voix. À l’adolescence, les cordes vocales s’épaississent, s’allongent, sous l’effet des hormones. Les garçons ne sont pas seuls à muer : s’ils perdent généralement une octave, les filles, elles,  perdent une tierce.

Mais il arrive que le processus s’enraye. C’est ce que l’on appelle une mue faussée. Anthony, lui, a su où se situait sa voix d’homme vers l’âge de 14 ans. Grave et sonore, elle tranchait radicalement avec le « filet » légèrement voilé de son enfance. « Cette nouvelle voix m’a surpris. Or j’étais timide et je ne voulais pas attirer l’attention sur moi par ce changement à tel point que j’ai fait en sorte de conserver l’ancienne », explique le trentenaire. Et puis les années ont passé. « Ma voix d’enfant devenait ­complètement décalée par rapport à ma physionomie. J’étais malheureux, mais bloqué par ma propre logique, car le fait de descendre du jour au lendemain dans les graves était voué à être repéré par mon entourage. » À 23 ans, le jeune homme a décidé de faire la bascule (fait rarissime, sans l’aide d’un médecin ni d’un phoniatre) et d’aller chercher cette voix d’après la mue, mise en sourdine depuis plusieurs années.

Notre second visage

La voix traduit aussi toute la gamme de nos mouvements intérieurs, notre façon de nous positionner par rapport à l’autre. « Tout travail vocal nous fait entamer un travail très profond sur nous-mêmes, rapporte Bernadette Mercier. Quand au fil des cours de chant, on sent que le corps de l’élève se replace et que le son s’ouvre, souvent la relation s’en ressent, une part de timidité tombe aussi. »

Selon le psychanalyste Didier Anzieu, nous avons un « moi-peau » (notre enveloppe physiologique, qui remplit aussi la fonction psychologique de nous contenir, de nous délimiter par rapport à l’autre ou de nous mettre en contact avec lui). Mais aussi un « moi-sonore » qui nous permet de « prendre possession de l’espace, de nous situer par rapport à l’autre », précise Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel. Or il arrive que celui-ci soit mal ajusté, comme déréglé. C’est le cas des personnes souffrant « d’inhibition de la projection ». « Une pathologie de l’expression de soi, qui se traduit par une voix qu’on n’entend quasiment pas, détaille-t-elle, mais qui se rééduque par un travail sur le corps, les émotions et l’affirmation de soi. »

Professeur de psychologie sociale à l’EM-Lyon et auteur de Vox confidential (Michel Lafon), Christophe Haag le constate : « La voix, propre à l’Homme, est un second visage, elle est aussi expressive que le faciès. Par d’infimes changements, elle peut trahir l’émotion, séduire ou irriter, blesser ou persuader. » Qu’en est-il de l’influence des autres sur l’usage de notre propre voix ? « Lorsque nous discutons avec autrui, nous avons tendance, par effet miroir, à imiter sa voix, son rythme, ses tournures de phrases, son intonation pour réduire la distance sociale entre lui et nous », note-t-il.

Une arme de séduction

La voix peut aussi devenir un instrument de séduction. Il arrive que les hommes ralentissent leur débit et descendent de quelques tons à dessein : selon des chercheurs de l’université d’Aberdeen (Écosse), les hommes dotés d’un timbre grave et chaud, à la façon de l’acteur Gérard Darmon, marqueraient plus durablement les femmes. Tandis que la voix des femmes se ferait légèrement plus aiguë en période de pré-ovulation, comme un signal de fertilité, selon une étude parue en 2008 dans Evolution and Human Behavior.

Un véritable enjeu de pouvoir, incontournable pour les hommes politiques : « Des conseillers en communication les font travailler, en les poussant notamment à parler dans leur registre le plus grave – synonyme de charisme et d’autorité dans l’imaginaire collectif, rapporte ­Christophe Haag. Jacques Chirac utilisait cette astuce de commencer toutes ses phrases par une note aiguë et de les finir par une note grave. François Hollande, lui, s’est fatigué la voix lors de la course à la présidentielle. Ses discours prenaient de mauvais départs dans les aigus. » Il a donc fallu qu’un coach vocal (passé par la Star Academy !) lui apprenne à prendre soin de sa voix. « Car sans elle, un politique est au chômage technique ! »

Ce type de pratique ne cesse d’ailleurs de se démocratiser. Les stages proposés en entreprise ou dans l’univers du développement personnel pour apprendre à « poser sa voix », « aimer sa voix », « placer la voix pour ne pas forcer et gagner en confiance devant un auditoire » ou « moduler sa voix selon les messages à faire passer » ont la cote ! « Dès avant notre naissance, nous commençons à encoder des ­informations sur les voix sans même nous en rendre compte », rappelle Aline Seytre. Le spectrogramme a d’ailleurs permis de révéler quels indices acoustiques véhiculent quelles émotions.

Le miroir de nos émotions

À SOS Amitié, la voix est l’unique fil qui relie appelant et écoutant. Pas d’entraînement vocal pour les bénévoles, mais une formation à l’écoute qui se répercute sur la voix. « Elle doit être douce, chaleureuse, bienveillante. Notre disposition, notre attitude s’entendent », note Michelle, écoutante depuis sept ans. « Les premières “notes” entendues comptent pour l’appelant : la voix de l’autre déploie un imaginaire en fonction duquel il va se sentir en confiance ou non… » Pour l’écoutant, la voix de celui qui appelle livre en permanence des indices. « On sent si la personne est apathique, agressive, en colère… Sous l’effet de l’angoisse, le son ne sort plus. On peut avoir un mince filet, à peine perceptible. »

Dans le secret de leurs cabinets, phoniatres et orthophonistes reçoivent des personnes qui utilisent mal leur voix : enseignants, comédiens, curés… exposés par leur métier. Ils traitent des pathologies ordinaires (nodules sur les cordes vocales) ou sévères (cancers, maladies neurologiques), mais il arrive que rien n’explique la fatigue vocale. Et que le stress en soit le principal responsable. Il existe même des aphonies purement psychogènes. Quand, à 38 ans puis à 45, Brigitte s’est retrouvée sans voix, les questions de la phoniatre l’ont surprise. Il y avait en effet ce nodule sur ses plis vocaux, mais les séances lui ont aussi permis de mettre le doigt sur ses angoisses de mère, et la situation de plusieurs de ses enfants qui l’angoissait plus qu’elle ne le formulait.

« Les grandes épreuves peuvent fragiliser la voix, explique Aline Seytre. Je pense à une patiente enseignante qui n’avait jamais eu de problème de voix et qui a commencé à en souffrir quand son mari est tombé malade. On rencontre aussi des dysphonies spasmodiques, cette impression de sanglots ou de chevrotements, qui se produit surtout après un deuil. » Au fond, il faut toujours « se poser la question du moment où la voix se détériore ». Que se passe-t-il de particulier dans ma vie ? Et si j’avais voulu faire taire ma douleur ? Et si c’était par peur de ne pas être entendu que mon enfant forçait sur ses cordes vocales et avait ce timbre rauque ? Si vous séchez, n’oubliez pas que les spécialistes, orthophonistes, ORL et phoniatres, sont là pour vous mettre sur la voie !

 

> A lire aussi : Des conseils pour trouver sa voix, avec Aline Seytre

 

> A voir :

La Voix : l’expo qui vous parle

Jusqu’au 28 septembre, à la Cité des sciences, Paris XIXe.

Tous les jours, sauf le lundi, de 10 h à 18 h, et jusqu’à 19 h le dimanche. 

> À lire :

  • La Voix, de Dominique Souton, illustrations Aurore Petit, Actes Sud Junior / Cité des sciences. Dès 9 ans. Un livre illustré avec élégance, humour et plein d’informations.
  • Vox confidential, de Christophe Haag, Michel Lafon. Que sait-on de la voix ? L’auteur, professeur de psychologie sociale, mène l’enquête auprès de la phoniatre Élizabeth Fresnel et de professionnels de la voix (doubleur de film, journaliste, etc.).
  • Éclats de voix, de David Le Breton, Métailié. Le sociologue étudie l’impact de la voix sur celui qui écoute et son inscription dans les rapports sociaux.
  • Voix off, de Denis Podalydès, Mercure de France. L’acteur raconte les voix des comédiens et des personnes qui l’ont forgé : Michel Bouquet, Jean Vilar, André Dussollier, mais aussi son parrain, sa grand-mère, son amour…