Dans l’Aisne rurale, les décrocheurs scolaires retrouvent le nord

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« Allez bien jusqu’à la deuxième ligne pour faire la boucle du “l”. » Marguerite, professeure de français, reprend patiemment des lignes d’écriture avec Léo (les prénoms des élèves ont été modifiés), élève de 4e. À 15 ans, l’adolescent montre encore de grandes lacunes en orthographe. Mais, depuis son entrée au collège du Cours Clovis, il n’a plus besoin d’orthophoniste. « Son écriture s’est débloquée », confie sa mère adoptive avec soulagement. Dans cet établissement consacré à la lutte contre le décrochage scolaire en milieu rural, « nous avons une préoccupation constante : montrer aux élèves qu’ils sont bons », déclare Jean-­Baptiste Nouailhac, le directeur.


Une autre relation s’instaure : on découvre leurs goûts, on s’apprivoise, des liens de confiance se tissent.


Petits effectifs, tutorat individuel, port de l’uniforme et vouvoiement : la pédagogie du Cours Clovis s’inspire de celle d’Espérance Banlieues, une fondation éducative ancrée en périphérie des métropoles, où Jean-Baptiste Nouailhac a fait ses armes. « J’ai voulu m’adresser à une autre jeunesse défavorisée : celle qui vit en milieu rural. » En mars 2017, le trentenaire originaire du Sud-Ouest crée ainsi, avec Hervé Catala, la fondation Espérance Ruralités et décide de s’implanter au cœur des Hauts-de-France, la région la plus touchée par l’illettrisme – 11%, contre 7% au niveau national. À La Fère, cette ­commune de 3000 habitants où se trouve l’établissement, près de la moitié des jeunes de 15 à 24 ans sont au chômage – contre moins de 30% au niveau national -, selon l’Insee. Ouvert depuis ­septembre 2017 dans un ancien ­supermarché, ce collège aconfessionnel et hors contrat a accueilli à la dernière rentrée 30 enfants dans trois classes, de la 6e à la 4e.


Le souci du progrès de l’enfant




À 12 h05, la cloche annonce le déjeuner. « C’est Beltrame qui est de couvert ? Non, c’est Jeanne d’Arc ! » Les collégiens sont répartis en quatre équipes inter-âges, aux noms de héros, pour assurer les services au sein de l’établissement. Vaisselle, nettoyage des classes, gestion du poulailler et du potager font partie intégrante de la pédagogie du collège. Entre deux éclats de rire, Chloé et Laura, élèves de 4e, récupèrent les repas apportés par leurs camarades et font chauffer les plats. « Ça nous responsabilise !, déclare fièrement Chloé, chef de l’équipe Jeanne d’Arc. Il faut donner des consignes aux autres, les calmer parfois… J’interviens s’il y a un problème, et ça me plaît  ! »



Différentes formes d’intelligence


L’après-midi, place aux ateliers : chant, bricolage, couture ou théâtre. « Beaucoup sont manuels, nous voulons valoriser différentes formes d’intelligence », affirme le directeur. C’est aussi l’occasion pour les enseignants, âgés de 23 à 31 ans, de partager leurs passions, et pour les élèves de s’engager dans une activité sur la base du volontariat. Pour Lucas, 11 ans, c’est la couture. Penché avec application sur son ouvrage, l’élève de 6e glisse malicieusement : « J’ai déjà fait un pompon, un coussin, et là, une couverture de cahier. » Au-delà du plaisir de réaliser des objets concrets, « ça m’aide à me concentrer », précise celui qui veut devenir gendarme ou pompier.


Ici, on est loin du chacun pour soi .


« Lucas s’est tout de suite senti bien ici, confirme sa grand-mère venue le récupérer après les cours. Dans une école classique, on nous dit ce qui ne va pas, on retient le négatif. Alors qu’ici, les adultes prennent le côté positif de l’enfant et le valorisent. » Victime de harcèlement dans son précédent collège, comme 80 % des élèves du Cours Clovis, Lucas reconnaît : « Ici, je ne m’inquiète pas. » Notamment grâce au pull bleu que tous les élèves portent sans distinction et sans rechigner : « J’aime bien l’uniforme, on est tous pareils. C’est mieux comme ça, ça évite les critiques. » À 16 h 30, les élèves se réunissent dans la grande salle pour un « débriefing » avec le directeur. « Qu’est-il important de partager et de garder de cette journée ? » demande-t-il. « Pas assez de temps pour le théâtre ! » lance une adolescente. « On réfléchit à passer à deux heures d’atelier l’année prochaine », répond le directeur en échangeant un regard franc avec l’intéressée. « Nous voulons mettre les élèves sur un pied d’égalité avec nous, explique Jean-Baptiste Nouailhac. Ces temps privilégiés et l’usage du vouvoiement conduisent à un vrai respect mutuel. »


15 élèves maximum par classe


« On a l’impression d’être importants pour les professeurs », confirme Chloé. Pour cette élève de 4e, les méthodes du Cours Clovis font leurs preuves : « Avant, j’avais 5 de moyenne en maths. Ici, je suis passée à 12. » Après la première année, « deux tiers des élèves ont progressé significativement sur le plan scolaire, et tous sur le plan de la confiance en soi », analyse le directeur. En septembre prochain, il envisage d’ouvrir une 3e générale et une 3e prépa pro, et passer à 50 collégiens. Mais sans dépasser le nombre de 15 élèves par classe, pour continuer d’apporter à chacun ce dont il a besoin. Autre ambition du Cours Clovis : répliquer ce projet pilote ailleurs sur le territoire, après l’ouverture, dès septembre 2020, d’un autre établissement dans l’Aisne.


Financé par des entreprises et par des mécènes privés, le collège ne fait peser que 10% des frais de scolarité sur les familles, soit en moyenne 40 € mensuels par élève. Afin de pouvoir assurer la pérennité du modèle, et permettre notamment l’organisation des sorties scolaires, la recherche de fonds est une nécessité constante. Les familles savent pouvoir compter sur la solidarité qui règne dans l’établissement, comme en témoigne la grand-mère de Lucas : « Ici, on est loin du chacun pour soi ! »