“Ma femme est enceinte, mais je ne suis pas prêt à être papa“

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« Je vous écris car je viens d’apprendre que ma femme était enceinte.

Nous avions prévu de ne pas avoir d’enfant tout de suite, d’attendre un ou deux ans pour vivre notre vie à deux, faire des voyages, apprendre à vivre ensemble, vivre « librement » avant de s’engager dans une vie de famille.

Cet enfant qui va naître dans 9 mois m’assomme complètement : c’est comme si on me volait mon mariage. Et puis nous sortons juste de cette organisation du mariage, mais aussi de cette joie, et de certaines complications avec nos familles… Je me réjouissais de profiter de ce temps de répit, en prenant du large avec ma femme, en profitant juste simplement de vivre avec elle.

Je précise que j’ai envie de fonder une famille, avec plusieurs enfants, mais tout comme pour le mariage, « chaque chose en son temps ». Or tout se précipite : Je vois déjà les moments où ma femme n’ira pas bien… tout va être centré autour de lui, même notre futur voyage de noces !

Comme si les pleurs, les cacas à nettoyer n’étaient pas suffisants dans quelques mois… Alors qu’on verra moins nos amis, on ne pourra plus voyager, notre travail sera conditionné au bébé (je comptais changer de travail) on va devoir se rapprocher de nos parents (alors que mes beaux-parents se montraient intrusifs dans notre vie de couple). Et puis, je ne sais pas si je saurais être un bon papa. Mais par-dessus tout, je ne veux pas être papa ! Un ami m’a dit une phrase hier pour que je ne me pose plus la question : « tu es déjà père ! ». Alors je le prends sous l’angle du devoir.

Ma femme se réjouit de cette naissance, et est à la fois malheureuse de me voir si triste.

Je souhaiterais moi aussi me réjouir. Mais je ne peux pas. Je reste complètement secoué par la nouvelle.

J’en arrive à comprendre ces hommes qui quittent leur femme quand elle est enceinte.

Je me sens irresponsable : comment à plus de 30 ans nous n’avons pas su régler notre fécondité avec tous les moyens que nous avons ?

Je n’en veux pas à ma femme. Mais j’en veux à l’Eglise de conseiller ces méthodes naturelles, que nous avons suivies et préparées depuis des mois. Je ne vois qu’une solution : je dois parvenir à me réjouir de cette naissance. J’essaie de me convaincre d’avoir l’air moins triste (mais ma femme n’est pas dupe). Pour l’instant, je me suis convaincu simplement d’accepter cette naissance par « devoir » car je ne vois pas comment faire autrement. »


 


> La réponse de Jacques Arènes


Vous décrivez votre désarroi avec honnêteté. Sans cacher à la fois votre désir d’enfant – ou plutôt votre désir de famille – et, en même temps, votre refus quasi épidermique d’attendre cet enfant-là maintenant. Les enfants n’arrivent pas souvent au bon moment. C’est sûr qu’avec le contrôle contemporain des naissances, avoir un enfant non désiré est plus rare mais, en revanche, beaucoup de gens ne comprennent pas que l’enfant ne vienne pas quand ils l’ont décidé. Cela n’est pas complètement une mauvaise chose que d’attendre un enfant à un moment que vous n’avez pas choisi, malgré votre désir général et abstrait – ce qui est souvent le cas avant d’être en face de l’évènement concret de la grossesse – de faire famille. 


Cela n’est pas complètement une mauvaise chose parce que vous avez d’abord à vous accepter comme vous êtes : celui qui n’est pas prêt, qui n’a pas envie, qui n’arrive pas à se glisser dans sa peau de futur père. Il n’y a pas d’un côté les vrais pères, les supermans, ceux qui sont dans les starkings blocks de la paternité et, d’un autre côté, tous les autres qui n’y arrivent pas et ne se seraient pas de bons pères. La réalité est pour tout le monde plus complexe, et ce que vous avez d’abord à habiter, et ce d’une manière tenace, est votre imperfection. Voilà au moins une illusion dont vous êtes maintenant débarrassé : celle du père parfait !


En attendant vous pouvez tout lui dire à votre épouse. Pas pour lui gâcher sa grossesse, mais pour avancer tous les deux. Vous avez raison : il arrive souvent que l’enfant prenne trop de place et empêche la vie conjugale, et même si elle se sent plus prête que vous, votre femme va expérimenter elle aussi pas mal de changement intérieurs, et il est possible qu’elle se centre trop – comme vos parents respectifs – autour du bambin à venir. Il est aussi possible qu’elle soit en difficulté après l’accouchement. Elle non plus ne sera pas une mère parfaite. L’essentiel est pour vous deux de rester ensemble. 


Dites-lui que vous souhaitez demeurer un couple aimant et amoureux, et vous extraire des avis et des attentes des uns et des autres autour de vous. Et essayez dès maintenant de continuer à vivre à plein tous deux cette vie de couple si nouvelle, si intense. La grossesse n’empêche pas la libido… C’est un enjeu, que vous pouvez « travailler » ensemble de faire en sorte que le petit qui arrive n’empêche pas la mise en place encore plus réelle, encore plus forte de votre couple. Il s’agit donc d’y être attentif avec elle.


Par ailleurs, il y a quelque chose qui se réveille en vous à l’annonce de cette première paternité, un sentiment d’angoisse devant la responsabilité, devant ce que c’est d’être père. Au début, on ne sait pas trop et, du coup, la tâche paraît immense. Avant d’être père, vous êtes d’abord fils. J’imagine la filiation comme une « forme » qui grandit en nous et que nous recevons en partie des générations précédentes. Vous êtes déjà fils et cette « forme » de filiation vous relie à ceux qui vous précèdent : vos parents et plus particulièrement votre père, votre grand-père. En même temps, cela deviendra pour vous une « forme » très originale qui sera l’expression de votre propre singularité. Qu’est-ce qui s’est légué venant d’eux, ceux qui vous ont précédé, qu’est-ce que vous avez transformé de ce que vous avez reçu ? Comment au fond êtes-vous devenu fils (au sens profond du terme) ? 


Tout cela est présent en cet enfant qui s’annonce, enfant dont l’image encore imprécise condense et résume – en tous cas à travers l’angoisse qui préside à ce début de grossesse – votre filiation non encore achevée. Cela mérite un peu de temps que de réfléchir à ces angoisses, et à la manière dont elles reflètent ce que vous avez reçu ou, au contraire, ce que vous n’avez pas reçu. Rassurez-vous : on n’est jamais complètement fils, et, de la même manière, on n’est jamais complètement père. On se glisse peu à peu dans un rôle qui finira par nous habiter, et que nous léguerons aux générations suivantes.


Vous avez de toute façon complètement raison de prendre une attention particulière pour votre couple. C’est cela qui est essentiel. Vous êtes chrétien, et la Bible le décrit avec force et poésie en son premier livre : ce qui est premier est l’alliance et pas la filiation ; vous avez rencontré cette autre qu’est votre femme, et son énigme qui vous sort de vous-même et vous donne du désir pour elle et pour la vie elle-même. Votre enfant à venir ne doit pas être placé en premier. Il vous sera essentiel, à vous comme à elle, mais le moteur, l’énergie de l’édifice, le désir qui l’anime reposeront sur votre couple. Votre enfant, vous ne souhaitez pas passer toute votre vie avec lui. Un jour il s’en ira, et c’est bien. En revanche, j’imagine que vous désirez ardemment traverser votre existence avec votre épouse…


 


Posez vos questions à Jacques Arènes


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Adressez-les à Jacques Arènes, psychologue et psychanalyste :


> Par e-mail en écrivant à j.arenes@lavie.fr

> Par courrier postal en écrivant à Jacques Arènes, La Vie, 80 boulevard Auguste-Blanqui, 75013 Paris.


Chaque semaine, Jacques Arènes publie sa réponse à une des questions sur notre site internet.

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Questions de vie