Nuits des étoiles : Faut-il sanctuariser l’espace ?

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Pluie d’étoiles filantes, voie lactée, Mars… Chaque année, les nuits d’août offrent un spectacle d’une rare beauté à qui veut bien lever les yeux vers le ciel. A condition de sortir des zones éclairées, notamment les villes. Du 7 au 9 aout, l’Association française d’astronomie (Afa) propose sa 30e édition des « Nuits des étoiles » en partenariat avec le Centre national d’études spatiales (Cnes). Au programme : 266 manifestations dans toute la France et un guide en ligne pour suivre la progression des planètes et des étoiles.


Cette année, les conditions s’annoncent parfaites. Outre le fait que le ciel est dégagé et que la nuit ne devrait pas être trop fraîche en raison de la canicule, la planète Mars sera particulièrement proche de la Terre et en même temps haut dans l’horizon – une combinaison qui ne se produit qu’une fois tous les 10 ou 15 ans selon les experts du Cnes. Sa lueur rougeâtre sera donc particulièrement visible à l’œil nu. Suivra, du 10 au 15 août, la pluie des Perséides, tant attendue des férus d’astronomie et autres campeurs à la belle étoile, également appelée « larmes de Saint Laurent » (du nom d’un martyr ayant subi un supplice particulièrement douloureux fêté le 10 août). Cette pluie annuelle d’étoiles filantes est due à un ensemble de débris de comètes qui s’enflamment en entrant dans l’atmosphère terrestre.


Objectif Mars : Et ça repart !


Des grappes de satellites


Malheureusement, plusieurs menaces pèsent sur ce patrimoine commun. En premier lieu, l’éclairage urbain, visible à des kilomètres à la ronde. Depuis longtemps, l’Afa mène des campagnes de sensibilisation contre cette « pollution lumineuse » terrestre, nuisible aux observateurs comme à la faune et la flore. Des « réserves de ciel étoilé » sont même créées depuis 2013 en France par l’International Dark-sky association (IDA).


Le parc national des Cévennes, la plus grande “réserve de ciel étoilé” d’Europe


Mais depuis 2019, une nouvelle menace inquiète les amateurs et les professionnels de l’observation du ciel : la multiplication des satellites en orbite basse et en particulier le projet Starlink. Il s’agit de l’envoi, par grappes de 60 environ, de plus de 40.000 satellites par la société d’Elon Musk, Space X, afin d’améliorer la couverture internet haut débit sur Terre à bas coût. Du jamais vu. Une centaine a déjà été envoyée. Par moments, on peut les apercevoir à l’œil nu : des dizaines de points lumineux à la queue leu leu traversant le ciel à vitesse constante.


« Est-ce que le ciel nocturne va être observable à long terme ? », se demande Clément Plantureux, coorganisateur des Nuits des étoiles à l’Afa. Plus d’un millier de satellites tournent déjà en orbite basse autour de la terre. Mais la cadence de lancement s’est fortement accélérée à partir de 2017, comme le note l’Union of concern scientist (UCS). « Si on ne fait rien, d’ici quelques années, lorsque nous lèverons les yeux vers le ciel nous verrons plus de points lumineux artificiels que d’étoiles ! », s’inquiétait l’astrophysicien Hubert Reeves dans une tribune au Point. 


Inquiétude des chercheurs


« Les astronomes professionnels sont extrêmement inquiets », indique Michel Viso, responsable de l’exobiologie au Cnes, qui évoque une « appropriation du ciel par Starlink ». « Ce sont des méga-constellations de satellites qui vont donc potentiellement occuper une partie importante du champ des télescopes », détaille-t-il. Rien à voir avec les lancements de dizaines de satellites distincts jusque là opérés par les agences spatiales nationales ou internationales. « Les objets célestes observés ont une luminosité très faible. Et à partir de ces observations, les astronomes font des mesures très précises comme le calcul du spectre d’une étoile. Ce travail risque d’être pollué par le spectre de lumière solaire réfléchi par les panneaux des satellites. » L’enjeu est aussi financier : « On est en train de construire au Chili un observatoire qui va couter des milliards d’euros, le Télescope géant européen (EELT, pour European Extremely Large Telescope)… C’est pour faire des observations, pas pour compter les satellites ! », lance Michel Viso.


Au niveau juridique, l’espace extra-atmosphérique, c’est-à-dire le ciel étoilé, est régulé par le traité de l’espace de 1967 qui interdit l’appropriation de cet espace par un État. Auquel s’ajoute, pour l’envoi de satellites, les conventions signées avec l’Union internationale des télécommunications qui gère l’attribution des fréquences des satellites. Et comme aucune réglementation ne donne de limite au nombre d’engins lancés dans l’espace, tout se joue donc au niveau de l’État qui autorise ou non le lancement des satellites. « Normalement les États contrôlent ce que font les entreprises privées, explique Michel Viso. Mais si un État donne des autorisations anormales, il faudrait que les autres États protestent par voie diplomatique. Or pour l’instant, rien ne se passe vraiment. »


Amer, l’astrophysicien Aurélien Barrau, également militant écologiste, ironisait dans une tribune au magazine de la fondation Goodplanet : « Réussir à souiller le ciel lui-même, qui semble donc bel et bien appartenir maintenant aux entreprises, ruiner son irremplaçable charge symbolique, est un “exploit” qui laisse rêveur. »


La conquête spatiale est-elle anti-écologique ?

Nuits des étoiles : Faut-il sanctuariser l’espace ?

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Pluie d’étoiles filantes, voie lactée, Mars… Chaque année, les nuits d’août offrent un spectacle d’une rare beauté à qui veut bien lever les yeux vers le ciel. A condition de sortir des zones éclairées, notamment les villes. Du 7 au 9 aout, l’Association française d’astronomie (Afa) propose sa 30e édition des « Nuits des étoiles » en partenariat avec le Centre national d’études spatiales (Cnes). Au programme : 266 manifestations dans toute la France et un guide en ligne pour suivre la progression des planètes et des étoiles.


Cette année, les conditions s’annoncent parfaites. Outre le fait que le ciel est dégagé et que la nuit ne devrait pas être trop fraîche en raison de la canicule, la planète Mars sera particulièrement proche de la Terre et en même temps haut dans l’horizon – une combinaison qui ne se produit qu’une fois tous les 10 ou 15 ans selon les experts du Cnes. Sa lueur rougeâtre sera donc particulièrement visible à l’œil nu. Suivra, du 10 au 15 août, la pluie des Perséides, tant attendue des férus d’astronomie et autres campeurs à la belle étoile, également appelée « larmes de Saint Laurent » (du nom d’un martyr ayant subi un supplice particulièrement douloureux fêté le 10 août). Cette pluie annuelle d’étoiles filantes est due à un ensemble de débris de comètes qui s’enflamment en entrant dans l’atmosphère terrestre.


Objectif Mars : Et ça repart !


Des grappes de satellites


Malheureusement, plusieurs menaces pèsent sur ce patrimoine commun. En premier lieu, l’éclairage urbain, visible à des kilomètres à la ronde. Depuis longtemps, l’Afa mène des campagnes de sensibilisation contre cette « pollution lumineuse » terrestre, nuisible aux observateurs comme à la faune et la flore. Des « réserves de ciel étoilé » sont même créées depuis 2013 en France par l’International Dark-sky association (IDA).


Le parc national des Cévennes, la plus grande “réserve de ciel étoilé” d’Europe


Mais depuis 2019, une nouvelle menace inquiète les amateurs et les professionnels de l’observation du ciel : la multiplication des satellites en orbite basse et en particulier le projet Starlink. Il s’agit de l’envoi, par grappes de 60 environ, de plus de 40.000 satellites par la société d’Elon Musk, Space X, afin d’améliorer la couverture internet haut débit sur Terre à bas coût. Du jamais vu. Une centaine a déjà été envoyée. Par moments, on peut les apercevoir à l’œil nu : des dizaines de points lumineux à la queue leu leu traversant le ciel à vitesse constante.


« Est-ce que le ciel nocturne va être observable à long terme ? », se demande Clément Plantureux, coorganisateur des Nuits des étoiles à l’Afa. Plus d’un millier de satellites tournent déjà en orbite basse autour de la terre. Mais la cadence de lancement s’est fortement accélérée à partir de 2017, comme le note l’Union of concern scientist (UCS). « Si on ne fait rien, d’ici quelques années, lorsque nous lèverons les yeux vers le ciel nous verrons plus de points lumineux artificiels que d’étoiles ! », s’inquiétait l’astrophysicien Hubert Reeves dans une tribune au Point. 


Inquiétude des chercheurs


« Les astronomes professionnels sont extrêmement inquiets », indique Michel Viso, responsable de l’exobiologie au Cnes, qui évoque une « appropriation du ciel par Starlink ». « Ce sont des méga-constellations de satellites qui vont donc potentiellement occuper une partie importante du champ des télescopes », détaille-t-il. Rien à voir avec les lancements de dizaines de satellites distincts jusque là opérés par les agences spatiales nationales ou internationales. « Les objets célestes observés ont une luminosité très faible. Et à partir de ces observations, les astronomes font des mesures très précises comme le calcul du spectre d’une étoile. Ce travail risque d’être pollué par le spectre de lumière solaire réfléchi par les panneaux des satellites. » L’enjeu est aussi financier : « On est en train de construire au Chili un observatoire qui va couter des milliards d’euros, le Télescope géant européen (EELT, pour European Extremely Large Telescope)… C’est pour faire des observations, pas pour compter les satellites ! », lance Michel Viso.


Au niveau juridique, l’espace extra-atmosphérique, c’est-à-dire le ciel étoilé, est régulé par le traité de l’espace de 1967 qui interdit l’appropriation de cet espace par un État. Auquel s’ajoute, pour l’envoi de satellites, les conventions signées avec l’Union internationale des télécommunications qui gère l’attribution des fréquences des satellites. Et comme aucune réglementation ne donne de limite au nombre d’engins lancés dans l’espace, tout se joue donc au niveau de l’État qui autorise ou non le lancement des satellites. « Normalement les États contrôlent ce que font les entreprises privées, explique Michel Viso. Mais si un État donne des autorisations anormales, il faudrait que les autres États protestent par voie diplomatique. Or pour l’instant, rien ne se passe vraiment. »


Amer, l’astrophysicien Aurélien Barrau, également militant écologiste, ironisait dans une tribune au magazine de la fondation Goodplanet : « Réussir à souiller le ciel lui-même, qui semble donc bel et bien appartenir maintenant aux entreprises, ruiner son irremplaçable charge symbolique, est un “exploit” qui laisse rêveur. »


La conquête spatiale est-elle anti-écologique ?