“J’ai 14 ans et j’ai peur de rater ma vie“

Standard
  • Partager par Facebook
  • Partager sur Twitter
  • Envoyer par email
  • Version imprimable


« Je vous écris pour savoir si c’est normal ce que je ressens. Voilà, j’ai 14 ans et peut-être que c’est qu’un passage mais j’ai vraiment peur, j’ai peur de mon avenir, peur de pas réussir dans la vie je ne me vois aucun avenir, je vois juste du noir. J’ai la conviction que tout ce que j’essaierai de faire va échouer. Je sais que c’est peut-être débile mais je me dis que mourir serait mieux, car je n’aurais plus à m’inquiéter pour mon avenir. Je n’aurais plus à avoir peur de finir pauvre, je n’aurais plus à craindre le prochain examen à passer, et je n’aurais plus à me dire que si je le rate ma vie entière sera fichue.

J’espère que vous allez me répondre.

Ambre. »


> La réponse de Jacques Arènes :


Répondre à votre angoisse : quel défi ! Je devrais vous donner ainsi les bonnes raisons de ne pas mourir. Et mieux encore, vous indiquer de très bonnes raisons de continuer à vivre. Cela m’est difficile. Je suis comme la plupart des gens, je continue à vivre sans savoir complètement pourquoi, au fond parce que je n’ai rien d’autre sous la main que la vie : la mort est pour moi abstraite. La seule « vérité », celle que je peux sentir et toucher, celle dont je peux témoigner est celle de la vie. Il n’empêche que c’est une vérité parfois douloureuse. La vie nous donne des satisfactions, mais elle aussi chienne – ou louve – avec nous. Elle nous mord et nous blesse, mais elle est en même temps ardente, puissante, exaltante. La mort est aussi sans doute abstraite pour vous : vous y projetez le désir d’être enfin au repos, sans angoisse. Mais, comme moi, vous ne savez rien de ce qui se passe après.


Vous évoquez surtout la dimension temporelle de l’existence. Vivre, c’est être plongé dans le temps. La temporalité humaine est pétrie d’inquiétude, d’anticipation. Notre présent n’est pas vide : il est même plein de ce que nous reconstruisons du passé, et de ce que nous anticipons de l’avenir. Le présent constitue au fond tout un « travail », parce qu’il est lourd de toutes ces constructions que nous effectuons, sans même le vouloir. D’où votre peur que vous racontez très bien. Pour vous, tout est peur, et l’avenir se présente seulement sous le signe de la menace, en particulier celle de la pauvreté. Le mot « pauvreté » est surchargé de significations : il résonne avec dénuement, solitude, détresse, et, bien sûr, manque d’avenir.  Vous aurez, comme tout le monde, sûrement des échecs – et des réussites – mais ce qui ne va pas pour vous, c’est que vous imaginez qu’un échec éventuel va faire échouer l’ensemble de votre existence (« si je le rate ma vie entière sera fichue »).


Ce type de pensée est problématique. Cela n’est pas « anormal » – cela arrive à certains, et peut-être à tous à certains moments l’existence – mais c’est paralysant. Le futur immédiat (l’échec éventuel) envahit le présent, et vous empêcherait de continuer. Vous êtes adolescente, et, à votre âge, ce futur immédiat est difficile à penser et à pratiquer. Une erreur, un déboire, et tout est remis en cause. Vous commencez à habiter un corps d’adulte, et une partie de vous est encore en arrière, du côté de l’enfance et de ses sécurités. Vous êtes une voyageuse du temps, qui passe sa tête dans une nouvelle dimension qu’elle a du mal à comprendre et à assimiler. C’est d’abord cette transformation qui est à expérimenter. Ce que vous serez dans 5 ans est en fait inimaginable. La période de l’adolescence est ainsi comme une mort, ouvrant vers de possibles renaissances. Dans les sociétés traditionnelles, elle est marquée par des rites de passages, accompagnés par le monde adulte, rites qui miment cette « mort » à l’enfance et cette renaissance à l’âge adulte. Notre civilisation est plus libre et plus solitaire, et les ados y ont souvent l’impression de s’initier seuls, de s’« auto-initier » en quelque sorte.


L’idéal est en fait de ne pas être (trop) isolée. Essayez de vous appuyer sur l’échange et le témoignage de ceux ou celles de votre âge. N’oubliez pas aussi de vous laisser accompagner par les adultes qui sont importants pour vous. Les parents ne sont pas toujours les mieux placés, mais d’autres existent peut-être. Un psychologue pourrait aussi vous aider. Vous ne pouvez pas savoir l’avenir. Vous avez donc à apprivoiser l’incertitude, qui n’est pas seulement une menace, mais qui pourrait être aussi un espace de création. C’est effrayant de penser que rien n’est joué, et que beaucoup de choses sont encore à créer. En même temps, la « mort » que vous avez à expérimenter n’est pas celle que vous imaginez. Mourir aux certitudes de l’enfance est comme un accouchement douloureux. On l’accepte parce qu’une nouveauté pourrait advenir. Il vous faut oser avancer dans l’incertain. Ce qui naitra, de toute façon, vous surprendra. Et les surprises ont parfois du bon. 


 


Posez vos questions à Jacques Arènes


Donner du sens à une épreuve, poser des choix délicats, comprendre une période de la vie… Vous avez des questions existentielles ou spirituelles ?
Adressez-les à Jacques Arènes, psychologue et psychanalyste :


> Par e-mail en écrivant à j.arenes@lavie.fr

> Par courrier postal en écrivant à Jacques Arènes, La Vie, 80 boulevard Auguste-Blanqui, 75013 Paris.


Chaque semaine, Jacques Arènes publie sa réponse à une des questions sur notre site internet.

Retrouvez toutes ses réponses passées dans notre rubrique
Questions de vie

“J’ai 14 ans et j’ai peur de rater ma vie“

Standard
  • Partager par Facebook
  • Partager sur Twitter
  • Envoyer par email
  • Version imprimable


« Je vous écris pour savoir si c’est normal ce que je ressens. Voilà, j’ai 14 ans et peut-être que c’est qu’un passage mais j’ai vraiment peur, j’ai peur de mon avenir, peur de pas réussir dans la vie je ne me vois aucun avenir, je vois juste du noir. J’ai la conviction que tout ce que j’essaierai de faire va échouer. Je sais que c’est peut-être débile mais je me dis que mourir serait mieux, car je n’aurais plus à m’inquiéter pour mon avenir. Je n’aurais plus à avoir peur de finir pauvre, je n’aurais plus à craindre le prochain examen à passer, et je n’aurais plus à me dire que si je le rate ma vie entière sera fichue.

J’espère que vous allez me répondre.

Ambre. »


> La réponse de Jacques Arènes :


Répondre à votre angoisse : quel défi ! Je devrais vous donner ainsi les bonnes raisons de ne pas mourir. Et mieux encore, vous indiquer de très bonnes raisons de continuer à vivre. Cela m’est difficile. Je suis comme la plupart des gens, je continue à vivre sans savoir complètement pourquoi, au fond parce que je n’ai rien d’autre sous la main que la vie : la mort est pour moi abstraite. La seule « vérité », celle que je peux sentir et toucher, celle dont je peux témoigner est celle de la vie. Il n’empêche que c’est une vérité parfois douloureuse. La vie nous donne des satisfactions, mais elle aussi chienne – ou louve – avec nous. Elle nous mord et nous blesse, mais elle est en même temps ardente, puissante, exaltante. La mort est aussi sans doute abstraite pour vous : vous y projetez le désir d’être enfin au repos, sans angoisse. Mais, comme moi, vous ne savez rien de ce qui se passe après.


Vous évoquez surtout la dimension temporelle de l’existence. Vivre, c’est être plongé dans le temps. La temporalité humaine est pétrie d’inquiétude, d’anticipation. Notre présent n’est pas vide : il est même plein de ce que nous reconstruisons du passé, et de ce que nous anticipons de l’avenir. Le présent constitue au fond tout un « travail », parce qu’il est lourd de toutes ces constructions que nous effectuons, sans même le vouloir. D’où votre peur que vous racontez très bien. Pour vous, tout est peur, et l’avenir se présente seulement sous le signe de la menace, en particulier celle de la pauvreté. Le mot « pauvreté » est surchargé de significations : il résonne avec dénuement, solitude, détresse, et, bien sûr, manque d’avenir.  Vous aurez, comme tout le monde, sûrement des échecs – et des réussites – mais ce qui ne va pas pour vous, c’est que vous imaginez qu’un échec éventuel va faire échouer l’ensemble de votre existence (« si je le rate ma vie entière sera fichue »).


Ce type de pensée est problématique. Cela n’est pas « anormal » – cela arrive à certains, et peut-être à tous à certains moments l’existence – mais c’est paralysant. Le futur immédiat (l’échec éventuel) envahit le présent, et vous empêcherait de continuer. Vous êtes adolescente, et, à votre âge, ce futur immédiat est difficile à penser et à pratiquer. Une erreur, un déboire, et tout est remis en cause. Vous commencez à habiter un corps d’adulte, et une partie de vous est encore en arrière, du côté de l’enfance et de ses sécurités. Vous êtes une voyageuse du temps, qui passe sa tête dans une nouvelle dimension qu’elle a du mal à comprendre et à assimiler. C’est d’abord cette transformation qui est à expérimenter. Ce que vous serez dans 5 ans est en fait inimaginable. La période de l’adolescence est ainsi comme une mort, ouvrant vers de possibles renaissances. Dans les sociétés traditionnelles, elle est marquée par des rites de passages, accompagnés par le monde adulte, rites qui miment cette « mort » à l’enfance et cette renaissance à l’âge adulte. Notre civilisation est plus libre et plus solitaire, et les ados y ont souvent l’impression de s’initier seuls, de s’« auto-initier » en quelque sorte.


L’idéal est en fait de ne pas être (trop) isolée. Essayez de vous appuyer sur l’échange et le témoignage de ceux ou celles de votre âge. N’oubliez pas aussi de vous laisser accompagner par les adultes qui sont importants pour vous. Les parents ne sont pas toujours les mieux placés, mais d’autres existent peut-être. Un psychologue pourrait aussi vous aider. Vous ne pouvez pas savoir l’avenir. Vous avez donc à apprivoiser l’incertitude, qui n’est pas seulement une menace, mais qui pourrait être aussi un espace de création. C’est effrayant de penser que rien n’est joué, et que beaucoup de choses sont encore à créer. En même temps, la « mort » que vous avez à expérimenter n’est pas celle que vous imaginez. Mourir aux certitudes de l’enfance est comme un accouchement douloureux. On l’accepte parce qu’une nouveauté pourrait advenir. Il vous faut oser avancer dans l’incertain. Ce qui naitra, de toute façon, vous surprendra. Et les surprises ont parfois du bon. 


 


Posez vos questions à Jacques Arènes


Donner du sens à une épreuve, poser des choix délicats, comprendre une période de la vie… Vous avez des questions existentielles ou spirituelles ?
Adressez-les à Jacques Arènes, psychologue et psychanalyste :


> Par e-mail en écrivant à j.arenes@lavie.fr

> Par courrier postal en écrivant à Jacques Arènes, La Vie, 80 boulevard Auguste-Blanqui, 75013 Paris.


Chaque semaine, Jacques Arènes publie sa réponse à une des questions sur notre site internet.

Retrouvez toutes ses réponses passées dans notre rubrique
Questions de vie