Comment expliquer la guerre aux enfants ?

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Chaque année, le Mémorial de Caen reçoit plus de 10 0 000 scolaires, sur 40 0 000 visiteurs. Sa directrice culturelle et pédagogique, ­Isabelle Bournier, aspire à présenter une vision nuancée de l’Histoire. Elle est auteure, chez ­Casterman, d’albums pour la jeunesse comme la Seconde Guerre mondiale : les faits, les lieux, les hommes (2011) et les Hommes du Jour J (2014).

Que signifie la Seconde Guerre mondiale pour les enfants du XXIe siècle ?

Isabelle Bournier. C’est un événement lointain… La preuve : ils la confondent parfois avec la Première Guerre mondiale ! Il y a quelques années, les grands-parents étaient encore là pour la raconter. Ce récit familial est moins présent aujourd’hui. Dans les programmes scolaires, sa place se réduit. Plus la roue de l’Histoire tourne, plus on simplifie, au risque de caricaturer. Voyez comment on évoque désormais le Moyen Âge, qui couvre dix siècles de notre Histoire… Tout l’enjeu consiste à redonner du temps à l’enfant, car il en faut pour comprendre.

Comment la guerre leur est-elle présentée ?

Le conflit est peut-être moins abordé dans sa chronologie, ses batailles, que dans sa dimension humaine. L’Histoire s’intéresse plus aux civils, aux militaires du rang, qu’aux héros. Sur 40 millions de Français, on estime qu’il y a eu 1 % de collaborateurs et 1 % de résistants. La majorité de la population a surtout tenté de vivre ou de survivre. C’est une caractéristique de cette guerre que d’avoir provoqué plus de morts civils que militaires : 30 millions contre 25 millions. Ce traitement nouveau de l’Histoire fait que le soldat devient un objet d’étude : il n’est plus cette machine sans âme ; on présente ses émotions, ses peurs…

Comment stimuler l’intérêt des enfants ?

La vie quotidienne est une bonne porte d’entrée dans l’Histoire auprès des 9-10 ans. Ils aiment les récits, réels ou fictifs, de l’époque. L’objet les marque également ; il est vecteur d’émotion, il questionne. Le musée expose, par exemple, des chaussures à semelles de bois, qui illustrent bien la pénurie et les restrictions. Les plus grands s’intéressent davantage à l’analyse des documents historiques. En temps de guerre, la propagande est partout, même dans les publications les plus anodines : affiches, journaux pour enfants, presse « régionale » comme le quotidien La Presse cherbourgeoise, qui paraît à partir de ­juillet 1944. Notre rôle est d’éveiller ces jeunes à l’esprit critique. Avec les terminales, nous abordons la notion de mémoire. Les lycéens comprennent que la construction mémorielle est complexe et qu’elle évolue. Il y a la mémoire de la Résistance, la mémoire de la Shoah, la mémoire gaullienne, la mémoire des civils, des militaires, des prisonniers… Chaque mémoire a sa place et renseigne sur une époque.

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Retrouvez l’intégralité de cette interview dans l’édition papier de La Vie, datée du 5 juin, disponible en kiosque ou en version numérique dès mercredi 4 juin

Non, la fête des mères n’est pas une fête pétainiste !

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« Hors de question de célébrer la fête des mères, cette fête pétainiste ! » Qui n’a jamais entendu cette assertion, assénée sur le ton implacable de l’évidence historique. Mais même très répandue, cette idée reste fausse. S’il est exact en effet que le maréchal Pétain a instauré la fête des mères dans le calendrier en 1941 – avant qu’elle ne soit définitivement fixée au quatrième dimanche de mai à partir de 1950 –, ce n’est pas lui qui en est à l’origine.

En 1908 déjà, les Etats-Unis mettent en place un « Mother’s Day ». En France, une fête des mères des familles nombreuses est instaurée dès 1920 par le gouvernement, sous l’éphémère présidence de Paul Deschanel. Le 20 avril 1926 a lieu la première cérémonie officielle avec une remise de « médaille de la famille française ». Le but est alors de récompenser les mères qui ont élevé de nombreux enfants. Et en 1929, la « Journée des mères » est officialisée de façon définitive par les pouvoirs publics au niveau national.

« En France, l’origine de cette journée vient de la saignée démographique engendrée par la Première Guerre mondiale, explique Marion Fontaine, maître de conférence en Histoire contemporaine à l’université d’Avignon. De plus, les autorités sont très craintives face au très faible taux de natalité français depuis la fin du XIXe siècle. A partir de 1919, les gouvernements de la IIIe République mettent en place des politiques natalistes pour repeupler le pays. En plus de la Journée des mères, qui met en avant la maternité, la République instaure des allocations familiales à partir des années 1920 tout en accentuant la répression contre l’avortement et la contraception ».

Une politique mise en place avec d’autant plus de facilité que la France est bien moins peuplée que ses voisins européens, à commencer par l’Allemagne. De plus, la vision traditionnelle de la famille fait largement consensus au sein de la classe politique française. « A l’exception des socialistes et des communistes, la quasi-totalité de l’échiquier politique, de l’extrême-droite aux radicaux, est d’accord pour consolider les vertus familiales et mettre à l’honneur les mères qui mettent au monde des enfants pour la Patrie », précise Serge Berstein, historien spécialiste de la IIIe République et ancien professeur à l’Institut d’études politiques de Paris.

En France, la fête des mères est donc une fête d’origine républicaine. Mais alors comment expliquer que le mythe de la fête pétainiste ait la vie si dure ? « Cela vient du fait que c’est sous Vichy que cette fête a été inscrite dans le calendrier et que le gouvernement de Pétain en a fait une intense propagande », explique Marion Fontaine. Aujourd’hui, il ne reste rien, dans la conscience collective, de cette origine historique mouvementée. « La fête des mères est devenue une fête commerciale tout en demeurant une sorte de symbole de la politique nataliste française, encore en vigueur aujourd’hui », poursuit l’historienne.

Si aujourd’hui cette origine historique est largement oubliée, la fête des mères (associée aux différentes politiques familiales) semble néanmoins avoir rempli son objectif. En 2014, le taux de fécondité français s’élève toujours à un peu moins de deux enfants par femme, alors que la moyenne européenne n’est que de 1,5.

La fête des mères est donc la face émergée des politiques familiales qui ont permis à la France d’avoir l’une des démographie les plus dynamiques d’Europe au XXe siècle. Mais le collier nouille n’est pas une resté cantonné dans nos frontières : aujourd’hui, la fête des mères est célébrée dans près de 130 pays. Et le maréchal Pétain n’y est pour rien.

Météo : que se passe t-il sur Jupiter ?

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La Grande Tache rouge tourne dans l'atmosphère de Jupiter depuis au moins 350 ans. Mais, depuis quelques années, sa taille diminue de façon spectaculaire. On la voit ici photographiée en 2014 par le télescope spatial Hubble. Photo Nasa/ESA/STSCI.

La Grande Tache rouge tourne dans l’atmosphère de Jupiter depuis au moins 350 ans. Mais, depuis quelques années, sa taille diminue de façon spectaculaire. On la voit ici photographiée en 2014 par le télescope spatial Hubble. Photo Nasa/ESA/STSCI.

C’est le phénomène météorologique le plus célèbre et le plus impressionnant de tout le système solaire : un anticyclone gigantesque, qui tourne inlassablement, là-bas, dans les nuages de Jupiter, et que les astronomes ont baptisé la Grande Tache rouge. Découverte à la fin du XIX e siècle, à l’époque bénie où les astronomes exploraient les terrae incognitae du système solaire avec des lunettes géantes, la Grande Tache rouge existe peut-être en réalité depuis plus de trois siècles : elle a été retrouvée sur des dessins de Jean-Dominique Cassini datant de 1665. Un anticyclone perdurant 350 ans durant ? Oui, apparemment, c’est possible, sur cet « astre-tempête » qu’est la plus grande des planètes du système solaire. Jupiter, en effet, est un monde essentiellement fluide, dix fois plus grand et plus de  trois cents fois plus massif que la Terre, quoique peu dense : sa masse volumique est de 1,3. Jupiter est recouvert d’une atmosphère, constituée principalement d’hydrogène et d’hélium, qui circule en bandes nuageuses parallèles, turbulentes et furieuses, guidées par la vitesse de rotation énorme de la planète sur elle-même : un jour, sur Jupiter, dure moins de dix heures… Pas étonnant, à ce rythme, que la planète soit elliptique, et non sphérique.

La Grande Tache rouge, photographiée par la sonde américaine Voyager 1 en 1979. Elle était à l'époque deux fois plus grande qu'aujourd'hui. Photo JPL/Nasa.

La Grande Tache rouge, photographiée par la sonde américaine Voyager 1 en 1979. Elle était à l’époque deux fois plus grande qu’aujourd’hui. Photo JPL/Nasa.

Et, enfin, dans ce chaos de nuages, domine la Grande Tache rouge.  C’est un anticyclone, un système de hautes pressions en rotation, quand les cyclones sont des formations atmosphériques de basses pressions. Si nous pouvions survoler Jupiter de près, nous verrions ce gigantesque système nuageux culminer dix mille mètres au dessus de la couche nuageuse principale de la planète géante. Les vents y soufflent à environ 500 kilomètres-heure, et l’ensemble tourne lentement sur lui-même en six jours environ, soit près de deux semaines joviennes… Elle est rouge, parce que dans les années 1880, la Grande Tache rouge avait effectivement cette teinte assez prononcée, mais qui a changé par la suite, au gré des variations saisonnières, rouge, brune, rosée, saumon, grise… Grise, saumon, rosée, brune, rouge…
A quoi est due cette couleur changeante de la Tache ? Le rouge intense pourrait provenir d’éléments chimiques comme le phosphore ou le soufre, et se sont peut-être les passages de nuages de composition différentes qui expliquent ses variations de couleur au fil des décennies.
Ce gigantesque maelström, en tout cas, est tellement grand que les astronomes amateurs parvenaient, dans les années 1980, à l’observer avec des longues-vues de 50 millimètres de diamètre, grossissant 30 fois, l’auteur de ces lignes s’en souvient encore !
Mais cela, c’était avant. L’adjectif « grande » disparaît peu à peu des articles scientifiques concernant la Tache rouge de Jupiter, car celle-ci ne cesse de diminuer…

En près de cent cinquante ans, notre regard sur Jupiter a bien changé... Mais la Grande Tache rouge a toujours fait partie de ce paysage planétaire. Une certitude : au fil des décennies, la taille de l'anticyclone géant diminue. Photos DR/OMP/Nasa/ESA/STSCI.

En près de cent cinquante ans, notre regard sur Jupiter a bien changé… Mais la Grande Tache rouge a toujours fait partie de ce paysage planétaire. Une certitude : au fil des décennies, la taille de l’anticyclone géant diminue. Photos DR/OMP/Nasa/ESA/STSCI.

Lorsque les astronomes l’ont découverte, en 1878, elle mesurait plus de 40 000 kilomètres, puis, progressivement et insensiblement, elle a diminué de taille… Ces dernières années, le phénomène, observé par des astronomes amateurs dotés de moyens dont auraient rêvé les professionnels il y a un quart de siècle, est devenu tellement visible qu’ils ont alerté les spécialistes. La réponse a été à la hauteur de cette question historique : la Grande Tache rouge va t-elle disparaître ? Une réponse, donc, radicale, puisque les planétologues ont obtenu du temps d’observation avec le télescope spatial Hubble pour observer Jupiter. Verdict : la Tache rouge de Jupiter mesure désormais à peine plus de 15 000 kilomètres !

Sur ces deux images prises par le télescope spatial Hubble, la diminution de taille de la Grande Tache rouge, en moins de vingt ans, est spectaculaire. Photo Nasa/ESA/STSCI.

Sur ces deux images prises par le télescope spatial Hubble, la diminution de taille de la Grande Tache rouge, en moins de vingt ans, est spectaculaire. Photo Nasa/ESA/STSCI.

L’anticyclone le plus stable du système solaire va t-il disparaître ? Va t-il diminuer encore d’importance ? Personne n’en sait rien. Désormais, les astronomes, amateurs comme professionnels, attendent que Jupiter soit de nouveau observable, après sa disparition annuelle derrière le Soleil. La planète géante, qui brille actuellement dans la constellation des Gémeaux, est pratiquement inobservable dans les télescopes parce que trop proche de l’horizon ; de fait, elle va se perdre dans les lueurs du couchant à la fin juin. Quand Jupiter sera de nouveau visible dans la constellation du Cancer à l’automne prochain, nous saurons peut-être si les « Monsieur Météo » du système solaire, dans le futur, pourront, ou non, continuer à nous donner des nouvelles de ce formidable anticyclone qui perdure sur Jupiter depuis trois cent cinquante ans… au moins.
Serge Brunier