Apprendre, oui, mais pourquoi ?

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« On apprend pour vivre, pas l’inverse »

Sylvain Connac, auteur d’Apprendre avec les pédagogies coopératives (ESF éditeur) est maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paul Valéry, à Montpellier. Il interviendra aux États généraux sur le thème « Éduquer à la responsabilité ? »

Voici la question à laquelle tout élève devrait pouvoir répondre autrement que par des poncifs du style « pour avoir un bon métier », « pour faire plaisir à mes parents » ou « pour aider mes enfants à faire leurs devoirs plus tard ».

Mais quel est le sens de l’acte d’apprendre ? Devenir meilleur ? D’accord, mais l’érudition ne garantit pas la bonté humaine. Entrer dans la culture ? Certainement, mais à quoi servirait de vivre au sommet d’une tour d’ivoire des savoirs ? Réussir les concours ? Certainement, mais quelle tristesse, une scolarité ne servant qu’à préparer sa situation d’adulte…

Nous postulons qu’apprendre sert d’abord à transmettre. Les savoirs n’ont de saveur que lorsqu’ils alimentent la relation humaine. À la question «  Vit-on pour apprendre ou apprend-on pour vivre ? », nous optons pour la seconde proposition. Le fonctionnement d’une classe est alors bousculé. La coopération entre élèves s’active pour construire un réseau d’échanges de savoirs.

Les élèves sont autorisés à travailler à plusieurs et à s’aider. Ils travaillent à plusieurs face à des problèmes qu’aucun n’a su résoudre individuellement, ce qui conduit à réfléchir et se confronter à de nouvelles idées. Ils s’aident lorsque le besoin émerge, pour une consigne non comprise ou une question a priori insoluble si l’on est seul. Ainsi, ceux qui se font aider obtiennent des réponses à des questions qu’ils se posent, là où l’école magistrale essaie de répondre à des questions que les élèves ne se posent pas. Ceux qui aident se mobilisent pour faire un geste altruiste. À noter que c’est souvent ceux-ci qui apprennent le plus.

Il est cependant nécessaire que les élèves aient été préalablement formés aux attendus des gestes coopératifs et que l’enseignant ait construit une discipline de travail qui favorise le calme dans les échanges. À ce moment-là, les jeunes sauront pourquoi ils viennent au collège : pour apprendre, coopérer, échanger et ainsi, encore mieux apprendre.

« La finalité, c’est la construction de l’individu »

Michel Lussault est président du Conseil supérieur des programmes et directeur de l’Institut français de l’éducation. Il interviendra aux États généraux du christianisme, sur le thème « Peut-on réformer l’école ? »

À l’âge du collège, les jeunes sont confrontés à des changements très profonds de leur personnalité. Ils sont soumis à d’intenses sollicitations de la société des médias et de consommation. Tout cela est normal : l’attirance des adolescents pour ce qui se situe hors de l’école et la contestation de l’autorité ont toujours été ! Leurs relations aux programmes scolaires sont forcément ambiguës. La nostalgie d’une école pleine d’ados le doigt sur la couture du pantalon est une image d’Épinal : ce collège-là n’a jamais existé.

Au Conseil supérieur des programmes, nous n’avons pas postulé un dégoût des élèves pour les apprentissages. Dans les classes de maternelle et de primaire, l’appétit reste intact. Et chez les ados, la volonté d’apprendre est toujours là. Nous avons préféré insister sur l’engagement. Le défi consiste à mobiliser les élèves, corps et esprit, pour qu’ils acceptent de s’engager, de mobiliser leurs connaissances antérieures, scolaires, mais aussi ce qu’ils ont appris en dehors, dans leur famille et leurs activités extrascolaires.

L’apprentissage ne présuppose pas la passion ni l’engagement une appétence systématique. Il m’est arrivé de m’engager sans en avoir le goût, d’apprendre en m’ennuyant. On peut apprendre quelque chose qu’on ne goûte pas dès lors que la finalité vous apparaît clairement. La finalité de l’école, c’est la construction de l’individu, son épanouissement, sa capacité à faire des choix libres dans la société, la découverte possible de choses que l’on ne connaît pas.

Plutôt que du dégoût, nous observons chez les élèves en difficulté de grands handicaps linguistiques (et non cognitifs, car nous réfutons l’idée que certains seraient plus bêtes que d’autres) et une vraie fragilité sur les méthodes. Sur ces points, la réforme du collège s’engage clairement. La recherche de l’engagement des élèves doit être poursuivie malgré et même à cause de la grande hétérogénéité des élèves. C’est difficile, mais quel autre choix avonsnous ? Que risque-t-on à essayer ? Les bons élèves n’en deviendront pas moins bons. On « risque » juste de voir des élèves faibles devenir meilleurs. Cessons de nous lamenter sur les conditions de notre contemporanéité. Incorporons-y plutôt nos idéaux.

« Il faut bâtir une école des intelligences multiples »

Jean-Michel Blanquer est ancien directeur général de l’enseignement scolaire, directeur de l’Essec et auteur de l’École de la vie (Odile Jacob). Il interviendra aux États généraux du christianisme sur le thème « Peut-on réformer l’école ? »

L ’éducation est consubstantielle à la condition humaine. Toute personne naît démunie mais riche d’un grand potentiel cognitif et émotionnel. C’est l’entourage, la formation par les autres qui vont lui permettre de s’élever. De ce fait, toute éducation est une éducation à la liberté. Il y a donc une relation directe entre la condition humaine, la liberté et l’éducation. C’est la principale réponse à la question « Pourquoi apprendre ? »

Mais cette raison profonde n’est pas toujours immédiatement compréhensible. C’est pourquoi les méthodes et les formes de l’éducation doivent tenir compte de la particularité de chacun. D’un côté, on doit garantir à tous un socle commun de savoirs et de savoir-faire. De l’autre, il faut dessiner des chemins particuliers tenant compte de la diversité des personnes. Il faut donc bâtir une école des intelligences multiples. La véritable égalité consiste à pousser chacun vers  son excellence.  Il faut sortir des débats binaires, des oppositions factices, des prises de position caricaturales, et conjuguer des termes qui nous semblent si opposés, en France  : tradition et modernité, rigueur et liberté, exigence et bienveillance. C’est tout l’enjeu d’adopter une pédagogie différenciée, personnalisée, qui encourage l’élève et lui permette d’avancer à son rythme.

Ainsi, je préconise des parcours à géométrie variable au collège. Pourquoi ne pas remplacer les niveaux de 6e , 5e , 4e , 3e , par un cycle entier organisé en groupes de niveaux, en mathématiques, français, langues étrangères, etc.  ? Chacun pourrait progresser davantage dans ses matières fortes et consolider ses bases dans ses matières plus faibles. L’objectif étant toujours qu’il ait acquis le niveau minimum nécessaire, à l’issue de sa scolarité obligatoire.

Cela suppose plus de souplesse dans l’organisation, plus de liberté pour les acteurs de l’enseignement, quand notre système français demeure encore trop rigide et vertical. 

« Les élèves ont besoin de professeurs passionnés »

Jean-Paul Mongin est délégué général de SOS Éducation, association qui prône notamment la méthode syllabique. Il interviendra aux États généraux du christianisme sur le thème « Éduquer à la bienveillance ? »

À en croire la ministre de l’Éducation nationale, les élèves de France s’ennuient. Un peu au primaire, beaucoup au collège, où il serait donc nécessaire de déconstruire les savoirs disciplinaires et d’introduire la fine fleur de l’expérimentation pédagogique, classes inversées et tablettes numé- riques à l’appui, pour activer le premier facteur de la réussite scolaire, à savoir la « motivation pour apprendre ». Encore faudrait-il préciser que c’est dans le rapport au professeur que le désir de connaissance s’enracine et s’oriente – ce que signifiait le beau mot d’instituteur, malheureusement tombé quelque peu en désuétude.

Le meilleur professeur de français n’est pas celui qui guide de façon experte les enfants dans le repérage d’une succession de procédés stylistiques, mais celui qui leur permet une expérience littéraire, l’émerveillement face à la richesse du sens d’un texte. Le professeur de physique aura beau diversifier à l’envi les expériences qu’il propose à ses élèves, les faire travailler de manière collaborative, jeter des ponts entre disciplines, ce qu’il leur transmettra (ou non), c’est son amour de la science. Et je ne connais pas de philosophe qui ne doive sa vocation à la rencontre d’un maître en philosophie. Pour retrouver l’envie d’apprendre, les élèves ont avant tout besoin de professeurs passionnés. Si toutes les méthodes ne se valent certes pas, la fécondité du rapport pédagogique repose d’abord sur la cohérence et l’engagement des équipes éducatives. L’avenir est à une école dont les acteurs (parents d’élèves, professeurs, chefs d’établissement) se choisissent.

> Pour retrouver ces intervenants aux Etats généraux du christianisme, à Strasbourg du 2 au 4 octobre 2015, inscrivez-vous dès maintenant (et gratuitement) en ligne !

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