On sait enfin combien pèse exactement 1 kilogramme !

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La définition du kilogramme manque de précision. Des chercheurs proposent une nouvelle définition (Ph.Sylvain Naudin via Flickr CC BY 2.0)

La définition du kilogramme, qui date de 1889, manque de précision. Des chercheurs proposent de la moderniser (Ph.Sylvain Naudin via Flickr CC BY 2.0)

Quelle est la valeur exacte du kilogramme ? La réponse est frustrante : 1 kg est exactement la masse de l’étalon constitué de 90 % de platine et 10% d’iridium gardé soigneusement au Bureau international des poids et mesures à Paris dans une cloche hermétique sous vide – ce en dépit du fait que cet objet s’altère nécessairement au cours du temps, et donc change de masse.

Or voilà qu’une équipe russo-américaine vient de jeter les bases techniques d’une nouvelle définition bien plus fondamentale et invariante qui associe le kilo au décompte ultra-précis du nombre d’atomes dans un objet. Une aubaine pour la recherche en physique et en cosmologie mais aussi pour l’industrie, et finalement pour tout le domaine des sciences et des technologies.

Combien d’atomes dans 1 kilogramme de silicium ?

Décrivons d’abord les résultats des chercheurs avant d’en analyser l’importance… Sachant que la masse d’un objet, défini comme la quantité de matière contenue, est liée au nombre d’atomes qui le composent et à la masse individuelle de chacun de ces atomes, les chercheurs présentent une nouvelle manière ultra-précise de compter ces atomes, et qui permettrait de se passer de toute balance et étalon grossier.

Sphère de silicium pur de 1 kg du type utilisé par les chercheurs pour compter le nombre d'atomes -The Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation of Australia CC BY-SA 3.0)

Sphère de silicium pur de 1 kg du type utilisé par les chercheurs pour compter le nombre d’atomes (Ph. The Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation of Australia CC BY-SA 3.0)

Concrètement, les chercheurs se sont adonnés au décompte du nombre d’atomes contenus dans une sphère de silicium pur (Si) supposé peser exactement 1 kg. L’intérêt du silicium est qu’il s’ordonne en un cristal très symétrique : ses atomes forment une figure de base, la “maille élémentaire”, qui se répète à l’identique dans toutes les directions. Cette figure de base est un petit cube de 0.5 milliardième de mètre de coté (0.5 nm) dont les huit sommets sont occupés par un atome de Si ainsi que le centre de ses six faces et, pour finir, quatre atomes au centre du cube formant un tétraèdre intérieur :

Représentation en 3D de la maille élémentaire du cristal de silicium : une structure dite "cubique face centrée" (Ph. Ben Mills via Wikicommons, Domaine public)

Représentation en 3D de la maille élémentaire du cristal de silicium : une structure dite “cubique face centrée” (Domaine public)

 

Kilogramme et “nombre d’Avogadro”

En utilisant plusieurs technologies (venant de domaines différents) de mesure du nombre de mailles élémentaires, de la distance entre atomes dans une maille, du rayon de chaque atome, etc. avec des appareils de mesure ultra-sensibles, les chercheurs ont calculé que cette sphère de “1 kg” contenait 602,214082 x 10^21 atomes, soit 602 214,082 milliards de milliards d’atomes. Un décompte qui n’autorise qu’une erreur de 11 atomes par milliard – une incertitude divisée par trois au regard du décompte le plus précis précédemment calculé (2011).

Pour le dire plus crûment, les chercheurs ont évalué le “nombre d’Avogadro“, soit 6,022 x 10 puissance 23 (un nombre donc de 23 chiffres sans virgule), avec une précision jamais atteinte… Ce qui compte dans ce résultat, plus que sa précision intrinsèque, c’est l’utilisation inédite de plusieurs techniques de mesure appuyé sur un grand nombre de résultats obtenus dans différentes branches de la physique fondamentale.

Une définition circulaire ?

Surtout, la précision gagnée par cette méthodologie permettrait à terme de se passer de toute balance (nécessairement calibrée en fonction du poids-étalon sous cloche, donc biaisé) pour relier le kilogramme au seul nombre d’atomes de Si contenus dans la sphère.

A gauche, un prototype du poids-étalon photographié en 1915. A droite, une représentation d'artiste du cylindre (Greg L. via Wikicommons CC BY-SA 3.0)

A gauche, un prototype du poids-étalon photographié en 1915. A droite, une représentation d’artiste du cylindre (Greg L. via Wikicommons CC BY-SA 3.0)

Bien sûr, il existe dans tout cela un petit paradoxe : la masse étant en kilogramme, l’évaluation de la valeur exacte de 1 kg se fait en multipliant le nombre d’atomes de la sphère de silicium (nombre d’Avogadro) par la masse de chaque atome de Si, une masse dont la valeur s’appuie… sur l’unité de mesure définie par le poids-étalon. Bref, on définirait le kg à l’aide de sous-unités du kg, ce qui semble être une définition qui se mord la queue.

Même type de progrès qu’avec les horloges atomiques

Mais pour la physique, il est infiniment plus intéressant de définir le kg en fonction d’un nombre d’atomes (multiplié par la masse de chaque atome) qu’en fonction de la masse d’un gros objet. Pourquoi ? Parce qu’on sait que la masse des atomes est parfaitement invariable (car très liée aux constantes universelles issues des théories fondamentales) : elle ne s’érode ni s’altère comme le fait le poids-étalon.

C’est exactement ce type de changement qu’a subi préalablement la mesure du temps : on est passé d’évaluer la seconde en fonction de l’ombre projetée sur un cadran solaire à l’évaluer en fonction des oscillations internes d’un atome (en l’occurrence, le césium), un phénomène lié également aux constantes universelle et donc invariable.

Unité de mesure = unité de la science et de la technologie

Or, ce n’est qu’à partir de là qu’on a pu commencer à tester les propriétés fondamentales de la matière et de l’espace, et à développer des technologies puissantes, comme le GPS dont nous ne pouvons plus nous passer. Il ne fonctionne que parce que chaque satellite du système marque la seconde exactement de la même manière, à l’aide d’horloges atomiques identiques embarquées à bord.

Finalement, toutes les expériences de physique fondamentale ne vaudraient rien si les chercheurs ne s’accordaient sur la valeur des unités de mesure à l’aide de processus naturels invariables. La recherche deviendrait un dialogue de sourds, et la technologie – qui est la mise en pratique des lois découvertes en recherche – disparaîtrait… On en est pas là, mais avec “l’objectivation” du kilogramme, la technoscience serait parée pour de nouvelles découvertes et inventions.

Román Ikonicoff

 

> Lire aussi :

 

 > Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

  • Kilogramme : le prototype de masse étalon est obsolète – S&V n°1032 – 2003. Le kilogramme est la seule unité de mesure qui n’a pas connue d’amélioration depuis 1889 : il est défini à l’aide d’un étalon gardé au Bureau international des poids et mesures à Paris, alors que les autres unités fondamentales sont définies à l’aide des lois de la physique. Il serait temps de le moderniser.

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  • La mesure du temps : jusqu’ou ? – S&V n°1038 – 2004 – Depuis l’invention du cadran solaire voici 5000 ans, nous avons fait du chemin : aujourd’hui il est possible de mesurer des intervalles de temps de l’ordre de 10 puissance -15 seconde. Mais cela confronte les chercheurs à des problèmes théoriques.

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