Selfies : "Smartphone, ô mon beau Smartphone…"

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Un bouquet de porte-clés dans une main, des perches à selfie dans l’autre, une dizaine de vendeurs à la sauvette déambulent sous les piliers de la tour Eiffel en quête de clients. « Selfie, selfie, selfie », lancent-ils, insistants, à chaque quidam qui passe. Pressés par leurs deux têtes blondes, Jeannette et Patrick, un couple de quadras américains, se laissent tenter. Le temps d’installer leur iPhone sur la petite canne pliante, et la séance de sourires forcés démarre. « Ready ? (Prêts ?) Smiiile ! (Souriez !) », fait le père à sa petite famille en pressant le bouton déclencheur installé sur le manche.

Apparu il y a une dizaine d’années sur les forums de discussion en ligne, l’autoportrait réalisé avec Smartphone s’est répandu comme une traînée de poudre à travers le monde. Aujourd’hui, il séduit aussi bien les adultes que les ados, les anonymes que les célébrités : chanteurs, acteurs, sportifs, ministres…

Se mettre en scène

Même le pape François s’y est mis ! « Se représenter soi-même n’a bien sûr rien de nouveau », rappelle Pauline Escande-Gauquié, maître de conférences au Celsa (Paris-IV Sorbonne). « Toute l’histoire de la peinture depuis l’Antiquité a été marquée par cette pratique. La différence, aujourd’hui, c’est qu’on est dans une véritable logique identitaire. Dans notre société très uniformisée et médiatique, chacun se sent obligé de se mettre en scène pour exister. »

On s’immortalise dans les gradins du Stade de France, sur une plage paradisiaque des antipodes ou aux côtés du dernier chanteur à la mode. En veillant tant bien que mal à se présenter sous un jour avantageux. « Ce qui est chouette avec les selfies, c’est qu’on peut voir tout de suite à quoi on ressemble », se félicite Mélanie, du haut de ses 13 ans. « Si certains clichés sont moches, on peut les supprimer et poster uniquement les meilleurs. »

Une occasion de partage

Chef d’équipe chez Airbus Helicopters à Marignane (Bouches-du-Rhône), Jean-Marc, lui, préfère jouer la carte du naturel ou de l’autodérision. « Je suis quelqu’un de nature », confie ce père de quatre enfants. « J’affiche une grimace ou une mine ridicule ? Peu importe ! Ce qui m’intéresse, c’est de capturer l’instant présent. J’ai été victime d’un infarctus en 2013. Depuis, je croque la vie à pleines dents, et j’essaie de partager ma bonne humeur avec mes amis et proches qui sont dispersés aux quatre coins de la planète. »

« Le selfie ne saurait se réduire à une manifestation de l’ego », insiste Laurent Schmitt, coordinateur du pôle psychiatrie des hôpitaux de Toulouse et auteur du Bal des ego. « Ludique, il est aussi une occasion de partage. » Une forme de lien social version 2.0.

 

« Immortaliser un moment particulier »

« Plus jeune, je prenais des selfies surtout lorsque j’étais seule. Dès que j’en avais envie, j’appuyais sur le déclencheur. Aujourd’hui, je me restreins à quelques occasions : une nouvelle coiffure, un nouveau vêtement, un concert entre amis ou une sortie en amoureux. Le but n’est pas de me montrer personnellement, mais plutôt d’immortaliser un moment particulier et de me fabriquer des souvenirs. Maîtriser la façon de prendre la photo me plaît. Je peux recommencer autant de fois que je le veux sans avoir à importuner qui que ce soit. »

Maïlys, 24 ans, conseillère principale d’éducation dans un collège de la région parisienne

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