Pollution lumineuse : les réverbères nuisent aussi à la biodiversité

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Vue du Champ de Mars, à Paris. L'éclairage artificiel a estompé la frontière entre le jour et la nuit. Mais cette pollution lumineuse a des conséquences pour la biodiversité - Ph. onepointfour/Flickr/CC-BY-2.0

Vue du Champ de Mars, à Paris. L’éclairage artificiel a estompé la frontière entre le jour et la nuit. Mais cette pollution lumineuse a des conséquences pour la biodiversité – Ph. onepointfour/Flickr/CC-BY-2.0

En ville, de nuit, l’éclairage fait vivre les vitrines, briller les ponts, s’illuminer les monuments. A la campagne, il sert surtout à éclairer les routes, mais aussi les églises et les places jusque dans le cœur de la nuit. Bref, il ne fait plus vraiment noir nulle part où des êtres humains habitent ! On savait que certains animaux en souffraient, on découvre à présent que l’impact est massif.

L’alternance jour-nuit s’est estompée

L’éclairage de nuit a connu un boom ces 20 dernières années : en 2012, 11 millions de points lumineux éclairaient la France, soit 89 % de plus qu’en 1992. En moyenne, un endroit donné dans l’Hexagone est éclairé 3300 heures par an, contre 2100 heures il y a vingt ans. Ainsi, si une nuit de pleine lune on mesure à peine 0,2 lux de lumière, un simple réverbère de trottoir produit déjà 5 lux !

Or, en plus de nous avoir retiré du temps de sommeil (on dort 1 heure en moins par jour environ depuis qu’on a accès à l’électricité), l’éclairage artificiel désormais omniprésent influence les cycles jour-nuit, aussi bien dans notre espèce que chez les autres animaux.

Avec quel effet précisément ? Pour la première fois, des experts ont voulu évaluer l’impact global sur la biodiversité. Et leur conclusions, présentées ce mardi 7 juillet, sont inquiétantes : le bilan écologique de l’éclairage est aussi méconnu que lourd.

Toutes les classes d’animaux sont affectées

Sous l’impulsion de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes (ANPCEN), Guillaume Quémard, chercheur à la Mission Economie de la Biodiversité de CDC Biodiversité (une filiale de la Caisse des dépôts), a épluché la littérature scientifique pour en tirer une synthèse des effets de l’éclairage de nuit sur les animaux.

Résultats : des mammifères aux poissons d’eau douce ou salée, en passant par les oiseaux, aucune catégorie d’animaux n’est épargnée. Certes, certaines longueurs d’onde de lumière, c’est à dire les couleurs qui composent le spectre lumineux, font plus de dégâts que d’autres. Il en va ainsi des rayons violets et bleus — ces derniers sont présents en plus grande quantité dans la lumière de certaines lampes, comme les LED — qui s’avèrent nocifs pour l’ensemble des espèces étudiées. Éviter certains types d’éclairage permettrait donc d’épargner l’ensemble des animaux concernés.

Les différentes composantes du spectre lumineux (longueurs d'onde) n'ont pas le même effet sur toutes les espèces. - Ph. ©MEB-ANPCEN 2015.

Les différentes composantes du spectre lumineux (longueurs d’onde) n’ont pas le même effet sur toutes les espèces. – Ph. ©MEB-ANPCEN 2015.

Mais certains animaux subissent des dégâts quelle que soit la composition spectrale de la lumière choisie. Pour elles, du rouge au violet, toutes les radiations lumineuses sont nocives si elles les perçoivent la nuit : c’est le cas des poissons de mer, des amphibiens et des reptiles. Quant aux oiseaux, seule la lumière jaune est sans conséquence pour eux.

Tous ces effets participent, d’après les scientifiques, à la perte plus générale de biodiversité constatée depuis que l’humanité est entrée dans l’ère industrielle, qui est interprétée par certains écologues comme une sixième extinction de masse.

Désorientation, effet barrière, perturbation du cycle nuit-jour… les effets de la pollution lumineuse sont pluriels

Comment expliquer un tel impact de l’éclairage de nuit sur la faune ? “Il y a un effet cumulatif avec les autres pressions qui pèsent déjà sur les animaux”, explique Jean-Philippe Siblet, directeur du service du patrimoine naturel au Muséum national d’histoire naturelle. “Les oiseaux urbains, par exemple, subissent déjà les dégâts de la pollution atmosphérique, du bruit, des bâtiments en verre… Et la pollution lumineuse s’y ajoute”. Principaux incriminés : les chats domestiques, pour qui chasser la nuit est devenu beaucoup plus aisé sous la lumière des lampadaires. “La mortalité cumulée chez ces oiseaux est énorme”, déplore le scientifique.

Quand la nuit n’est pas aussi noire qu’elle devrait l’être, cela peut aussi désorienter complètement les animaux ou créer un effet barrière à leurs déplacements. Par exemple, un lampadaire autour duquel s’affolent les papillons de nuit agrège un ensemble d’animaux qui autrement se déplaceraient ailleurs. De plus, poursuit Jean-Philippe Siblet “les chauves-souris qui accourent pour se nourrir des insectes présents finissent par consacrer trop de temps à l’alimentation et pas assez à la reproduction. La lumière des lampadaires les rend aussi visibles à des prédateurs tels que le faucon pèlerin, qui normalement est diurne !” Sans compter que les insectes enivrés de lumière sont ainsi décimés nuit après nuit.

La pollution lumineuse perturbe les relations proies-prédateurs des chauve-souris (ici, une roussette). - Ph. Steve Garner/Flickr/CC-BY 2.0

La pollution lumineuse perturbe les relations proies-prédateurs des chauve-souris (ici, une roussette). – Ph. Steve Garner/Flickr/CC-BY 2.0

Un troisième mécanisme vient expliquer l’effet néfaste de l’éclairage de nuit, en particulier chez les mammifères. Il est illustré par des études menées par le chercheur Thomas Le Tallec au Muséum : de petits lémuriens appelés microcèbes, exposés à l’éclairage artificiel de nuit, voient leur comportement devenir plus agressif et se reproduire moins fréquemment. L’effet du dérèglement de la sécrétion de mélatonine, une hormone produite par le cerveau, qui régule le cycle nuit-jour dans notre organisme.

Ces résultats résonnent avec d’autres obtenus en étudiant les perturbations de la mélatonine sur l’homme, chez qui le travail de nuit est désormais considéré comme un facteur favorisant le cancer et le vieillissement du cerveau.

Lutter contre la pollution lumineuse serait pourtant simple

Face à un tel constat, l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes préconise plusieurs actions. Par exemple, de mettre en place des “trames écologiques noires”. En parallèle des “trames vertes et bleues” (espaces naturels protégés sur terre et dans les cours d’eau), elles seraient des couloirs continus dans la nature et en ville où l’éclairage serait absent ou fortement limité, permettant à la faune de trouver un refuge où les perturbations sont absentes.

De plus, les experts soulignent que parmi toutes les actions que l’on peut entreprendre pour préserver l’environnement, la lutte à la pollution lumineuse est l’une des plus faciles et économiques à mettre en place. Il s’agirait en effet d’éclairer moins — limitant par là-même les gaspillages — et de remplacer dans la mesure du possible les lampes les plus nocives par d’autres.

—Fiorenza Gracci

 

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