Les nouvelles technologies au secours de l’autisme

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Debout devant l’écran, télécommande à la main, Raphaël, 6 ans, navigue aisément sur la Wii. Teint mat, yeux clairs, il se détourne lorsqu’on l’appelle et répond avec un large sourire : « Mon préféré, c’est l’épée. Taper, c’est gagner ! » Près de lui, la psychologue Coralie Fouinat détaille : « Le jeu Wii Fit favorise motricité et coordination. Avec la Wii, la possibilité de jouer à deux ou à plusieurs développe aussi les habiletés sociales. »

Derrière la piscine de balles colorées, India-Rose frappe dans ses mains et se bouche les oreilles à plusieurs reprises. Revenue à sa table, elle tapote sur un iPad. Cette autiste non verbale de 11 ans découvre l’application Nikitalk. Elle utilisait jusqu’à présent le classeur PECS (Picture Exchange Communication System, « système de communication par échange d’images ») pour s’exprimer. L’enfant désigne des pictogrammes qui, mis bout à bout, forment une phrase : « Je veux… boire… de l’eau. » Même principe avec le support digital, plus pratique, plus fluide, plus enrichi et à la synthèse vocale.

Fondée par M’Hammed Sajidi, président de l’association Vaincre l’autisme, Futuroschool est l’une des 28 structures expérimentales financées par les pouvoirs publics en France. Elle est fondée sur un accompagnement personnalisé et des méthodes comportementales. Chaque enfant dispose d’un ordinateur portable qu’il utilise à son gré comme renforcement. L’un dessinera avec l’application Colormania, l’autre regardera une vidéo ou utilisera un programme sur Powerpoint sur la conscience phonologique ou le genre des noms.

Reconnaître des émotions

« Le multimédia améliore la concentration, diminue les comportements parasites et facilite l’apprentissage », résume Stéphanie Hun, psychologue du Centre de ressources autisme, à Nice. Elle a participé à l’élaboration des logiciels Jestimule, commercialisé depuis 2014, et Sematic, en phase d’expérimentation. « C’est un support prédictible, logique, pour l’enfant avec autisme, qui n’a pas à interpréter le faciès ni l’intonation de son interlocuteur. Fatigabilité et anxiété diminuent. » L’autisme se caractérise notamment par une difficulté de traitement social intuitif. Il peine à prendre en compte la globalité et le contexte. « Souvent, l’enfant focalise sur un détail du visage : un grain de beauté, une pince à cheveux…, reprend la psychologue, il demeure absorbé plusieurs minutes sans rien voir d’autre. Aussi passe-t-il à côté de l’interprétation de l’émotion. »

Le jeu Jestimule lui apprend à reconnaître les émotions sur des avatars, d’après leurs indices (yeux, bouche, gestes), puis dans une réalité virtuelle et enfin sur des photos de visages. Petit à petit, l’enfant parvient à transposer cette reconnaissance dans la vie. Ainsi, un garçon qui disait indifféremment « je suis malade » ou « je suis content » pour exprimer une émotion a appris à l’identifier et à la nommer. Avec ses différents niveaux, Jestimule convient aux enfants avec ou sans langage. Actuellement expérimenté dans une dizaine d’écoles de l’académie de Nice, dans des grandes sections de maternelle, le logiciel Sematic accompagne l’apprentissage de la lecture. Si les retours sont satisfaisants, il sera commercialisé au mois de juin.

Découvrir l’enfant autrement

Nicolas, 8 ans, redouble cette année son CP en milieu ordinaire, dans une école à Lyon. Il connaît plusieurs outils intuitifs et ludiques développés par Auticiel, dont les puzzles et les entraînements logiques, téléchargés sur la tablette familiale. « En prépositionnant les pièces, l’application le conduit à élargir sa vision et évite qu’il se focalise sur certaines seulement, dit son père. En un semestre, il y a pris plaisir, et il est aujourd’hui capable de former un puzzle de 80 pièces dans la vraie vie. Même s’il conserve sa particularité : la plupart des enfants forment d’abord le pourtour, alors que lui commence par assembler les pièces qui vont ensemble. »

L’interaction avec les objets télécommandés est assez surprenante : « Il a su manier un hélicoptère avec dextérité à 6 ans, lui qui a des problèmes d’appréhension de l’espace. Ce sentiment de prendre le pouvoir sur un objet est très valorisant pour Nicolas, souvent en décalage du fait qu’il ne conceptualise pas comme tout le monde. » La technologie permet ainsi de découvrir son enfant autrement : motivé, calme, sans crise ni répétitions, moins perturbé par les stimuli sensoriels.

Apprendre avec le robot

Mais elle améliore aussi l’accompagnement. À Futuroschool, par exemple, toutes les séquences sont filmées. En cas d’incident ou au contraire de situation difficile bien gérée, la personne référente soumet la vidéo aux autres psychologues, puis au superviseur, lors d’une visioconférence hebdomadaire qui dispose d’un réseau international afin d’analyser certains comportements. « La vidéo nous aide à progresser et à mutualiser nos compétences, souligne Coralie Fouinat. Elle peut nous permettre de découvrir le déclencheur d’une crise, imperceptible dans le feu de l’action, comme le bruit d’un marteau-piqueur dans la rue auquel nous n’avons pas prêté attention sur le coup. »

Autre nouvel outil éducatif high-tech : un robot humanoïde. Telle est l’expérience actuellement menée dans deux centres de l’association Autistes sans frontières avec Nao, mis au point par la société Aldebaran. « Il parle, danse, gigote, mais il ne remplacera jamais un éducateur, insiste Vanessa Coutant, éducatrice spécialisée à Saint-Vincent-sur-Jard (85). Nous l’utilisons pour favoriser certains apprentissages, au même titre que d’autres renforçateurs comme le trampoline, le ballon, faire des bulles… » Atteint du syndrome d’Asperger, Angel, 10 ans, est particulièrement réceptif à ce robot orange et blanc haut comme trois pommes. « Derrière mon PC, je tape des phrases que Nao prononce, dit la coordinatrice. Physiquement, il y a peu d’éléments à traiter, excepté les yeux qui s’éclairent. Avec lui, Angel est plus patient, plus motivé, il peut tenir de longues conversations. » Sa camarade Chloé, 10 ans, réalise quant à elle des efforts articulatoires « hallucinants » pour qu’il la comprenne correctement… et lance l’application. Un spectacle a même pu être monté avec des enfants neurotypiques, Nao menant la danse.

L’Agence nationale de la recherche finance actuellement un prototype de logiciel dont l’algorithme détectera l’expressivité des enfants avec autisme et leurs émotions. À l’école, le recours au tableau numérique interactif et à des contenus adéquats représenterait aussi une avancée. Autant de pistes prometteuses, à condition qu’elles n’enferment pas dans un autre monde. « Ces outils permettent de franchir une marche dans l’escalier qui mène à l’intégration, constate Vanessa Coutant. Mais le véritable enjeu demeure la relation humaine et l’interaction avec leur entourage. »


Le spectre de l’autisme :

En France, un enfant sur 100 à 150 naît avec un trouble envahissant du développement (Ted), ce qui représente jusqu’à 8 000 naissances par an. L’estimation du nombre de personnes autistes varie de 450 000 à 600 000 personnes. 40 000 jeunes de moins de 16 ans (soit 77 % des enfants autistes) en âge d’aller à l’école ne sont pas scolarisés. Quelque 37 % sont accueillis dans un institut médico-éducatif ou en hôpital de jour, avec un accompagnement éducatif limité, voire inexistant. Certains recevraient une surprescription de neuroleptiques et d’antidépresseurs, notamment en cas de troubles du comportement. En 2014, seuls 26 347 élèves (soit 20 % des enfants autistes) présentant des troubles du spectre autistique sont scolarisés en milieu ordinaire.

 

Un troisième plan cadre :

Longtemps considéré comme une maladie psychiatrique, l’autisme serait en l’état actuel des recherches une maladie neurologique d’origine génétique avec des déclencheurs biochimiques engendrant un dysfonctionnement neuronal. Il altère la reconnaissance des expressions, des codes sociaux et affectifs, génère hypersensibilité émotionnelle et troubles du comportement. Il recouvre des réalités diverses, de l’absence de langage verbal au syndrome d’Asperger. Le troisième plan autisme (2013-2017), doté de 205 millions d’euros, établit un cadre pour favoriser un diagnostic précoce, dès 18 mois, soutenir une scolarisation adaptée en milieu ordinaire, favoriser l’inclusion dans le monde du travail et la formation des professionnels.

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