En Touraine, un temps de répit entre aidants et aidés

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C’est un ancien hôtel pour retraités du commerce et de l’agroalimentaire converti, après d’importants travaux, en résidence de vacances pour aidants et aidés. Une piscine doublée d’un Jacuzzi, un restaurant prolongé d’une terrasse sous pergola, un vaste jardin avec des transats ici et là, plusieurs salles de jeux. Aidants, aidés et aides-soignants se croisent en bermuda et chemisette à fleurs. L’ambiance est à la décontraction.


« Avant, j’étais tout le temps “speed”. Et là, pendant deux semaines, j’ai vu des aides-soignants parler doucement, écouter, caresser même. Je me suis beaucoup remise en question », raconte Geneviève, qui vient de passer 15 jours en compagnie de son mari, atteint de la maladie à corps de Lewy, une affection neurodégénérative qui présente des similitudes avec la maladie d’Alzheimer. « Quand j’étais assistante de direction, je roulais 200 km par jour, je me levais à 5 heures le matin pour éviter les bouchons et rentrais épuisée. À la fin, j’ai fait un burn-out, eu un accident de voiture… puis la maladie de mon mari s’est déclarée. » Et de préciser : « Ce centre nous permet de ne pas avoir de vigilance constante, qui est épuisante moralement et physiquement. » 


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Un équilibre entre amour et soin


Ouvert en 2015 à Fondettes, près de Tours (Indre-et-Loire), le village Vacances répit familles (VRF) est dédié à l’accueil des adultes qui accompagnent un proche dépendant du fait du handicap, de la maladie ou de l’âge. Il dispose de son personnel médical, en plus de chambres médicalisées : une rareté en France. Son directeur, Patrick Brunerie, résume ainsi la philosophie de l’établissement : « La relation de soin a effacé souvent la relation d’amour. Notre objectif est que cette relation de soin ne soit pas omniprésente au détriment du reste. » 


Ce centre nous permet de ne pas avoir de vigilance constante, qui est épuisante moralement et physiquement.

- Geneviève, une résidente


Au fil des jours se restaure un fonctionnement de couple sans le poids des obligations. Il se dit souvent que 40 % des aidants décèdent avant les aidés, par surmenage et oubli de soi. Charline Rouvre, cadre infirmière coordinatrice, le vérifie au quotidien : « En ce moment, nous avons une aidante qui fait une poussée d’arthrite. Elle n’avait même pas pensé à apporter ses traitements ni son attelle, qui la soulageait. Avec une ordonnance et une pharmacie très réactive, nous les avons trouvés. Il ne manquait rien pour son mari, mais pour elle-même, elle n’avait pas anticipé. C’est révélateur de ces aidants qui font passer l’autre avant eux. » 


Accueillir des vacanciers âgés et souffrant d’une pathologie lourde dans les meilleures conditions nécessite une ­certaine anticipation : « On adapte la quantité des services en fonction du taux de dépendance des vacanciers. Ce besoin est évalué en détail bien avant, par des coups de téléphone de notre médecin coordinateur, puis de notre secrétaire médicale, explique Charline Rouvre. Cela nous permet d’adapter les plannings en fonction des profils des vacanciers. » Un test virologique PCR Covid-19 est effectué sur chaque vacancier deux jours avant son arrivée. 


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Ces séjours peuvent être financés jusqu’à 85 % par les caisses de retraite complémentaire, à raison de deux semaines par an. Et si un reconfinement était à l’ordre du jour, les vacanciers du VRF Fondettes auraient la possibilité de rester. Une éventualité qui n’est pas pour leur déplaire : le premier confinement s’est souvent traduit par une forte diminution des interventions des aides à domicile, augmentant sensiblement la charge de l’aidant. 


Aquagym, shiatsu, balades


Lever, toilette, aide à la prise de repas, soins : ces tâches sont assurées aux horaires qui conviennent le mieux. « Comme ils sont en vacances, le rythme n’est pas le même qu’à leur domicile », détaille le directeur. Le couple peut dormir dans le même lit ou faire chambre à part, dès le début ou en cours de séjour, sans surcoût. L’aide au coucher est même possible jusqu’à 22 h 30, chose inimaginable à domicile, à cause des plannings serrés des auxiliaires de vie. 


Chaque matin, des activités sont proposées pour les aidants, leurs proches dépendants ou les couples réunis. Les séances d’aquagym, de shiatsu, de manucure et autres balades sur le Cher sont affichées dans le hall, sur un tableau blanc. « Connaissez-vous cette plante pour se débarrasser des verrues ? Saviez-vous que le champagne était idéal pour trouver le sommeil ? » À la salle de la Rotonde, belle pièce aux larges baies vitrées donnant sur le jardin, une dame anime un atelier « trucs et astuces » pour une douzaine de vacanciers, repus après un copieux déjeuner. Un moment simple et accessible qui permet de recréer du lien social entre aidants d’ordinaire isolés, tout en stimulant la mémoire des aidés. 


J’avais enfin du temps pour moi, pour me reposer vraiment. Une vraie bulle d’oxygène.

- Marie, une résidente.


Au dîner, c’est de la cuisine de chef. Une accordéoniste et un guitariste fantaisistes passent près des tables pour jouer la sérénade. Les pieds battent la mesure. Comme ceux de Jules, 70 ans, ex-ingénieur automobile, atteint de la maladie d’Alzheimer. « J’avais enfin du temps pour moi, pour me reposer vraiment. Une vraie bulle d’oxygène », résume Marie, son épouse. Le couple avait tenté une cure thermale, mais le séjour s’était révélé plus compliqué que prévu. « Comme Jules a une perte de mémoire immédiate, il se ­perdait dans la maison, ne savait jamais où étaient les pièces. Ici, quand je suis ailleurs, quelqu’un est là pour le guider. »


Les premières vacances en 20 ans


Le couple voisin n’avait pas pris de vacances ensemble depuis 20 ans. « Nous étions allés en Martinique, et son handicap venait de se déclarer. Sur place, les gens étaient adorables, mais rien n’était adapté. Nous sommes restés dans la chambre d’hôtel pendant tout le séjour », se souvient cet ancien salarié d’une grosse cimenterie nantaise. Son épouse vit dans un fauteuil, ne parle pas mais a bonne mine et sourit souvent. Nina, jeune aide-soignante masquée, vient lui caresser l’avant-bras régulièrement. « Elle est formidable et je crois qu’elle est née à Oran », souligne l’aidant, pied-noir par ailleurs.


Vendredi est le jour des départs. Aidants et aidés se retrouvent sur les fauteuils du hall décoré en hommage à Léonard de Vinci. Son château, le Clos Lucé, est une attraction touristique majeure en Touraine. Aide personnalisée à l’autonomie, maisons de répit, groupes de parole, accueils de jour : chaque aidant récapitule les informations glanées au fil des jours, autour d’un dernier apéritif. Des livreurs munis de diables se succèdent pour récupérer des appareils médicaux en tous genres. Ils reviendront dans l’après-midi pour apporter les équipements des nouveaux arrivants. Après un dernier selfie et quelques larmes, tous se promettent de se revoir l’an prochain – comme de vrais vacanciers.


D’autres structures VRF en France : vrf.fr

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