Boris Cyrulnik : “De nouvelles conceptions de la vie vont émerger”

Standard


Au regard de l’histoire, deux formes de conséquences sociales sont à prévoir dans la situation actuelle. Certaines, immédiates, d’autres à effet retardé.


Jusqu’ici, pour la plupart d’entre nous, le virus n’a été visible qu’à travers les médias. Nous ne le connaissons qu’à travers un nombre de morts et de contaminés et des décisions de protection qui nous sont tous les jours annoncées. Nous nous adaptons à un danger invisible, dont nous ne connaissons pas l’origine, si ce n’est l’annonce, par l’OMS, d’une épidémie venue de Chine. Et plus précisément, provenant du foyer d’où sont déjà venues jusqu’à nous beaucoup d’épidémies virales : des grippes mais aussi des épidémies bacillaires, notamment des pestes noires. Toutes les conditions sont réunies pour déclencher des rumeurs. Pour l’instant, il n’y en a pas trop, mais si cela dure… Les Syriens, sans doute les Juifs et bien sûr les Chinois seront accusés d’avoir apporté ce malheur.


D’ailleurs, beaucoup de pays ­ferment déjà leurs frontières, car ce sont toujours les étrangers qui sont accusés d’apporter la peste. Ensuite, plus les médias vont annoncer tous les jours des nombres croissants de morts et de contaminés, plus l’impact économique déjà à l’œuvre sera sévère. Jusqu’à provoquer des pénuries alimentaires et des destructions d’emplois. On verra alors apparaître des changements politiques. De nouvelles conceptions de la vie vont émerger. Et on assistera sans aucun doute à un bouleversement culturel. Chaque fois que se produisent des catastrophes naturelles comme les tremblements de terre, ou bien des accidents écologiques comme les inondations et les propagations de bactéries, sans oublier les guerres, une nouvelle hiérarchie des valeurs, un nouvel « ethos », s’installe.


Au départ, les gens s’adaptent, comme nous le faisons, par résignation. Cela s’est toujours produit, dans toutes les épidémies, de peste ou autres fléaux. D’ailleurs l’épidémie d’encéphalites de 1918 a fait plus de morts encore que la Grande Guerre et comparativement, on n’en parle quasiment jamais, comme si c’était plus acceptable.


Une ferveur à la fois belle et inquiétante


Ensuite, quand la mort frappe à la porte d’à côté, le voisin, des proches, la famille, les expériences passées et les textes anciens le montrent, les sociétés se clivent. Quand la mort devient immédiate, une partie de la population se met habituellement à prier tandis que l’autre se livre à des sortes de bacchanales, avec pour mot d’ordre : vite, jouissons de la vie avant que la mort nous prenne à notre tour. En Haïti, après le tremblement de terre, j’ai vu moi-même des processions de gens habillés de blanc, défiler avec des lampions et entonnant des chants de louange. Ils remerciaient Dieu de leur avoir envoyé cette catastrophe afin de les punir et de leur faire comprendre qu’ils n’étaient pas assez croyants. Cette ferveur était à la fois belle et inquiétante. Une autre partie de la population regroupant ceux que l’on pourrait qualifier de « mécréants » disait : il faut vite faire la fête. Car chaque fois que la société est…

Leave a Reply