Dans l’Orne, des “vignettes Panini” à l’effigie de joueurs locaux pour créer du lien

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« Je t’échange Marie-Thérèse contre Henri ! » C’est un étonnant négoce qui se joue à Saint-Georges-des-Groseillers, dans l’Orne. On y troque, avec des finesses de maquignon, des vignettes autocollantes à collectionner. Un rituel qui ramène les plus anciens, soudain nostalgiques, sur le terrain de l’enfance, lorsqu’ils amassaient avec patience leurs vignettes Panini pour compléter, à force de pioches, un album auréolé de trombines de footballeurs. Mais à Saint-Georges, commune de 3000 âmes, proche de Flers, nul ne pourchasse le portrait de Mbappé, Neymar ou Cavani. On brigue de la figure locale : les joueurs et dirigeants du club de foot, les Léopards de Saint-Georges.


Au total, 200 portraits à dénicher, puis à coller sur les pages d’un livret officiel. Dont ceux du couple Marie-Thérèse et Henri Robic, membres bénévoles du bureau. « À plus de 80 ans, ils sont un peu nos mascottes ! », affirment d’une seule voix Denis Lecornu et Jean-Marie Rochais, réunis ce jour-là dans le club-house du stade municipal, empanaché de fanions et de trophées. Ils président tous deux aux destinées du club amateur normand, fondé en 1968. « Moi, j’ai ta tête en double exemplaire, je n’ai vraiment pas de veine ! », se désole l’un d’eux, en feignant d’être la proie de la guigne. Les vignettes permettent aussi d’échanger des gentillesses.


Une démarche intergénérationnelle


Un joueur, Étienne L’Huissier, défenseur de 27 ans, est à l’origine de cette mise en lumière de Saint-Georges. « J’ai eu cette idée en discutant avec des copains. En 2016, j’avais terminé l’album Panini de l’Euro. Nous avions envie d’un projet fédérateur, capable de rassembler tout le monde », explique-t-il. Privilège inestimable, Étienne bénéficie d’une « vignette or », au cadre doré, tout comme un ami footballeur, Pascal Hébert. « C’est mon petit péché d’orgueil ! Mais en réalité, toutes les vignettes sont faciles à découvrir. Le but est vraiment de susciter l’effervescence, d’impliquer enfants et parents », souligne Étienne. Une démarche fédératrice et intergénérationnelle. Des U7 (6 ans) aux seniors, des bénévoles aux pratiquants de « foot loisir », tous ont leur effigie dans la plaquette des « Léopards » – dont l’écusson rappelle les félins, emblèmes rugissants, dessinés sur le drapeau héraldique normand.


« Nous voulions créer une sorte d’album de famille à l’échelle locale », précise Denis Lecornu. Et ce n’est pas sans fierté qu’il feuillette la plaquette avant de pointer du doigt une page précise. Le quinquagénaire apparaît aux côtés de ses deux fils, également footballeurs, Fabien, 30 ans, et Jérémy, 18 ans. « Ces trois-là, ils forment le triangle d’or des Léopards ! », plaisante Jean-Marie Rochaix, qui se tenait à l’affût du bon mot, comme un renard des surfaces de réparation. 


Un sentiment d’appartenance 


Non loin, dans un local vitré, Kevin Sodreau, éducateur sportif et responsable du pôle formation, et Éric Prieux, qui s’occupe des équipes U7 à U11, préparent les prochaines séances d’entraînement. « À l’heure où l’on déplore la montée de l’individualisme dans notre société, un projet comme celui-ci encourage un sentiment d’appartenance. Grâce à cet album, qui me fait penser aux photos de classe, les jeunes s’identifient à un club, à des couleurs », se félicite Éric. Lui-même a « le sang vert », la teinte de la tunique de ces Léopards qui peuvent se prévaloir d’avoir accroché de leurs griffes un 7e tour de la Coupe de France, à la fin des années 1990. « C’est une idée géniale, je n’avais jamais vu ça auparavant chez des amateurs », s’enthousiasme également Mike Fon Baron, 22 ans. Joueur attaquant, il est actuellement en stage d’éducateur sportif au club, dont une équipe joue en R3 (Régional 3, soit la 8e division). « Je suis originaire du Cameroun. J’ai montré ma photo à tous mes amis. Dans ma famille, depuis qu’ils savent que je suis dans l’album, tout le monde me surnomme “le pro” ! »


Lancé à la mi-décembre, l’album de vignettes, imprimé par la société L’Album du club, spécialisée dans la fabrication de ces plaquettes, a été distribué gratuitement à 350 exemplaires aux membres et aux proches du club. À trois reprises, un photographe est venu à Saint-Georges-des-Groseillers, la commune natale du comédien François Morel, pour prendre des clichés. Les images sont disponibles par pochette de huit vignettes (chaque paquet est vendu 1 euro, le club touche 10 cents) dans quelques commerces de la commune, qui les mettent gracieusement à la disposition de leurs clients. Dans une supérette, où la gérante, Sophie, a installé près de sa caisse la boîte en carton qui renferme un stock de 100 pochettes. Et surtout au bar Le Saint-Georges, place du Commerce, qui parfois se pare des couleurs des Léopards, avec maillots et écharpes déployées. « J’ai déjà épuisé six ou sept boîtes ! C’est une superbe initiative qui fait parler de la commune », apprécie Thierry, le patron. La boîte blanche attend les chalands, posée sur le comptoir, près d’un baby-foot et des tables de bistrot égayées d’une publicité à l’ancienne pour le chocolat Menier. « Ce sont souvent les parents qui viennent, parfois ils ont une liste des vignettes qui leur manquent ! »


D’autres initiatives locales


En trois mois, quelque 22.000 vignettes ont été vendues à Saint-Georges-des-Groseillers. Au stade, qui dispose de trois terrains, les enfants échangent leurs butins dans les vestiaires, après les entraînements du mercredi après-midi et les matchs du week-end. Souvent soutenus dans leur quête des frimousses manquantes par des parents motivés, autrefois collectionneurs obstinés d’albums Panini. L’écho de cette initiative a largement franchi les frontières de la commune. « Mes clients, dans la région, n’arrêtent pas de me parler de ce projet ! », reconnaît Stéphane, 49 ans, joueur en « foot loisir » et chauffeur-livreur.


En France, de plus en plus de clubs sont séduits par la conception d’une brochure personnalisée. L’Association sportive Ugine (ASU) en Savoie, l’Union du football tonnerrois dans l’Yonne, Pont-Audemer dans l’Eure, l’US Pont-de-Beauvoisin en Isère… « Cela permet de renforcer la cohésion et la convivialité, c’est une superbe idée qui rassemble les joueurs, les parents, les supporteurs. Un album crée des moments d’échange qui réunissent toutes les générations, comme la galette des Rois, les barbecues… », se réjouit Gaëtan Le Forestier. En cette fin d’après-midi, ce père de famille, passionné de rugby, accompagne son fils, Rafaël, à son entraînement. À 6 ans, le garçon évolue en U7, au poste de gardien de but. Déjà tout habillé de vert, comme s’il était tombé dans un bain de chlorophylle, Rafaël ne cherche pas à dissimuler son bonheur. Fan de Mbappé et de Hugo Lloris, il connaît par coeur le numéro de sa vignette, la 28. « Je suis fier d’être dans l’album ! Il est presque complet. » Il possède son portrait en quatre exemplaires. Mais il ne l’échange jamais avec ses copains. Avec un large sourire, Rafaël ajoute : « J’ai eu ma tête dans le premier paquet que nous avons acheté ! Un coup de chance. » Il le répète à plusieurs reprises, comme si l’on doutait d’une telle aubaine.

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