Congé pour le décès d’un enfant : “Le deuil devient enfin un vrai sujet”

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Malaise à l’Assemblée nationale. Depuis le 30 janvier, les députés La République en marche et le gouvernement tentent de se dépêtrer d’une polémique sur l’allongement des congés pour le deuil d’un enfant. Le 30 janvier, en effet, les députés La République en marche ont rejeté une proposition de loi, portée par le député UDI Guy Bricout, visant à instaurer un congé de douze jours pour les parents qui viennent de perdre un enfant contre cinq actuellement. Le gouvernement, via la ministre du Travail Muriel Pénicaud, s’était opposé à cette proposition. Les députés de la majorité ont remplacé cette mesure par l’autorisation de poser des jours de congé ou RTT supplémentaires (sur les jours dont la personne dispose déjà) après les 5 jours autorisés et de bénéficier du don de jours de repos de la part des collègues. La ministre avait déploré que le texte porté par Guy Bricout repose sur un congé « payé à 100 % par l’entreprise ». « Quand on s’achète de la générosité à bon prix sur le dos des entreprises, c’est quand même un peu facile », avait ajouté la députée LREM Sereine Mauborgne lors des débats dans l’hémicycle. Indignation générale, des rangs de la droite jusqu’à la France insoumise. Même le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bezieux, a pris le contrepied de la majorité en demandant un nouveau vote.


La ministre a tenté de se défaire de la polémique en lançant une concertation pour « améliorer les mesures de soutien aux parents confrontés au deuil d’un enfant ». Fait rare, l’Elysée a même cru bon de faire savoir que « le président de la République a demandé au gouvernement de faire preuve d’humanité ». La ministre du Travail a reconnu le 1er février auprès de nos confrères de l’AFP, « une erreur ». Avec les députés de la majorité, elle annonce désormais porter « un texte plus ambitieux ». « La mesure pourra être financée par la solidarité nationale, autrement dit la Sécurité sociale, a-t-elle déclaré au Parisien, le 2 février. Est-ce que les entreprises en prendront une part ? Nous allons en parler, toutes les options sont possibles. » Le député UDI Guy Bricout a salué le mea culpa du gouvernement, le 4 février à l’Assemblée : « Nous ne souhaitons pas que cette proposition continue à nourrir les polémiques politiciennes. (…) Nous voulons en revanche continuer à générer une prise de conscience et un élan de générosité sur le sort des parents confrontés à la pire des détresses ». Le texte devrait être amendé au Sénat et revenir ensuite à l’Assemblée pour la deuxième lecture.


Le refus du gouvernement et de la majorité d’allonger le congé pour la perte d’un enfant a suscité l’indignation générale ces derniers jours. Comment avez-vous réagi ?


C’est une très bonne chose, car la question du deuil devient enfin un vrai sujet. En France, on traite de la fin de vie, du handicap, de l’isolement… mais pas du deuil. Aujourd’hui, vu le tollé au parlement et la prise de position du président de la République lui-même, on se rend compte de la place qu’il occupe dans la société et que les Français veulent en parler. C’est le plus grand sujet de souffrance qui soit, mais il est recouvert d’un chape de silence. Nous sommes heureux qu’il accède enfin au débat public, même si les députés de la majorité ont dans un premier temps fait preuve d’une ignorance accablante sur cette question.


Quand on perd son mari ou sa femme, on est veuf ou veuve, quand on perd ses parents, on est orphelin, mais il n’y a pas de mot pour quand on perd un enfant.


Diriez-vous que la question du décès d’un enfant est un tabou ?


Bien sûr. Aujourd’hui quand on perd son mari ou sa femme, on est veuf ou veuve, quand on perd ses parents, on est orphelin, mais il n’y a pas de mot pour quand on perd un enfant. Il y a une grande douleur de ne pas être reconnu et entendu. On a tous envie de bien faire pour accompagner les personnes qui souffrent mais sans savoir comment s’y prendre. Par exemple, on pense souvent que prononcer le nom de l’enfant défunt, c’est rajouter de la peine à la souffrance. C’est faux. Au contraire, la plus grande peur du parent, c’est l’oubli. Il a besoin qu’on continue à faire vivre la mémoire de son enfant.


Aimer les rires et les pleurs après la mort d’un enfant


Votre film documentaire a pourtant été bien reçu par le public…


Au départ, personne ne voulait le diffuser, ni les cinémas ni la télévision. Tous nous ont dit que c’était invendable, que personne ne voulait parler de ce sujet. Nous avons fait une levée de fond, un tour de France avec un camping car, et nous avons fait salle comble dans toutes les villes. C’est devenu la deuxième plus grosse levée de fond après le film Demain. Et il a fini par être diffusé au cinéma. Comme nous ne voulions pas faire un film et laisser tomber les gens après, nous avons voulu créer une plateforme en ligne sur le sujet. Notre site a finalement été soutenu par la Caf et les Pompes funèbres générales. Depuis sa création il y a cinq mois, nous avons compté plus 100.000 vues.


Alors avoir quelques jours de congés supplémentaire, c’est une petite avancée… Mais, il ne faut surtout pas s’arrêter là. 


En cas de décès d’un enfant, faut-il s’arrêter de travailler ou reprendre le travail pour ne pas s’isoler ?


Cela dépend vraiment des gens. On sait que pour certains hommes, il est plus courant d’avoir besoin de travailler intensément, sans forcément verbaliser. D’autres ressentent le besoin de se retrouver en famille. Le processus de deuil est long, incertain, inégal et surtout très individuel. Certains parents peuvent se sentir mieux, puis replonger, avant à nouveau de reprendre pied. Apprivoiser l’absence de son enfant ne peut se faire en quelques semaines, ni même en quelques mois, c’est le deuil d’une vie. Alors avoir quelques jours de congés supplémentaire, c’est une petite avancée… Mais, il ne faut surtout pas s’arrêter là. Le deuil doit devenir un enjeu national qui concerne tout le monde, du simple citoyen, au monde de l’entreprise, en passant par les collectivités et, bien sûr, le gouvernement.


Que proposez-vous pour que le deuil d’un enfant soit mieux pris en charge ?


Avant tout, il faut tout faire pour que la personne endeuillée ne se retrouve pas seule. Il faut qu’elle soit en lien avec quelqu’un d’autre, directement ou bien via un outil numérique. Il faut aussi lancer des campagnes de prévention sur le sujet, car le deuil provoque de nombreuses pathologies : un risque d’addictions plus élevé par exemple. Nous avons besoin d’une formation à tous les niveaux, en premier lieu les médecins, qui n’ont abordé ce sujet que pendant quatre heures durant leurs études, et tous les aidants. En entreprise, un responsable des ressources humaines ne sait pas du tout gérer le deuil d’un collaborateur. C’est pour cela que nous proposons une stratégie nationale sur notre site mieux-traverser-le-deuil.fr, à commencer par des cellules de formation dans les écoles et les entreprises. Cette polémique est révélatrice : nous avons tous besoin de parler de nos deuils. 


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