Matthieu Thabard, poète du levain

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Les rayons du soleil jettent leurs derniers feux sur la cour déserte et bien ordonnée de la ferme de l’Anfrenière, près de Nantes, une ancienne seigneurie du XIe siècle. Il faut s’engouffrer dans le garage sombre pour pénétrer dans le fournil, où règne une douce quiétude. Il y fait chaud, mais sans excès. Une bonne odeur flotte dans la pièce d’une dizaine de mètres carrés. 


Cheveux châtains, regard angélique, vêtu d’une veste blanche de cuisinier ornée d’un épi de blé et d’une croix, Matthieu Thabard pétrit presque avec tendresse des miches de pâte avant de les ranger dans des caissons et de les laisser reposer pendant neuf heures. Passées au four, elles deviendront des pains à la croûte dorée et aux rondeurs presque parfaites. De vraies oeuvres d’art gourmandes. La mie, irrégulière et dense, mêle des goûts de châtaigne et des notes acidulées. On se prend à penser aux phrases du poème le Pain, de Francis Ponge : « La surface du pain est merveilleuse d’abord à cause de cette impression quasi panoramique qu’elle donne : comme si l’on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la cordillère des Andes. » Les gestes du boulanger sont méthodiques, précis, jamais brusques. On sent un goût du travail bien fait, presque une grâce dans le toucher. Comme si le jeune homme de 28 ans maîtrisait cet art depuis la nuit des temps. 


« Pourtant, ce n’était pas dans le programme », ironise cet ingénieur agricole de formation. Il y a trois ans, Matthieu Thabard décide de reprendre la ferme familiale, transmise depuis huit générations. Comme bon nombre de ses contemporains, il veut retourner à la terre, se reconnecter au réel. Son père a dû renoncer à son exploitation de 80 vaches laitières pour des raisons financières. Il l’aide à exploiter 160 ha de cultures bio – blé tendre, seigle, grand épeautre, pois ou féveroles, trèfle violet ou blé poulard dans les rotations. Depuis qu’il a soufflé ses 25 bougies, il y a adjoint l’activité du pain, mitonné à partir d’une dizaine de variétés anciennes produites dans ses champs. Certaines datent d’avant 1880.


Le blé de ses ancêtres


Cette passion du pain, il la découvre par la voie du sensible. Alors qu’il se trouve en Norvège afin de poursuivre ses études d’agroécologie, un de ses amis l’initie à la pratique boulangère : « Il m’a parlé de la poésie du levain, le fait que cette matière soit le fruit d’un simple mélange d’eau et de farine dans des conditions choisies ou non, et qui permet à la vie de surgir spontanément. » À son tour, il se met à mélanger ces ingrédients basiques pour cuisiner sa première boule. Un séjour de deux mois dans les favelas de São Paulo au Brésil apporte à cet enfant d’un couple divorcé une révélation : grâce à des prêtres et des religieuses, ce baptisé, qui depuis s’est fait tatouer une croix de Jérusalem sur l’avant-bras, redécouvre la foi. « J’ai vu la lumière au milieu de la misère », confie-t-il. La parabole du levain dans la pâte de l’Évangile selon Matthieu prend alors sens. « La foi peut resurgir à partir de peu », dit-il. 


De retour en France, il n’a qu’un seul projet en tête : fabriquer son pain à partir du blé de la ferme de ses ancêtres. Pour parfaire ses connaissances, il effectue plusieurs stages en boulangerie à Bourg-en-Bresse, Angers, et un séjour à Lyon, où il étudie l’impact sur les cycles de production. Pendant ces années, il fréquente une boulangerie paysanne à Saint-Julien-en-Genevois (74), qui choisit son blé en fonction de l’écosystème et non pas dans le catalogue des grands groupes agro-industriels. Puis il rejoint la ferme familiale. 


Utilisée sous les Romains, cette matière vivante, mélange de farine et d’eau avait progressivement disparu des fournils au profit de la levure de bière.


Matthieu Thabard commence sa panification modestement. De son petit four, il extrait d’abord 50 à 70 kg par semaine. Deux ans plus tard, la production monte à 400 kg hebdomadaires. Pains de campagne, complet, d’épeautre et un pain spécial qui change chaque saison… Tous sont fermentés avec du levain naturel. Un choix réfléchi qui marque un retour aux méthodes originelles. Utilisée sous les Romains, cette matière vivante, mélange de farine et d’eau, ayant fermenté grâce à l’air et aux bacilles présents dans la farine, avait progressivement disparu des fournils au profit de la levure de bière. Celle-ci fait pourtant perdre la moitié des nutriments du blé et crée des allergies au gluten. Et assure une moins bonne conservation du pain. 


Mais la pâte faite à base de levain naturel colle aux ustensiles. Elle n’est pas adaptée à la boulangerie industrielle. C’est justement avec ce modèle de fabrication que le jeune homme veut rompre. Soucieux de la préservation de la planète et craignant les méfaits de la technique de masse, il se sent appartenir à la génération Laudato si’. « Tout est lié, l’homme et son rapport à la nature », souligne-t-il. Procédant de la même logique, la dimension sociale fait partie de ses préoccupations. « L’humain et la fraternité sont au coeur de mon travail », insiste-t-il. 


Depuis peu, François-Régis, paysagiste, l’aide à mettre la main à la pâte. Bientôt, une autre personne va les rejoindre. « Chacun a son cycle de production, ses acheteurs privilégiés », détaille-t-il. La relation avec le client est d’ailleurs pour la petite équipe de mitrons déterminante. Le jeune boulanger commercialise son pain au marché de producteurs de Saint-Mars-de-Coutais et de villes voisines, par le biais d’associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) locales et chez lui, dans sa ferme. Dans la salle attenante au fournil, sous l’arbre généalogique des Thabard remontant au Moyen Âge, des casiers individuels sont prévus à cet effet. Pour cultiver sa foi dans sa vie agricole et de boulanger, Matthieu Thabard se ressource dans son groupe de réflexion de jeunes professionnels croyants et lors des Journées paysannes, un rassemblement annuel d’agriculteurs chrétiens : « On y parle doctrine sociale de l’Église, de rapport au progrès, à l’environnement… » Outre la viabilité économique de son activité, Matthieu Thabard a un projet qui lui tient à coeur : il aimerait relancer dans sa commune la fête de Saint-Honoré, le patron des boulangers. En attendant, il peut déjà se targuer d’être celui de Saint-Mars-de-Coutais, son village de Loire-Atlantique.

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