Giono sous le soleil d’hiver

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La route qui monte vers Manosque est balayée, ce matin-là, par des trombes d’eau. On trouve refuge au Buffet de la gare, où les quelques clients qui sirotent leur petit noir ne parlent que de la crue de la Durance – une jeune femme dans sa voiture a été emportée par le courant… La Haute-Provence à la morte-saison est bien loin du cliché des cigales et des lavandes. Un pays âpre et violent, traversé par le troupeau des nuages qui s’étirent, laissant poindre bientôt « le petit soleil gris d’hiver », ainsi que l’affectionnait Jean Giono. Sur les collines secouées par un vent de gueux, le feuillage des oliviers est soudain éclaboussé de lumière. Ce grand théâtre tourmenté de la nature, l’auteur du Chant du monde le préférait à tout autre. Et, pour approcher son oeuvre, rien de mieux que cette météo capricieuse et glaciale, selon l’écrivaine Emmanuelle Lambert : « La Provence de Giono est grise et rude, pas nécessairement aimable. La toundra, ou presque. »


La jeune auteure vient d’obtenir le prix Femina essai pour Giono, furioso, dans lequel elle raconte sa redécouverte des écrits du maître pendant les trois années de préparation de l’exposition qui a lieu actuellement au Mucem, à Marseille. Commissaire de cette grande rétrospective, elle raille l’image simplificatrice de l’écrivain provençal, du pâtre de Manosque, ce monsieur à la pipe et au veston de velours, escorté du bêlement des moutons et de ses adorateurs. L’oeuvre de l’écrivain populaire – qui savait, certes, faire vibrer dans ses interviews la corde sensible du pays natal – est hantée par la noirceur et la présence du mal.


Au milieu des chevauchées, des plongeons et des folles aventures, il y a, dans ses romans, les épidémies et les souffrances qui s’abattent, les inondations et les incendies. On y éventre et on y égorge les bêtes, on y assassine les humains, on séquestre, on violente, on empoisonne, on se pend ou on se tire une balle dans la tête – ainsi la jeune amoureuse de Que ma joie demeure et le policier d’Un roi sans divertissement.


À jamais marqué par la guerre


Vous avez dit solaire, Giono ? S’il chante si bien la lumière, c’est au sortir de l’ombre. (…)

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