La langue des signes, une nouvelle mode ?

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Connaissez-vous le chansigne ? Cette discipline consiste à interpréter en langue des signes une chanson, du rap ou encore un chant lyrique. Elle a le vent en poupe sur les scènes. Le public de l’Opéra-orchestre national de Montpellier a ainsi découvert la saison dernière deux comédiens interprétant en langue des signes le livret de Don Pasquale, intégrés au spectacle. Les chansigneurs accompagnent surtout les musiques actuelles. Le festival « Au Foin de la rue », en Mayenne, qui accueille chaque été 200.000 spectateurs accompagne certains morceaux de chansignes du collectif Les Mains Balladeuses. 


« Nous faisons davantage qu’une simple traduction du texte, explique Marina Daubier, membre du collectif, nous cherchons à rendre la mélodie, les émotions dans la voix du chanteur et l’esprit de la chanson, pour aider le public sourd à profiter du concert. » Les personnes sourdes et malentendantes perçoivent en effet la musique, d’une manière qui leur est propre, au travers des vibrations et des sons de basse notamment. ?Quelques minutes de chansigne requièrent un travail conséquent. Laëty Tual, l’une des rares professionnelles, détaille : « Un morceau demande quinze heures de préparation en moyenne. Je cherche d’abord à cerner précisément le sens des mots – l’échange avec l’artiste est alors utile. Ensuite, vient le travail sur les signes : j’amplifie les gestes, je trouve le rythme. J’essaie d’incarner ce que l’on raconte. Enfin, je mémorise l’enchaînement. J’apporte toujours ma patte : c’est un travail artistique. » La jeune femme est de plus en plus sollicitée par des festivals et des salles de concerts qui souhaitent être plus accessibles au public sourd.


?Des entendants séduits


Sur les réseaux sociaux, Facebook et Instagram en particulier, les vidéos de chansigne circulent abondamment. Cela va de la simple traduction réalisée par une étudiante en langue des signes à des clips élaborés avec costumes et décor, en passant par des captations de concerts de rap américains où des interprètes signent à la vitesse de l’éclair. Holly Maniatti s’est par exemple faite connaître en réussissant à suivre le débit de mitraillette du chanteur Eminem. 


Cet engouement n’est pas superficiel comme on pourrait le croire : de nombreux entendants se mettent à la langue des signes française (LSF) par curiosité. Comme Marie-Cécile, 40 ans, consultante en communication, qui a suivi une initiation à la LSF à Avignon. Déjà trilingue, elle fait partie de ceux qui sans avoir de sourds dans leur entourage sont curieux de découvrir leur langue. « Je voulais connaître cette langue qui passe par le corps, confie-t-elle. Cela m’a sensibilisée à la surdité au quotidien et à un rapport au monde différent. » Les jeunes aussi s’y mettent : 3000 lycéens l’ont choisie comme option au bac. 60 lycées proposent en effet des cours de langue des signes. 


Autre signe des temps, les livres et les applications mobiles enseignant des mots en langue des signes à utiliser avec bébé font fureur, pour développer la communication, et l’on forme le personnel des crèches. « On peut parler d’un effet de mode, estime Laëty Tual qui, en vingt ans, a vu évoluer le regard des entendants sur la langue des signes. Cela se comprend. D’abord, c’est une langue réellement magnifique qui met en jeu le corps, le visage, les yeux, et qui, pour les entendants, a un côté exotique. Et puis la communication en vidéo par les réseaux sociaux met en valeur cette langue visuelle. » ?


Une langue à l’histoire mouvementée


Bref, la langue des signes devient tendance. Pourtant si la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » reconnaît la langue des signes française comme « langue à part entière », son usage par les personnes sourdes reste un combat. Sur 300.000 personnes nées sourdes en France, seules 30% d’entre elles la maîtrisent. Un vrai paradoxe ! En fait, le corps médical oriente les enfants sourds vers la filière dite « orale-médicalisée » au détriment de l’apprentissage de la langue des signes.


En France, la communauté sourde pâtit en fait d’une hostilité historique envers la langue des signes. L’historien Yann Cantin, spécialiste du sujet, et sourd lui-même, retrace cet héritage dans l’exposition « Une histoire silencieuse des sourds », présentée au Panthéon. En 1880, au nom de la science et du progrès, on a même interdit l’utilisation de la langue des signes dans l’éducation. « Des spécialistes, entendants pour la plupart, réunis en Congrès à Milan décrétèrent qu’elle était archaïque et empêchait l’émancipation du sourd », explique-t-il. On a réprimé la langue des signes dans la plupart des institutions pour jeunes sourds – jusqu’à attacher les mains des élèves… « Au début du XXe siècle, on a assisté à un désastre sans nom, poursuit l’historien. Le professorat sourd a disparu, la littérature sourde l’a suivi dans l’abîme. Les nouvelles générations se sont trouvées ensuite désarmées face à la dureté de la vie, dans un contexte très défavorable fait d’eugénisme (en…

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