Tu seras une femme, ma fille

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Devenir femme, quelle étape ! Pourtant, selon les traditions familiales, elle n’est pas toujours célébrée. Faut-il marquer le coup lorsque les premières règles surviennent ? Tout dépend du caractère de l’adolescente, du lien qu’elle entretient avec sa mère… Mère de deux filles, Myriam en témoigne : « Pour notre aînée, qui ne fait pas beaucoup de confidences, je l’ai appris après coup, par une amie ! Nous avions participé à l’atelier CycloShow (atelier mère-fille pour évoquer la puberté, ndlr) et elle m’avait précisé qu’elle ne tenait pas à fêter l’événement. » La discrétion fut donc de mise. Pour la seconde, avec qui la communication est plus fluide, cela s’est passé tout autrement : « Elle est aussitôt venue me voir, je me suis réjouie avec elle et nous sommes allées ensemble choisir un beau bijou. Puis son père et moi l’avons emmenée au restaurant. »


Dans certaines familles, le père offre des roses blanches à sa fille. Dans d’autres, les premières menstruations sont saluées par des sarcasmes : « Eh bien ! tu n’as pas fini… » Ces réactions n’ont rien d’anodin. La façon dont l’entourage réagit à l’arrivée des règles en dit long sur le regard posé sur la femme. Syndrome prémenstruel douloureux, désagrément des saignements, sautes d’humeur, sensibilité exacerbée… Il n’est pas étonnant que la féminité soit perçue comme une injuste inégalité face aux hommes et que l’on cherche à la gommer.


La coach Gaëlle Baldassari le reconnaît dans Kiffe ton cycle ! (Larousse) : « Jeune fille puis jeune femme, j’ai caché toute trace de ma cyclicité, elle ne devait avoir aucune influence sur ma vie. » Ce passage n’est pas toujours bien anticipé par les parents. Faute de temps, de mots… Dans le livret le Fil rouge, manuel de tes premières lunes (le-filrouge.fr) qu’elle a traduit et adapté, Blandine Swyngedauw aide à aborder « ce moment sacré de la femme dans certaines traditions » de manière poétique et positive. Cette animatrice de cercles de femmes invite aussi la mère à revisiter sa propre histoire : « Où en est-elle elle-même à l’égard de son corps, de ses règles, de son vécu en tant que jeune fille et femme, de son rapport à sa propre mère ? Tout cela joue dans la transmission d’un message positif. » Un message nécessaire face à ce corps qui se transforme, aux bouleversements intérieurs suscités par le chamboulement hormonal que traverse l’adolescente. « Dans notre société où tout est sexualisé, il en résulte un doute permanent sur l’intention de l’autre ; les relations entre garçons et filles sont biaisées, ajoute la docteure en philosophie Inès Pélissié du Rausas, conférencière en éducation affective et sexuelle, professeure à l’Institut de théologie du corps à Lyon. La féminité est parfois perçue comme un hameçon pour accrocher le regard. Il est urgent de redécouvrir la valeur du corps et la conscience de sa dignité. »


Une vision à faire évoluer


Même en France, à l’heure actuelle, le tabou demeure. Mère de trois enfants, Édita Rebours a mesuré le manque d’informations lorsqu’une amie de sa fille, en découvrant le saignement, a eu peur de mourir. « Les jeunes filles ont besoin d’être accompagnées tout au long de la puberté. Les parents doivent prendre du temps pour aborder ce sujet et, surtout, les rassurer jusqu’au jour J », avance-t-elle. L’entrepreneuse a imaginé le kit Ma Louloute, qui contient tout le nécessaire, serviettes hygiéniques, tampons et lingettes, le tout 100% écologique, à glisser dans son sac pour partir au collège ou en week-end. Elle le voit comme « un outil pratique, mais aussi pédagogique, un support prétexte pour aborder les questions existentielles avec son ado. C’est une étape importante dans son parcours de vie, à ne pas zapper mais à vivre avec joie et sérénité, dans un dialogue ».


Encore trop de parents délèguent ou omettent l’initiation à la puberté. « Les jeunes filles avec qui j’échange, la plupart du temps, ignorent tout de leur corps », confirme Rose Bianchi, thérapeute en médecine douce et alternative. « Les cours d’éducation sexuelle et les centres de planning familial, bien que très utiles, ne transmettent pas cette connaissance. Ils donnent quelques techniques pour ne pas tomber enceinte, conseillent ou offrent une oreille compatissante, sans expliquer comment agit la contraception chimique, ni le fonctionnement de la fertilité féminine ou masculine. » Afin de présenter aux adolescentes ce qui se passe dans leur corps, Rose Bianchi a rédigé un guide complet intitulé Prends conscience de ta fertilité (Books on Demand) : « C’est fondamental pour qu’elles puissent grandir et devenir des femmes sûres d’elles. »


Souvent, c’est la mère qui prend le premier rendez-vous chez le gynécologue. « La fécondité de la fille est transformée en problème, résumée à une question sanitaire et médicamenteuse, observe Inès Pélissié du Rausas. Or elle se prépare à vivre l’amour. Les règles, qui clôturent le cycle, indiquent que tout était prévu pour accueillir l’enfant en cas de fécondation. Le corps de la femme n’est pas fait pour les règles, mais pour la maternité ! Laissons à la jeune fille le temps de savourer la joie de cette promesse, ce signe qu’elle pourra être mère plus tard, lorsqu’elle sera prête. » En d’autres termes, il est urgent de changer de regard.


Le cycle féminin porté par la vague


« J’ai découvert la puissance du cycle féminin il y a 20 ans, témoigne Claire Jozan-Meisel, 58 ans. Ce fut une petite révolution dans ma vie ! J’ai été davantage à l’écoute de mon corps, mes ressentis, mes envies. » Mère de deux filles, cette professeure de yoga a introduit en France les premiers cercles de femmes destinés à les reconnecter à leur nature cyclique. Auteure des Sagesses du cercle (à paraître le 9 septembre, le Souffle d’or), elle entend valoriser la féminité dans notre société : « Retrouver le sens et la beauté du cycle nous connecte à la Terre par notre corps, à la Lune dont notre cycle dépend, pour que nous devenions des êtres rayonnants… »


Même écho chez Gaëlle Baldassari : « J’aimerais que toutes les jeunes filles sachent combien leur cycle menstruel est un allié ! » Elle a d’ailleurs créé le coaching physio-comportemental qui prend en compte l’influence du corps (systèmes nerveux et endocrinien) sur le développement personnel. Elle invite à considérer le cycle féminin comme un coach afin d’utiliser chaque phase à son profit. Pour en expliquer le mécanisme, elle utilise une analogie entre le cycle menstruel et une session de surf. « À l’arrivée des règles, la surfeuse comme ses hormones sont posées sur la planche. Puis vient la remontée d’énergie, c’est la prise d’élan. Au pic des hormones, la surfeuse se sent portée par la vague et se met debout sur la planche. Vient ensuite le tube de la vague. Ballottée entre la progestérone et l’œstradiol, la surfeuse vit des passages plus ambivalents. Enfin, tout s’apaise, les hormones chutent et elle se pose sur la planche pour une nouvelle session. »


Des étapes à respecter


Dans son ouvrage, Gaëlle Baldassari énumère les enjeux de chaque phase. Ainsi, dans la prise d’élan, il s’agit de se canaliser, terminer chaque action, se libérer du temps pour agir. Debout sur la planche, « vous sentez cet élan qui vous pousse à vous ouvrir, à être en lien. L’énergie qui vous soutient et vous propulse vous donne de rayonner et d’interagir avec les autres ». C’est le bon moment pour communiquer, régler les conflits, négocier, vivre des moments de qualité avec ceux que l’on aime. Puis arrive le tube : « Vous entrez dans une énergie plus profonde, intérieure. Vos pensées s’assombrissent. Votre exigence est à son paroxysme, vos émotions aussi. » L’auteure invite à mettre son énergie dans ce qui est important, à privilégier le cocooning, à s’accorder du temps pour prendre soin de soi.


Dernier moment, posée sur la planche : « Vous pouvez relâcher la vigilance, les émotions s’apaisent, votre corps aussi ; il recharge les batteries. Il y a juste à ressentir une paisible intériorité s’installer. » Les défis consistent alors à contempler ses réalisations, évaluer, prendre des décisions, prévoir un plan d’action. Elle conclut : « Chaque phase est nécessaire, chacune a ses avantages et ses inconvénients. C’est ensemble qu’elles font la richesse du cycle menstruel. Chaque position offre un nouvel angle de vue, crée du relief dans notre façon d’appréhender la situation. » Voilà une autre manière de considérer le cycle féminin, qui donne envie de fêter l’arrivée de ses premières règles !


Rituels


Claire Jozan-Meisel s’est inspirée de la spiritualité amérindienne pour montrer l’importance d’une « cérémonie des premières lunes ». Elle raconte : « Lorsqu’elles avaient leurs règles, les femmes de la tribu se retiraient ensemble dans la moon lodge – la hutte de la lune. Elles étaient libérées des tâches matérielles afin qu’elles puissent plonger dans leur monde intérieur, car cette période est propice. » De ce fait, les femmes jouaient un rôle politique majeur puisque les guerriers venaient les consulter à l’issue de leur retraite, pour connaître leurs visions. Voilà qui explique pourquoi la jeune fille était honorée par toute la tribu au cours d’une cérémonie, lors de ses premières règles : « Elle devenait porteuse de vie et de sagesse, capable d’une connexion forte et profonde avec le grand mystère, l’esprit. Elle serait désormais susceptible de recevoir des songes, des idées, des solutions, au bénéfice de la communauté. »


Dans son ouvrage, les Passeuses d’histoires (Payot), Danièle Flaumenbaum souligne le rôle que peuvent jouer les grands-mères, à la faveur de cette étape de la vie. Blandine Swyngedauw renchérit : « Pourquoi ne pas imaginer un rituel avec les grands-mères, la mère, la marraine, une grande sœur ou cousine afin que l’adolescente soit symboliquement accueillie dans le monde des femmes ? Elle recevra un beau cadeau en souvenir de cette étape. La mère peut aussi confectionner et offrir un bijou, un plaid, un sac… Cette dimension communautaire marque l’inconscient. La fête peut aussi se prolonger avec le père, les frères et du champagne ! »


Le père a en effet un rôle important à jouer, comme le rappelle Inès Pélissié du Rausas : « Le regard du père fait exister sa fille. Il lui revient de valoriser sa féminité naissante, elle a besoin de ressentir que son père est fier d’elle. » Si le cycle de la femme n’est plus perçu désormais comme un fardeau, mais comme un allié, alors le dicton populaire lui-même pourrait bien en être transformé : « Souvent femme varie, heureuse est qui s’y fie. »

 

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