Anne Dodemant : "Le lien d’amour qui m’unit à mon fils, décédé, est vivant"

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L’intériorisation progressive du lien

« Au début, l’absence de Luc était insoutenable. Je cherchais sans arrêt des signes de lui, comme des révélations, des apparitions. Tout l’apprentissage a été de passer du niveau tangible, charnel, à quelque chose qui n’en est pas moins physique, mais beaucoup plus subtil et intériorisé. Au fil des années, notre lien a évolué, il est désormais plus doux, plus serein. Aujourd’hui, je ressens Luc en moi : c’est comme s’il était dans toutes mes cellules. »

L’ouverture à l’invisible

« Bien que la recherche de signes soit moins compulsive qu’avant, je “vois” toujours Luc au travers de petits clins d’œil qu’il me fait. Comme cette pensée éclose au pied d’un rosier, planté dans notre jardin un an après sa mort. Mon fils est également présent dans des rêves. Bien que je ne sache pas toujours comment les interpréter, ils me procurent une grande paix intérieure. Luc me guide, à sa manière : lorsque, par exemple, j’entreprends quelque chose qui me fait plaisir, je me sens encouragée intérieurement. »

Le refus d’une mémoire figée

« J’ai réalisé que c’était en continuant à vivre que je pouvais le rejoindre. En refusant de rester dans un souvenir figé, en faisant de sa chambre un musée morbide. Un mois après sa mort, nous avons donc rangé et trié ses affaires avec mes autres enfants.

Pour la première fois cette année d’ailleurs, nous ne sommes pas allés sur sa tombe avec mon mari, pour l’anniversaire de sa mort. A la place, nous avons décidé de partir quelques jours à Amsterdam. Ce choix n’était pas anodin : Luc rêvait d’y aller. Ce voyage fut un pur moment de communion avec notre fils. »

L’acceptation de ses émotions

« L’absence parfois vous cueille sans avoir prévenu. On pense que cela va bien, puis une chanson, un visage, un regard, font subitement écho à l’être cher. On est alors comme fauché dans son élan. Tout remonte, les larmes jaillissent. A Amsterdam, nous avons croisé un jeune, chantant dans la rue, la guitare à la main. Il m’a tout de suite fait penser à Luc, je me suis effondrée.  Aujourd’hui, je tente d’accepter ces aléas. Lorsque le chagrin apparaît je le laisse me submerger, et repartir. Il y aura toujours un vide que je ne pourrai jamais combler, mais, dans le même temps, je me sens entière. Ma vie balance entre le doute et la certitude, entre le cri et la sérénité. » 

Extrait :

« Nous venons de passer les troisièmes fêtes de Pâques sans Luc et la question pour moi reste entière : où est-il ? Je ne sais pas. Pourtant je me sens reliée à lui, de plus en plus. Et c’est étrange. C’est un lien invisible par la trace qu’il laisse. J’expérimente la phrase de l’apôtre Paul : “L’amour ne passera pas.” Le lien d’amour qui m’unit à Luc, mon fils, est vivant. Et comme tout lien il évolue. Ce lien est indestructible. Je me sens reliée à lui, non pas à lui mort, mais à lui vivant. Vivant d’une vie que je ne peux toucher, mais que je ressens. Lorsque je sens en moi une joie profonde et intense, sans raison, qui me déborde, je la reçois comme un cadeau, une sensation oubliée et pourtant nouvelle. Cette joie vient de bien au-delà de moi. Je ne la maîtrise pas, je l’accueille, m’en émerveille et c’est cette trace-là qui vient me dire : « Je suis vivant, je ne te quitte pas, vis, maman, vis. »


Extrait de Même la nuit quand je dors, d’Anne Dodemant (Albin Michel)

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