La périlleuse équation des mathématiques dans la réforme du Bac

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Romain est en seconde au lycée Lacordaire (Marseille), et comme une grande partie de ses pairs, il veut faire médecine. Alors quand il a dû choisir ses « spécialités » – trois matières approfondies qui remplacent les séries S, ES et L – il a opté pour les mathématiques, sans hésiter. Et pourtant, elles ne sont plus obligatoires. Le cas de Romain est révélateur d’une tendance plus globale : une étude du syndicat SNES/FSU indique que les mathématiques restent choisies par 70% des élèves dans l’académie de Versailles, et 65% à échelle nationale. 


En donnant la possibilité aux élèves de choisir leurs matières, le gouvernement entend promouvoir une formation plus individualisée, plus en phase avec la flexibilité du monde professionnel, et rompant le déterminisme de « tel parcours égale tel métier ». Pourtant, les profils que l’on retrouve sont paradoxalement homogènes, et la triplette maths – physique – sciences de la vie et de la terre dessine les contours d’une filière S 2.0. Comment en est-on arrivé là ?


Pourquoi Pythagore a-t-il toujours la côte ? 


Entre les 12 spécialités proposées, les élèves sont supposés faire un choix « en fonction de leurs goûts et ambitions ». Mais la logique de l’ancien système ne tarde pas à prendre le dessus, et consacre la domination des sciences dures sur les sciences humaines. Par inertie, ou par sécurité, la nouvelle génération continue donc à privilégier les mathématiques pour « ne pas se fermer de portes » sur le marché de l’emploi, où elles sont omniprésentes – de l’informatique à l’analyse financière, en passant par l’architecture. 


« Faites ce que vous voulez, mais faites des maths quand même » 


Selon Claire Gueville, secrétaire nationale en charge des questions lycée au Syndicat National des Enseignants du Second Degré (SNES), la communication ministérielle autour de cette réforme repose sur une logique de « venez comme vous êtes et faites ce que vous voulez ». Un discours incompatible avec la notion de contrainte inhérente au processus d’apprentissage : « On a besoin des maths ! » insiste-t-elle. Sauf que cette liberté de choix se heurte à l’impératif de cohérence entre les spécialités choisies et aux recommandations des parents et professeurs.


Par inertie, ou par sécurité, la nouvelle génération continue donc à privilégier les mathématiques.


Au cours de cette année, les professeurs de seconde ont, en effet, eu un rôle d’information – si ce n’est d’incitation – envers les élèves pour qu’ils n’abandonnent pas les mathématiques. « Plusieurs fois, les professeurs nous ont expliqué que c’était important qu’on choisisse des maths, même si c’est pas obligatoire. Ils ont dit qu’on en aurait vraiment besoin plus tard », explique Romain. 


Face à ce nouveau système de choix, les parents sont déboussolés, peu convaincus par l’inventivité pédagogique du ministre de l’Éducation nationale. « Le plus difficile, c’était de changer d’état d’esprit, d’un coup. On avait plus les mêmes repères et il y a encore beaucoup d’incertitude concernant l’impact du choix des spécialités sur l’orientation post-bac » confie Catherine, parent d’élève d’un lycée privé en Essonne. « Les maths me semblaient indispensables, pour avoir de la discipline dans la réflexion et de la rigueur. Mon fils a finalement pris les maths, mais c’était son choix » conclut-elle.


Les inégalités et la concurrence accentuées par la réforme 


L’asymétrie d’information et un accompagnement déficient de la part des professeurs perpétuent ainsi les inégalités dans le système scolaire. En donnant l’illusion du choix, le ministre de l’Éducation nationale a simplement déplacé la sélection. C’est désormais le lycée et les moyens dont il dispose qui jouent un rôle déterminant, car le nombre de spécialités proposées est propre à chaque établissement. Si les maths seront, elles, proposées partout, les demandes sont souvent supérieures aux places disponibles. Surtout dans les lycées dits « sensibles », qui manquent de moyens. « Dans ces lycées là, on va simplement dissuader certains élèves de prendre maths, afin d’améliorer le niveau global » précise Claire Gueville. 


Selon elle, ce phénomène met en lumière une ligne sociale de fracture. Les élèves qui ont un meilleur niveau scolaire continuent de privilégier de manière pragmatique la triplette maths-sciences-physique, pour ne se fermer aucune porte. Ceux qui proviennent de milieux plus défavorisés ont souvent un niveau scolaire moins élevé, et croient au discours du « faites ce que vous voulez ». Ils sont mal orientés, et choisissent moins les mathématiques, laissant alors le champ libre aux « premiers de cordée ».


La concurrence entre les filières s’est ainsi transformée en une concurrence entre les matières, où une forme de hiérarchisation demeure.


Enfin, un professeur avec plus de 10 ans d’expérience dans un grand lycée parisien constate un véritable « patriotisme disciplinaire ». La concurrence entre les filières s’est ainsi transformée en une concurrence entre les matières, où une forme de hiérarchisation demeure. La domination des mathématiques crée, selon lui, un véritable climat d’adversité au sein-même du corps professoral. Chacun « se bat » pour avoir le plus de demandes de sa spécialité, afin de préserver ses heures, et donc son poste. « Les professeurs se sentent en danger puisque le nombre de leurs élèves n’est pas fixé. Les professeurs de maths sont aussi concernés : on leur a fait baisser le nombre d’heures de 6 à 4 par semaine. »


Qu’en pensent les universités ? 


Dans la continuité logique de la réforme, on pourrait s’attendre à ce que les établissements supérieurs reviennent sur leur processus de sélection et le contenu de leurs cours. Or cela est loin d’être le cas : « L’enseignement supérieur ne va pas s’adapter, c’est aux élèves de le faire. Et les classes préparatoires ont publié leurs “attendus” cette semaine : les maths sont presque partout », alerte Claire Gueville. 


Les élèves qui n’auraient pas choisi les mathématiques seront ainsi pénalisés, puisque les cursus scientifiques, habitués aux profils « S », prendront simplement ceux qui ont privilégié les triplettes sciences de la vie – maths – physique. Pas question, visiblement, de faire une remise à niveau face à ces nouveaux profils, ou d’assouplir les procédures de sélection.


Initialement prévue pour mieux préparer les élèves à l’enseignement supérieur, la réforme Blanquer semble avoir été le fruit d’un déficit de concertation. Elle exige de prévoir, dès le début du lycée, le secteur d’études supérieures et même le métier exercé. Difficile pour des élèves de seconde, qui évoluent dans un système éducatif en mutation permanente.

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