Cahors redécouvre son suaire oublié

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Serrant contre lui un mystérieux paquet, Dadine d’Hauteserre fuit loin de la prison dont il vient de s’échapper. En cette funeste année 1580, les huguenots qui ont envahi la ville tiennent tous les ponts de Cahors ; pourtant, personne ne voit le fuyard traverser le Lot sur une barque. Un miracle que le magistrat catholique attribuera à l’objet très précieux qu’il cache sous son manteau : la sainte Coiffe qui aurait recouvert la tête de Jésus lors de sa mise au tombeau.


La précieuse relique échappe ainsi aux troubles de la Réforme – les protestants, en mettant la cathédrale Saint-Etienne à sac, se sont contentés de voler le reliquaire et de jeter le morceau de tissu. Celui-ci a la forme d’un heaume de chevalier laissant paraître le visage. Deux siècles plus tard, la sainte Coiffe évitera également la destruction quand la Révolution transformera la cathédrale de Cahors en écurie. Mais pour mieux tomber dans l’oubli.


En procession dans la ville


A l’occasion des 900 ans de la cathédrale Saint-Etienne, et après avoir dormi dans ses trésors pendant des décennies, la sainte Coiffe suscite un regain d’intérêt. Plusieurs évènements lui seront consacrés. A quelques jours de la Semaine Sainte durant laquelle les chrétiens revivront la Passion du Christ , elle sera dévoilée par Laurent Camiade, évêque de Cahors, avant la messe des Rameaux. A partir de ce 14 avril, elle sera exposée tous les jours dans le grand choeur où les visiteurs pourront venir la vénérer à l’issue d’un parcours jubilaire. Le samedi 27 avril, elle sera portée en procession à travers les rues de la ville.


Mais d’où vient ce vêtement et, surtout, peut-on le considérer comme authentique ? La tradition se fonde sur le texte de l’Evangile de Jean. Courant au tombeau à l’annonce de la Résurrection, Pierre « aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. » (Jean 20, 6-7)


Un don de Charlemagne


La légende prétend que Charlemagne en personne aurait offert la coiffe à l’évêque de Cahors en 803. Lui-même l’aurait reçu de l’impératrice Irène de Constantinople, qu’il devait épouser, ou du calife Haroun al Rachid, l’un des héros des Mille et une nuits. Une autre version affirme que la relique aurait été ramenée de Terre sainte par un évêque de Cahors (ou un chevalier) au 12e siècle.


Une chose est sûre : aucun document ne mentionne la sainte coiffe à Cahors avant 1408. A cette date, un livre de comptes fait état d’une dépense de 27 sous pour l’achat de torches à l’occasion d’une procession de la relique. « Ce qui ne signifie pas qu’elle ne s’y trouvait pas auparavant », précise Isabelle Rooryck, Conservateur en chef honoraire du Patrimoine et diplômée de l’Ecole du Louvre. Selon une hypothèse, la coiffe aurait été volée lors du sac de Constantinople en 1204 ; le pape ayant excommunié les coupables, les possesseurs de butins ont peut-être fait profil bas pendant un temps, avance-t-elle.


Selon cette spécialiste de l’art sacré, la Coiffe de Cahors est faite d’une étoffe « royale », de grande qualité, composée de huit couches de soie marine cousues ensemble. L’égyptologue Champollion, passant par Cahors en 1844, aurait affirmé qu’elle évoquait un tissage égyptien des premiers siècles du christianisme.


Enfin, la coiffe présente des taches de sang dont l’emplacement correspond à celles du Suaire de Turin, explique Isabelle Rooryck. Le grand linceul est réputé avoir enveloppé le corps du Christ alors que la coiffe de Cahors aurait entouré sa sa tête, une mentonnière (aujourd’hui manquante) devant lui maintenir la mâchoire fermée selon la coutume funéraire juive de l’époque.


Peu d’analyses scientifiques


Mais contrairement au Suaire de Turin, aucune datation au carbone 14 ni analyse du sang ou des pollens présents sur l’étoffe n’ont été faites. « Il y a eu des recherches dans les années 1990, mais elles n’ont pas été rendues publiques et des rumeurs contradictoires ont circulé », affirme Patrice Foissac, président de la Société d’Etudes du Lot et docteur en histoire médiévale.


L’historien ne souhaite pas d’entrer dans le débat sur l’authenticité ou non de la relique, mais tient à rectifier certaines fausses idées en circulation. « Contrairement à ce qu’on a pu dire, je n’ai pas trouvé de traces de pèlerinages dans mes recherches. Et aucun pèlerin de Saint Jacques de Compostelle, à ma connaissance, affirme s’être arrêté à Cahors pour y vénérer la coiffe, comme certains le font à Conques pour les reliques de sainte Foy. On recense bien quelques guérisons, mais pas plus que dans une église de campagne. Rien à voir avec Rocamadour, à 60 kilomètres de là, qui draine des milliers de pèlerins ! »


Guérir Charles VI


Le médiéviste n’a pas non plus trouvé de testament en faveur de la chapelle de la sainte Coiffe ou de confrérie qui lui soit dédiée, alors que les 15e et 16e siècles sont friands de ce genre de dévotions. Comme si la relique n’avait guère convaincu au-delà des Cadurciens. Sans conclure à l’inauthenticité de la coiffe – les études scientifiques sont insuffisantes pour trancher dans un sens ou dans l’autre –, Patrice Foissac remarque que d’autres suaires du Christ sont apparus dans la région entre la fin du 14e et le début du 15e siècle. « Rien que dans le Sud-Ouest, on en dénombre deux autres, à Cadouin et Carcassonne. Celui de Cadouin sera même envoyé au roi Charles VI pour tenter de le guérir de sa folie… En fait, on découvrira par la suite qu’il présente des inscriptions coraniques ! »


L’historien relie cet engouement pour les reliques christiques avec l’angoisse d’une époque troublée. Le Grand schisme d’Occident déchire la chrétienté, la peste fait rage, la Guerre de Cent Ans dévaste la France. « Les villes ont besoin de se remonter le moral, de se sentir protégées par un objet sacré, note Patrice Foissac. La dévotion envers la passion du Christ se développe fortement à cette époque : à un peuple souffrant, il faut un Christ souffrant ! »


L’éclipse de la Révolution


Les guerres de religion et le sauvetage du saint tissu par Dadine d’Hauteserre relancent la vénération de la Coiffe. Elle est portée en procession, à Pentecôte notamment. La dévotion connaît une éclipse à la Révolution, puis reprend partiellement au 19e siècle ; une dernière procession est organisée en 1940 – peut-être en lien avec la menace de la guerre –, mais la relique sombre dans l’oubli après Vatican II.


En 2015, le nouvel évêque de Cahors, Laurent Camiade sort la sainte Coiffe de l’anonymat en demandant qu’elle soit exposée devant l’autel pendant son ordination épiscopale. Quatre ans plus tard, il la rend au culte des croyants, qui pourront s’en approcher et venir la vénérer. D’abord dans le grand choeur puis, dès le 8 juin, dans la chapelle axiale, spécialement rénovée pour la recevoir définitivement.


La dévotion ainsi proposée part d’un besoin de faire mémoire, affirme Mgr Camiade. « Nous constatons que de plus en plus de personnes, souvent jeunes, sont attirées par les reliques. Ces personnes ne sont pas naïves, écrit-il sur le site du diocèse. Elles savent bien que l’authenticité d’un linge supposé exister depuis bientôt 2000 ans est relative et impossible à prouver. Elles ne cherchent pas des preuves, mais des signes et des objets qui aident à se souvenir. »


Ce qui compte, en vénérant la Sainte-Coiffe, c’est d’ouvrir son cœur au mystère de la Résurrection de Jésus, poursuit l’évêque. « Il n’a pas fait semblant de mourir et a été enseveli. Cela nous encourage à espérer davantage la résurrection promise de notre chair renouvelée par l’Esprit Saint. » Les prochains mois diront si la relique saura reconquérir le coeur des fidèles, et si Dadine d’Hauteserre a vu juste en risquant sa vie pour la sauver.


Évènements à venir


Dimanche 14 avril, 9h30. Enseignement sur la sainte Coiffe par Mgr Camiade à la cathédrale de Cahors, suivi du dévoilement de la relique et de la messe des Rameaux. P arcours jubilaire libre dans la cathédrale. Durée 1h30. Accompagnement possible sur demande. A l’issue, vénération de la Sainte Coiffe. Tous les jours : messe dans la cathédrale. Du lundi au vendredi à 18H15 ; le samedi à 8H30 ; le dimanche à 10H30 et à 18H30.

Autres horaires sur réservation préalable : Les samedis 27/04, 25/05, 29/06, 27/07, 31/08, 28/09, 26/10 et 30/11, de 20H30 à 22H : veillée miséricorde


Samedi 27 avril, 15h. Procession de la sainte Coiffe dans les rues de Cahors. Plus d’informations sur www.saintecoiffedecahors.com.


Jeudi 16 mai, 20h30. Conférence sur la sainte Coiffe par Isabelle Rooryck, Conservateur en chef honoraire du Patrimoine et diplômée de l’Ecole du Louvre. Événement organisé par l’Association des Amis de la Bibliothèque du Grand Cahors à l’Espace Clément-Marot, Salle des Congrès, Place Bessières, 46000 Cahors.


Samedi 8 juin, 9h15 à 17h. Colloque sur « Le Suaire de Cahors, un signe, une Passion » à l’Espace Clément-Marot. Entrée gratuite, inscription obligatoire avant le 1er juin sur ww.cahors.catholique.fr . Contact : colloquesaintecoiffe@gmail.com .

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