"Gabrielle", l’amour "simple et ordinaire" de deux personnes handicapées

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Le film Gabrielle aborde la question de la vie amoureuse et sexuelle de personnes en situation de handicap mental. Pour vous, c’est une bonne chose que le cinéma s’intéresse à ce sujet ?

C’est toujours surprenant de voir que l’on s’étonne de la vie amoureuse des personnes atteintes d’un handicap mental ! Avant d’être des personnes handicapées, ce sont des personnes, des hommes et des femmes comme vous et moi, traversés d’émotions et de désirs… Le vrai problème, c’est peut-être que l’on a encore du chemin à faire pour constater et accepter l’idée que ces personnes ont toutes les dimensions de la vie d’un homme et d’une femme, y compris au plan amoureux et sexuel. Du coup, il est certainement bon que l’on puisse en parler puisqu’il semble que ce soit encore une question !

Ce n’est pas la première fois, pourtant, que ce sujet est abordé…

Oui, certainement. Mais à mon avis, il a souvent été très mal abordé jusqu’ici, puisqu’il l’a surtout été sous l’angle des assistants sexuels pour les personnes handicapées. Or, justement, la question des assistants sexuels ne parle de la sexualité que sous l’angle génital. L’enjeu pour les personnes handicapées, c’est d’abord d’être dans la vie telles qu’elles sont, hommes et femmes. Ce qui fait de nous des personnes sexuées, ce n’est pas d’avoir des relations sexuelles, c’est d’abord de vivre dans nos relations avec les autres les dimensions de désir, de fantasme, etc. Il ne faut pas nier ce premier aspect.

> A lire sur ce sujet :
« Les personnes handicapées n’ont pas une sexualité spécifique »

 

Ces relations sont-elles compliquées à accepter pour les familles ?

J’ai tendance à dire oui… et c’est normal. Dans une famille ordinaire, l’enfant adolescent prend son autonomie. Souvent la personne atteinte de handicap a un peu plus de difficultés à la prendre, justement, parce qu’elle a des limites qui rendent son envol plus difficile. Et les parents ou les éducateurs peuvent être un peu perdus devant certaines situations, parce qu’il y a des questions réelles : celle de la liberté, celle du consentement, celle de l’engagement… C’est déjà vrai pour n’importe qui, mais ces problèmes se posent différemment pour une personne supposée avoir besoin d’accompagnement dans certains aspects de sa vie. Surtout si les parents n’ont pas été suffisamment accompagnés et formés eux-mêmes pour être capables d’aider leur enfant à prendre son autonomie. C’est d’ailleurs toujours bien qu’il y ait d’autres personnes que les parents qui accompagnent aussi ces histoires. Mais avant d’être compliquée, c’est une réalité simple et ordinaire, comme celle que nous pouvons tous vivre !

Est-ce qu’il n’existe pas aussi la crainte de l’arrivée potentielle d’un enfant ?

Oui, peut-être. Et c’est normal que la question se pose. Mon expérience, c’est que même si ces personnes ont un déficit intellectuel, elles ont souvent une grande maturité et une grande sagesse par rapport à elles-mêmes. Elles peuvent discerner ce dont elles sont capables ou non, ce qu’elles veulent et ne veulent pas. Il faut avoir un échange de paroles avec eux. Ce sont des adultes, avec une vraie capacité, à condition qu’on les considère comme tels et qu’on les accompagne en mesurant avec eux les chances et les risques de toute situation.

Le grand risque, c’est de projeter notre propre vision des choses. Par exemple, j’ai connu deux personnes trisomiques qui s’aimaient profondément, et on s’est aperçus que leur façon de s’aimer était de dormir l’une à côté de l’autre. Elles n’avaient jamais eu de relations génitales… et tout le monde avait paniqué à l’idée d’un enfant.

Vous pensez que la société a peur, au fond ?

Oui, et cette peur rend la société extrêmement violente. En France, on a une loi qui permet de stériliser les personnes avec un handicap. Certes de façon encadrée et pas systématique, mais il n’empêche. La stérilisation est un acte infiniment violent que l’on réserve à des personnes handicapées. Je crois que cette réalité à elle seule parle de la peur que nous avons de la possibilité que la personne handicapée mentale donne naissance à un enfant, qui va peut-être lui-même être handicapé. Il y a tout un message que l’on adresse à ces personnes, qui est d’une violence inouïe, et qui manifeste en fait une peur.

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