Silence, on commémore le colonel Beltrame

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« C’était assez émouvant », reconnaît Armel, qui a ôté les écouteurs de ses oreilles. En Terminale dans un lycée public, cet immense adolescent en sweat à capuche orange évoque la minute de silence qu’il a vécue la veille. Afin que les élèves soient à l’unisson de l’hommage national rendu au colonel Arnaud Beltrame le mercredi 28 mars à 11h30, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer avait en effet envoyé un courrier le mardi aux chefs d’établissements scolaires, afin de demander de respecter « un moment de recueillement », en tenant compte de l’âge des élèves. Il invitait également à « un temps d’explication et d’échange »


Et de préciser : « L’acte héroïque du colonel Arnaud Beltrame, qui a donné sa vie pour en sauver d’autres, vient rappeler notre appartenance à un ensemble qui nous dépasse : la Nation. Cela nous invite à réfléchir aux notions de courage, de dépassement de soi et de citoyenneté au XXIe siècle. » Il a également souligné que c’était l’occasion de « rappeler le rôle des forces de sécurité au service des Français. Ainsi, les élèves pourront prendre conscience que la République se nourrit et grandit par l’engagement de chacun. »


Après les attentats de Charlie Hebdo…


Comment cela s’est-il passé dans les classes ? « Notre CPE nous a rassemblés dans le hall pour en discuter, raconte Pauline, en Première, une cigarette roulée à la main. On a tous respecté la minute de silence. Il a donné sa vie, c’est un exemple. Il faut s’en souvenir. » Au même moment, Armel avait cours de physique. « Le professeur nous a invité à faire silence. On est resté assis pendant une minute. C’est carrément un héros ! Je ne sais pas si j’aurai eu le courage de faire ce qu’il a fait. Son métier c’est de nous défendre, pas de laisser sa vie. En classe, tout le monde a respecté. Même ceux qui n’aiment pas la police parce qu’ils ont parfois des problèmes avec eux. » L’enseignant a habilement évoqué les deux visages de l’homme qui se sont manifestés à cette occasion : confisquer des vies ou donner la sienne. Aucune allusion à la religion n’a été faite.


L’enjeu était de taille. En 2015, après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper-Casher en janvier, des minutes de silence imposées en classe avaient été perturbées, parfois même refusées. Dans la Matinale d’Europe 1, Jean-Michel Blanquer avait déclaré : « Le temps est fini où l’on pouvait accepter ce genre de contestations. Je fais le pari que aujourd’hui ça va très bien se passer dans tous les établissements ». Il a aussi rappelé les Unités laïcité installées dans chaque rectorat de France, en décembre dernier, afin d’accompagner les équipes éducatives confrontées à une contestation. Dans sa lettre, il orientait également vers des ressources compilées par le ministère.


Un sujet de tension


Le Snes-FSU, syndicat national des enseignements du second degré, a dénoncé une récupération politique de l’événement. Il a aussitôt envoyé un communiqué à destination des enseignants, dans lequel il explique : « L’école doit avant tout faire vivre les valeurs de la République. L’adhésion à des valeurs ne saurait se décréter. C’est à travers leurs enseignements et leurs actions éducatives au quotidien que les personnels sont les mieux à même de former des citoyen-ne-s éclairé-e-s, capables d’agir sur le monde qui les entoure, et de résister aux obscurantismes. Ce travail demande du temps, du recul, et s’accommode mal des réactions dans l’urgence commandées par l’émotion. »


Responsable du groupe histoire-géographie du syndicat, Amélie Hart-Hutasse tient à préciser : « Nous ne minorons pas l’acte du Colonel Beltrame, qu’il a fait pour de raisons qui lui sont propres. » Mais elle déplore le ton directif de la lettre ministérielle et « cette idée qui nous semble mortifère d’esprit de sacrifice pour faire Nation. Éduquer à la citoyenneté ne peut se faire en recourant à des événements traumatiques, mais sur du temps long. »


Chacun agit avec ses tripes et aucune directive ministérielle ne précise comment répondre aux questions existentielles des mômes ! – Une enseignante


Le lendemain, à 16h, le ministère ne déplore aucune remontée d’incidents. Il est vrai que tous les établissements n’ont pas suivi la consigne de la rue de Grenelle. Y compris du privé, alors que l’Apel et l’Enseignement catholique avaient aussitôt annoncé dans un tweet s’associer à l’hommage national. Plusieurs professeurs interrogés n’en avaient pas même entendu parler. Volonté délibérée ? Manque de temps pour anticiper ? Manière d’éluder les problèmes ?


De fait, l’exercice est périlleux. Enseignante dans le premier degré au sein de l’Enseignement catholique, Caroline comprend le malaise de ses collègues : « Chacun agit avec ses tripes et aucune directive ministérielle ne précise comment répondre aux questions existentielles des mômes ! ». Forte de ses expériences précédentes, elle précise : « C’est une minute de silence pour des heures de parole libérée. Souvent les langues des enfants se délient, des peurs ressortent, qu’ils n’osent pas toujours exprimer en famille… » Il n’est guère évident de trouver le mot juste. « Je me sens armée parce que je me sais désarmée, témoigne-t-elle. Je prie l’Eprit-Saint pour qu’il m’inspire des paroles de paix, de confiance et d’espérance. Quand je ne sais pas répondre, je dis simplement que je l’ignore. Je ne cache pas non plus ma tristesse, ma colère. Et je rappelle les conditions de la paix : la parole, une meilleure connaissance de l’autre, le respect. »


Un exemple pour la jeunesse


« Puisse son engagement nourrir la vocation de toute notre jeunesse, éveiller ce désir de servir à son tour cette France pour laquelle un de ses meilleurs enfants vient de donner héroïquement sa vie », a déclaré Emmanuel Macron lors de l’hommage national rendu au colonel Arnaud Beltrame. Peut-il devenir une figure identificatoire pour les jeunes d’aujourd’hui ? « Les jeunes sont sensibles aux figures exceptionnelles – dans l’ordre du mal comme du bien, reprend Amélie Hart-Hutasse. Mais cela me gêne d’en tirer une leçon politique. Et puis d’autres personnes courageuses, que l’on héroïse pas forcément, sont au service de l’humanité comme celles qui vont chercher des migrants en perdition dans les Hautes-Alpes. »


Je n’ai pas vraiment de stars. Mon modèle, c’est ma mère… parce qu’elle est courageuse. – Une adolescente


« Il faut avoir du courage pour donner sa vie comme ça, c’est admirable », reconnaît Clémentine. Avenante, cette élève de 3e porte un bandana noir pour retenir ses cheveux bouclés. Ses héros à elle ? Elle rit et lance : « Plutôt des rappeurs comme Vald ou Bigflo et Oly, mais c’est vrai qu’ils ne sauvent pas des vies. » Les frères toulousains, qui ont décroché une Victoire de la musique, reverseront néanmoins le bénéfice de leur quatrième concert au Zénith de Toulouse au Secours populaire. Et Pauline ? L’adolescente hésite : « Je n’ai pas vraiment de stars. Mon modèle, c’est ma mère. » Elle ajoute, après un silence : « parce qu’elle est courageuse » mais refusera d’en dire plus. Les jeunes sont donc marqués par le courage, qu’il soit ordinaire ou extraordinaire, et le don de soi.


« Le Colonel Arnaud Beltrame est un exemple pour tout notre pays, et tout particulièrement pour nos enfants, a tweeté Jean-Michel Blanquer après la cérémonie. Je proposerai aux collectivités territoriales qui le souhaitent que son nom soit donné à des écoles, des collèges et des lycées. » In memoriam.

 

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