“Lilou et les trois diamants“ : notre conte de Noël

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Elle cria, trépigna, pleura, puis une porte claqua. Le coeur rempli de colère, Lilou s’enfonça dans la pénombre, en direction de la forêt. Ses yeux verts lançaient des éclairs. Pour une fois, ses parents n’avaient pas cédé et avaient refusé qu’elle ouvre l’un de ses cadeaux avant l’heure. « Je veux une maison de poupée grande comme moi, une robe de princesse, la même que Mia, des jouets, comme ci et comme ça… »


La liste n’en finissait pas. Habituellement, ses parents se pliaient à ses caprices et offraient sans tarder l’objet convoité. Trop peu désiré, trop peu attendu, il avait tôt fait de finir au rebut.


Malgré sa peur, Lilou s’engouffra dans le bois et marcha rageusement. Dans l’air froid, le souffle qu’elle exhalait dessinait des arabesques. Faiblement éclairé par une lumière crépusculaire, un manteau de neige léger traçait le sentier qui serpentait. De part et d’autre s’élevaient des arbres dépouillés de leur feuillage, imposants et inquiétants. Enfin, la fillette s’arrêta et elle écouta le silence ouaté.


Soudain, elle crut défaillir : des ténèbres, elle vit une silhouette surgir. Assis sur un rocher, un vieil homme la regardait. Dans sa cape enveloppé, il semblait un berger. Malgré ses sourcils broussailleux et ses yeux charbonneux, une grande bonté émanait de ses traits. La brunette ouvrit la bouche, mais nulle parole n’en sortit. L’apparition devint évanescente puis disparut tout à fait, tandis qu’une chaleur cotonneuse envahissait la petite.


Stupéfaite, Lilou scruta l’obscurité. Elle distingua sur une branche ce qui lui sembla être un coeur blanc. Puis l’enfant sursauta : il s’agissait d’une chouette effraie. De ses yeux noirs et ronds, l’animal observait intensément la fillette aux cheveux de jais.


« Tu as tant de peur et de rancoeur dans le coeur, souffla l’oiseau majestueux.
– Mais tu… tu… parles ?, bégaya l’enfant.
– Ne sais-tu pas que nous sommes le soir de Noël ?
En cette nuit à nulle autre pareille, une grâce immense t’est accordée.
Viens écouter les secrets de la forêt.
Voici le premier : regarde chacun de ces arbres ;
Pas un n’est à l’autre semblable.
Il y a des grands et des petits,
des majestueux et des rabougris.
Pourtant, point de jalousie.
La comparaison est un poison.
Tu es aimée telle que tu es.
Chacun de tes cheveux est compté.
Nul n’est parfait.
Aime-toi telle que tu es. »


Bouche bée, Lilou contemplait la dame blanche. La petite fille ne comprenait pas tous les mots prononcés, mais elle se les répétait, afin de les graver en elle à tout jamais.


Jamais elle n’avait vu la vie ainsi, c’est vrai. Pour être aimée, elle s’imposait d’être en tout irréprochable. Cacher ses imperfections. Avoir toujours raison. Elle ne cessait de jauger son bonheur à l’aune des autres. Sans cesse elle comparait leurs qualités, leurs jouets… Des marques d’affection qu’on leur portait, elle s’ombrageait.


L’animal respecta le cheminement de ses pensées. En un éclair, la fillette mesura l’amour que lui vouaient ses proches, malgré son ingratitude. Être aimée sans le mériter la libérait. Allégée de son fardeau secret, elle soupira. Alors la chouette prit son envol et, de son bec, laissa un caillou s’échapper. Lilou le ramassa. De la taille d’une noisette, c’était un diamant à plusieurs facettes. Il brillait légèrement au creux de sa main et semblait fredonner, tel un refrain : « Nul n’est parfait, aime-toi telle que tu es. »


Au même instant, une biche sortit du bois et s’approcha. « Viens, suis-moi, murmura-t-elle. Le deuxième secret, tu connaîtras. » Lilou suivit la bête. Elles marchèrent ainsi longtemps, traversèrent une clairière et près d’un terrier arrivèrent. Recroquevillé sur un tas de feuilles, un faon tremblant se tenait là. Il n’avait pas encore de dagues ; sans doute était-il né au printemps dernier. La mère le lécha tendrement. Puis ils levèrent vers la petite des yeux implorants.


Lilou hésita. Lentement, elle enleva l’étole qu’elle aimait tant. Elle lui valait tant de compliments, suscitant même la jalousie de ses amies. Elle soupira, puis enveloppa délicatement le faon. Les animaux la regardèrent en souriant. La biche reprit :


« Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir.
Cesse d’amasser, bannis la peur de manquer.
Contente-toi de ce que tu as.
Ne cherche pas à garder pour toi.
Partage et tu verras :
Ta joie se décuplera. »


Puis tous deux disparurent. En vain la fillette les chercha. Elle mit la main sur ses épaules. De l’étole, plus de trace. Mais elle sentit comme un caillou à la place. De la taille d’une noisette, c’était un diamant à plusieurs facettes. Il brillait légèrement au creux de sa main et semblait fredonner, tel un refrain : « Il y a plus de bonheur à donner. »

?Lilou et les trois diamants? : notre conte de Noël
© Julia Spiers pour La Vie


Elle entendit au loin des glapissements. Deux renardeaux jouaient dans la neige, roulant, glissant, se mordillant. Ils vinrent à elle. L’un d’eux clopinait : il n’avait que trois pattes.


« Un piège sur ma patte s’est refermé, expliqua la bête rousse.
Je parvins à m’en délivrer, mais dus y laisser un bout de pied. »


Interdite, Lilou ne pouvait détacher son regard du petit estropié.


« Je ne suis pas malheureux !, reprit-il, joyeux.
À quoi bon regretter, maudire, culpabiliser ou accuser ?
Mieux vaut accepter la réalité, plutôt que de trop déplorer l’adversité.
J’ai appris à compenser et même à davantage savourer. »


La fillette semblait sceptique. L’animal insista :


« Nul ne peut commander le beau temps, n’est-ce pas ?
Mais c’est toi qui choisis de danser sous la pluie.
Tu connais à présent le troisième secret de la forêt.
Ici, le courant est trop violent.
Veux-tu nous aider à traverser ce torrent ? »


Sans ronchonner, Lilou s’exécuta. Elle chercha des pierres plates et les fit rouler jusqu’au gué. Ses mains gelées s’abîmaient sur les rochers. Mais elle persévérait. Et méditait. Elle réalisait qu’elle ne savourait guère le présent et n’envisageait son bonheur qu’au futur. Et à tant de conditions : être plus âgée, avoir une petite soeur, changer de parents, acheter des habits plutôt comme ci, avoir des amis plutôt ainsi.


« N’es-tu pas rancunier à l’égard du braconnier ?, interrogea la petite.
– J’ai pardonné ! Telle est la condition pour être délivré
du passé et continuer d’avancer. »


Lilou vérifia la stabilité du passage. Avant de l’emprunter, le renardeau se retourna :


« Ne crains pas d’exposer ta vulnérabilité. De demander,
de prier. Nous avons besoin les uns des autres.
En nous rendant mutuellement service,
nous apprenons à aimer en vérité. »


Lilou suivit du regard les queues en panache des frères ; son coeur se serra en voyant la course claudicante. Lentement, sur sa joue, une larme roula ; elle tomba et forma comme un éclat. L’enfant se pencha. De la taille d’une noisette, c’était un diamant à plusieurs facettes. Il brillait légèrement au creux de sa main et semblait fredonner, tel un refrain : « C’est toi qui choisis de danser sous la pluie. »


Hésitante, la fillette retourna sur ses pas. Arrivée dans la clairière, elle vit une grande lumière. L’homme avec sa cape se tenait là, entouré d’une multitude d’animaux. Lilou reconnut la chouette au visage blanc, la biche et son faon, les renardeaux souriants. Tous la regardaient en silence, avec bienveillance. Des flocons de neige voltigeaient.


Le berger prit la parole, avec solennité :


« Tu connais désormais trois secrets de la forêt.
Ces pierres seront précieuses pour édifier ta vie.
Sais-tu à quoi ressemble un diamant à l’état brut, Lilou ?
L’ignorant y voit un caillou éteint, sans couleur et sans valeur.
Pour briller de mille feux, il doit être patiemment taillé et poli.
Ainsi va la vie. Tu as un trésor en toi.
Il t’appartient de le révéler, de le magnifier.
Plus tu recevras la lumière et plus tu la réfracteras,
en une multitude de rayons étincelants. »


De sa voix profonde, l’homme lui demanda : « Lilou, si tu avais un voeu à exaucer, sais-tu ce que tu demanderais ? » L’enfant réfléchit. Il lui semblait loin le temps où elle aurait demandé spontanément un jouet abracadabrant. Elle songea à cette étonnante traversée. De son coeur s’étaient envolées peur et rancoeurs. Cela pouvait-il durer ?


« J’aimerais rester le coeur apaisé, léger, osa la petite.


Le berger sourit. « Quel chemin tu as parcouru en quelques heures ! Tu ne tarderas pas à être exaucée
pour ton plus grand bonheur. »


Sa voix tonna, emplissant soudain l’espace :


« En cette nuit à nulle autre pareille, Il vient, ô merveille !
Il vient le Messager, apporter salut et paix
à tous les hommes de bonne volonté. »


Sur ces paroles énigmatiques, tous regardèrent le ciel et disparurent aux yeux de la petite.


Il était près de minuit, lorsque la fillette se réveilla. Sur sa tablette brillaient trois diamants, de la taille d’une noisette. Elle les prit et, sans bruit, grimpa l’escalier qui mène au grenier. Dans la pénombre, elle se dirigea vers la lueur lunaire qui transperçait la lucarne. Elle resta là, à contempler le firmament. Lilou vit un astre qui brillait plus intensément. L’étoile du Berger. Serrant dans sa paume les pierres précieuses, Lilou sourit. Soudain, de la Voix lactée, une pluie de constellations, scintillantes comme des diamants, descendit du ciel. Leur sillage esquissait mille volutes d’encens. La fillette ressentit en elle comme un brasier ardent. Et les anges, à toute voix, entonnèrent le Gloria.

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