Ma nounou est une mamie

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À la sortie de l’école, on les prendrait pour les grand-mères, des mamies fidèles au poste, prêtes à ramener leurs petits-enfants à la maison et à orchestrer goûter, devoirs, bain et préparation du dîner. Pourtant, leurs petits-enfants vivent souvent à l’autre bout de la France et les bambins qu’elles gardent ne sont pas les leurs.

Depuis quelques années, les « mamies-­nounous » ou au pair se sont fait une place dans un paysage massivement occupé par les étudiantes. Derrière ces faits émergent une réalité économique, mais aussi le besoin de rester en contact avec d’autres générations, avec la vie sociale en somme. « Du côté des familles, la maturité rassure. Souvent, les grands-parents vivent loin, et les parents veulent recréer un lien intermédiaire avec cette génération qui ouvre à d’autres dimensions relationnelles, à d’autres activités aussi », note Valérie Gruau, créatrice de Seniors à votre service, un site qui brasse 3000 offres de gardes d’enfants.

En France, un retraité sur deux touche une retraite inférieure au smic. En 2010, 280.000 retraités – un chiffre en hausse de plus de 15 % par an – conservaient ou avaient repris une activité rémunérée (selon la Caisse nationale d’assurance-­vieillesse). En entreprise, mais aussi sur un marché de service en plein développement, du bricolage à l’aide aux personnes âgées en passant par le baby-sitting. De quoi « mettre du beurre dans les épinards », en particulier pour les femmes divorcées ou veuves aux retraites souvent modestes.

Reprendre du service

« Numériquement, cette tendance des mamies-nounous est encore anecdotique. Mais il y a dix ans, ça aurait été impensable… Symboliquement, c’est donc important, note Serge Guérin, sociologue spécialiste des questions liées au vieillissement, enseignant à l’Université Paris-III-Sorbonne nouvelle et à Sciences-Po Paris. Comme la colocation intergénérationnelle ou l’habitat groupé, c’est un symptôme d’une société dont les repères évoluent malgré tout, même si elle a aussi ses aspects intangibles : voyez la rareté des papis-nounous… En réponse à la pression économique, des innovations sociales se dessinent. Prises individuellement, ce n’est pas spectaculaire, mais additionnées les unes aux autres, elles transforment peu à peu le paysage. »

Des formules sur mesure

Mamie au pair logée, nourrie, blanchie (plus argent de poche) contre services, sortie d’école, garde d’urgence, prête à vous dépanner au pied levé les jours de gastro­entérite ou de grève, ou bien mamie-baby-sitter pour les soirs de ciné, l’aide aux devoirs, ou la garde pendant les vacances : les formules proposées par les agences et sites internet de mise en relation sont diverses. « Mon fils a des restrictions alimentaires, raconte Lucie Eckenberg-­Friedlander. Je cherchais quelqu’un pour le faire déjeuner. Une étudiante ne passe pas sa journée dans le quartier et elle a des horaires fluctuants. Je me suis dit qu’une grand-mère serait plus adéquate qu’une étudiante. » Inspirée par sa propre expérience, cette employée dans l’informatique a créé en juillet dernier le site Manise and Kids, pour mettre en relation des familles et des seniors.

Lien social et retraite

Ne pas se sentir reléguée au banc de la vie active et sociale : pour certaines mamies-nounous, en particulier les femmes divorcées ou veuves, le lien avec d’autres générations est précieux, voire vital. Peu de seniors recherchent toutefois un plein-temps (la tranche 0-3 ans attire donc moins de candidatures pour cette raison). « En général, cela va de quelques heures par mois à une quinzaine par semaine, note Bertrand Favre, créateur de Bitwiin, un site qui propose des offres d’emploi dédiées aux seniors. Ces temps partiels vont dans le sens de ces retraites à la carte qu’on observe aujourd’hui. » Mamie au pair, Françoise est mobilisée au lever, puis à partir de 16 h. Entre ses engagements associatifs et son amour pour la peinture, elle apprécie de pouvoir diversifier ses journées. « Les grands-parents d’aujourd’hui suivent le même raisonnement : ils refusent d’être papi et mamie à plein-temps, observe Serge ­Guérin. Ils veulent maintenir une vie de couple, des activités personnelles… Le rapport à leurs petits-enfants devient un élément, mais pas le tout. C’est aussi cela qui crée un espace pour ce marché de service. »

Expérience et sécurité

Concrètement, le profil de ces mamies-nounous répond aux attentes de nombreux parents. D’abord l’expérience d’une vie de mère et souvent de grand-mère. Une aide précieuse pour les jeunes parents dont les parents vivent loin notamment. « Pour les enfants, c’est important de savoir qu’une maman, pas la leur, mais quelqu’un qui en a le profil, le savoir-faire, les attend à la sortie de l’école ou à la maison », analyse Christine qui, pendant une quinzaine d’années, a confié ses filles et ses clés à une voisine retraitée, « nounou et maîtresse de maison » à 4/5e. Chaque mois, Bertrand Favre voit arriver une cinquantaine de particuliers en quête d’une perle rare, parmi les 1 500 profils de gardes d’enfants en ligne. « Un des atouts des seniors est d’être disponible aux horaires où la population active est sur le pont, observe-t-il. Et qu’elles soient jeunes retraitées ou mères au foyer, ces femmes sont aussi dans la dynamique d’une reprise d’activité. » Motivées donc. Autre assurance : celle de la stabilité. Pas de changement de planning en cours d’année, en général moins de retards ou de faux bond. « Les parents dont je garde la fille quand ils sortent m’appellent maintenant à l’avance quand ils prévoient une soirée. Ils calent leurs dîners sur mes ­disponibilités. Ils savent qu’ensuite ça ne bougera pas », raconte Danièle, qui assure depuis plusieurs années gardes occasionnelles et sortie d’école. Pas besoin de mode d’emploi : les seniors savent protéger les prises de courant, faire cuire un poulet ou appeler le médecin en cas de fièvre… « Dès qu’il y a des trajets à faire en voiture, c’est également plus rassurant de confier ses enfants à une conductrice expérimentée », précise ­Patricia Brucks de O Pair Mamy.

Conjuguer ses habitudes

Mais ouvrir sa porte à une personne expérimentée, c’est aussi accepter qu’elle arrive avec ses « bagages », repères et habitudes… De nombreuses quinquas ou sexagénaires proposant leurs services ne se cachent pas d’être « à l’écoute mais fermes », « à la fois confitures et devoirs », comme le résume une ancienne professeure des écoles à la recherche d’une famille. « Une senior n’est pas aussi malléable qu’une étudiante, dit Lucie Eckenberg-Friedlander. Parfois elles entendent aussi éduquer ces enfants. » Pour les parents qui se sentent débordés et cherchent du soutien, c’est un appui de choix. « Avant mon arrivée, les enfants dirigeaient la maison, raconte une mamie-nounou à charge de trois enfants. J’ai mis fin aux négociations sans fin et redéfini les règles. Les parents m’ont emboîté le pas, et sont finalement soulagés. » Mais pour ceux qui ne supportent pas qu’une tierce personne dispose d’un certain périmètre d’action et d’une relative autorité sur leur enfant, c’est plus risqué. « De leur côté, les mamies-nounous doivent réaliser qu’elles vont travailler chez quelqu’un, être l’employée de personnes plus jeunes. Elles doivent savoir écouter les parents, leur demander ce qu’ils autorisent. Ce sur quoi ils sont à cheval… »

De vraies relations à tisser

Parfois, c’est aussi la possibilité d’enrichir le quotidien. Sur le site de Manise and Kids, les grand-mères peuvent préciser, en plus de leurs préférences pour une tranche d’âge, de leurs disponibilités et expériences professionnelles, leurs compétences ou leur goût pour la cuisine, les jeux de société, la couture et le tricot, le jardinage, l’informatique, le dessin, le chant… « Je retrouve mes garçons en train de jouer à la bataille ou de faire des crêpes avec la jeune retraitée qui va les chercher à l’école. Ce sont d’autres activités, un autre rapport au temps », remarque Valérie Gruau. Quand la confiance s’installe dans la durée, c’est aussi une fenêtre sur d’autres cultures familiales. « Au début, je faisais des menus et des listes de courses. J’ai assez vite arrêté. J’y gagne du temps et cela a aussi permis à mes enfants de découvrir d’autres façons de cuisiner, d’autres manières de faire. Il faut dire que cette dame avait du bon sens mais pas de principes intangibles. Elle n’a pas cherché à aller contre nos habitudes », explique Christine qui avait recruté la sexagénaire dans son quartier, par souci de contribuer à une vie sociale de proximité.

Comme dans toute démarche de service à la personne, il y a des ratés et des déceptions. Mais il n’est pas rare aussi que de véritables liens d’affection se nouent et que des mamies-nounous recueillent encore, des années après, les confidences de grands enfants qui n’ont plus l’âge d’être gardés depuis longtemps !

 

Les conseils de La Vie :

Aux parents 

• Identifiez vos besoins et vos limites. Êtes-vous ouverts à d’autres manières de faire ? Avez-vous envie de vous impliquer davantage dans la relation qu’avec un autre profil d’employé ?

• Donnez-vous du temps. Rencontrez plusieurs personnes si besoin. Parlez au téléphone.

• Veillez à clarifier les rôles si vos enfants ont des grands-parents et à ne pas créer de confusion (en n’utilisant pas de surnoms en commun, par exemple).


Aux mamies-nounous 

• Soyez au clair avec votre envie. Il existe d’autres déclinaisons des services à la personne : dame de compagnie, secrétaire… Choisissez la plus adaptée.

• Prenez de la distance. L’éducation des enfants ne vous appartient pas. Mais exprimez dès le départ les limites à ne pas franchir (« Je tiens à la politesse, aux bonjour, merci… »).

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