Desseins animés : la morale cachée de Disney

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« Je pense que l’esprit d’un enfant est comme un livre vierge. Durant les premières années de son existence, beaucoup sera écrit sur ces pages. La qualité de cette écriture affectera profondément sa vie. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que Walt Disney – dont on commémore ce 15 décembre les 50 ans de la disparition – a affecté la vie de plusieurs générations, biberonnées à ses films. L’œuvre de ce conteur des temps modernes, ce « poète à l’usine » comme le surnommait Blaise Cendrars en 1936, aura suscité autant d’admiration que de rejet, encensée comme une création visionnaire par les uns, décriée comme une aseptisation de la culture par les autres.


Dès Blanche-Neige et les sept nains (1937), « l’oncle Walt » se lance dans une vaste réappropriation des contes et légendes d’Europe. Si la prouesse artistique, pionnière dans le cinéma d’animation, fait peu débat, la digestion de ces récits dans une ode à l’« American Way of Life », pétrie des valeurs conservatrices WASP (celles des protestants blancs d’origine anglo-saxonne), fait grincer quelques dents, en particulier sur le Vieux Continent, qui apprécie moyennement de voir son patrimoine littéraire ainsi recyclé à la gloire du Nouveau Monde. « Disney a toujours été en phase avec la morale de son époque, ni avant-gardiste, ni particulièrement rétrograde, rappelle Pierre Lambert, historien de l’animation, spécialiste de Walt Disney. Mais il s’est toujours défendu de vouloir délivrer une quelconque morale. »


« L’oncle Walt » : Il était une fois Disney…


Le divertissement avant tout : voilà le credo du papa de Mickey, dont la vision transparaît nettement dans un article qu’il publie en 1953 dans le magazine Brief, intitulé « Pourquoi j’ai fait Peter Pan ». Il y explique vouloir « recréer un monde enfantin dans lequel les adultes se retrouveraient ». Mais permettre à chacun d’avoir une bulle d’enfance suppose, bien sûr, de bâtir un univers cohérent qui, inévitablement, traduit une certaine conception du monde.



Les codes des classes dominantes


Celle de Walt Disney commence presque toujours par le classique « Il était une fois », qui conduit aux abords d’un château ou d’un lieu de pouvoir, de préférence royal. Rien d’étonnant dans un conte, même si les films Disney ont cette capacité à gommer toute trace de conflit social. Car ces privilèges sont accessibles à tous les braves grâce à un ascenseur social en pleine forme, qui ne manque jamais d’illustrer la force du rêve américain. À condition, certes, d’adopter les codes des classes dominantes, à l’instar des chiens et chats errants qui intègrent finalement le confort bourgeois dans la Belle et le Clochard (1955) ou les Aristochats (1970)… À condition, aussi, d’avoir tout de même une certaine allure. Ainsi, lorsque les créateurs d’­Aladdin (1992) esquissent un personnage chétif – dont la bravoure ne serait donc que plus flagrante à l’écran –, les cadres du studio, qui gèrent l’héritage de Walt, refusent ce premier jet, et c’est finalement Tom Cruise qui servira de modèle au visage du jeune aventurier.


Ce diktat de l’apparence sévit encore plus fortement à l’endroit des héroïnes du studio, dont les traits distinctifs seront longtemps réduits à la couleur de leur robe et qui font preuve d’assez peu d’initiative en attendant de trouver le prince charmant. C’est la fameuse trilogie Blanche-Neige, Cendrillon, Belle au bois dormant, dont Disney parvient tout de même à briser la monotonie grâce à des partis pris graphiques sans cesse innovants.

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