Quand les “mères SOS“ recréent un foyer

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Chaque jour, à 11h30, Patricia Goffart va chercher les jumeaux à l’école. Le temps de garer sa Renault Scenic, et déjà les enfants accourent. Elyo et Lola (les prénoms des enfants ont été modifiés), 7 ans, lui sautent au cou. « Patou ! », crie le petit garçon aux cheveux fous, en lui collant un énorme baiser sur la joue, tandis que sa soeur Lola, jolie métisse aux yeux verts, glisse affectueusement sa main dans celle de Patricia. Une scène de tendresse habituelle devant l’école, sauf que Patricia n’est pas la mère des jumeaux, mais leur éducatrice familiale. Elle s’occupe d’eux depuis qu’ils ont 22 mois, lorsque le juge des enfants a décidé de leur placement dans le village d’enfants de Châteaudun (Eure-et-Loir).


Des liens sécurisants


Alternative au placement en foyer ou en famille d’accueil, les villages de l’association SOS Villages d’enfants favorisent le regroupement des fratries sous un même toit, auprès d’une « mère SOS » qui vit avec eux, et assume leur éducation. « Nous faisons le pari qu’il est possible de recréer des liens d’attachement solides et sécurisants grâce à la présence de référents éducatifs stables », explique Éric Bellin du Coteau, directeur de ce village composé de 10 maisons intégrées à un lotissement paisible du quartier Saint-Jean à Châteaudun. Cinquante enfants y sont accueillis.


Cela fait 17 ans que Patricia y travaille. En plus des jumeaux, cette célibataire de 53 ans s’occupe de leurs deux soeurs aînées, Léa 15 ans, et Clara 13 ans, ainsi que de Vincent, 12 ans, et de Pamela, 18 ans. Des enfants qui gardent très peu de liens avec leurs parents et qu’elle a vus grandir. Cette grande femme énergique mise sur la régularité des gestes du quotidien pour les aider à vivre avec leurs traumatismes. « Il ne suffit pas de donner de l’amour : il faut que l’enfant soit prêt à le recevoir. Installer une relation de confiance prend des mois, des années parfois. Cela commence par la nourriture, l’hygiène, des petits plaisirs, de jolis vêtements… » Dans la voiture, Elyo raconte sa matinée. Une familiarité lui échappe. « Je t’ai dit que je ne voulais pas entendre de grossièreté. Quand on est instruit, on ne dit pas de gros mots ! », rappelle fermement Patricia.


Un climat chaleureux


En rentrant de l’école, les jumeaux sont fiers de faire visiter leur maison. Sur le mur couleur cerise de la cuisine, au-dessus du plan de travail, s’étale en grosses lettres grises le mot « gourmandise ». Sur le frigo, sont aimantés des dessins, la liste des cadeaux de Noël, le calendrier de la semaine pour les tours de table, un mot aux lettres hésitantes : « Maman, je t’aime bien ». Dans le salon aux larges baies vitrées, trône un immense sofa, face à la télévision. Tout est fait pour créer un climat familial chaleureux.


Un peu plus loin dans la rue, Martine Delpech occupe un pavillon similaire à celui de Patricia. À 61 ans, elle aussi cumule de longues années d’expérience en tant qu’éducatrice. Ce jour-là, Martine a invité Patricia à déjeuner avec les jumeaux. Il n’est pas rare qu’elles se donnent des conseils ou des coups de main pour garder l’un ou l’autre des enfants. La cuisine embaume d’un lapin en sauce qu’elle a mijoté pour l’occasion. Elyo se pelotonne contre Patricia. « Tu n’es pas obligé de me coller, je ne vais pas m’en aller », le rassure-t-elle. Alexia, 7 ans, petite blonde à lunettes roses, affiche un grand sourire édenté en attaquant le contenu de son assiette. Cela fait à peine six mois qu’elle est placée auprès Martine. « Ne mange pas si vite, lui dit-elle. Je n’ai même pas fini de couper ta viande ! » C’est que la nourriture joue un rôle important pour ces enfants. « C’est une façon de compenser un manque d’affection. J’essaie de toujours préparer quelque chose qu’ils aiment, tout en maintenant des repas équilibrés », détaille Martine, même si son emploi du temps est chronométré. Elle doit en effet accompagner chaque jour à l’école quatre des cinq enfants dont elle a la charge. Sans compter les multiples rendez-vous médicaux, et les devoirs qu’il faut superviser, notamment pour Alexia qui présente des difficultés de langage. « Il n’a pas été facile pour les autres de l’accepter. Ils sont très possessifs. Quand un nouveau arrive, je dois l’aider à trouver sa place, et à exiger le respect », insiste-t-elle.


Un peu plus tard dans l’après-midi, Martine entame sa tournée quotidienne pour aller chercher les plus grands. Maya, 11 ans, termine le collège la première. Sa fine silhouette apparaît. Elle ouvre la porte et s’engouffre à l’arrière du monospace. Dans un flot de paroles, elle retrace sa journée en faisant danser ses cheveux bouclés, coupés au carré. Cela fait cinq ans que Martine s’occupe d’elle et de sa grande soeur. Il ne faut pas la prier pour raconter ses souvenirs d’été. « Tu te souviens des dunes du Pilat, quand on est monté tout en haut ? », demande-t-elle, la mine réjouie.


Des regards affectueux


Martine a organisé ces vacances en camping avec tous les enfants du pavillon pour créer des souvenirs communs, car les trois plus anciens repartent chaque week-end chez leurs parents. « L’été, c’est comme une vie de famille, on va à la plage, il n’y a pas d’horaire », raconte Martine qui apprécie la liberté de ce travail. Dans la voiture, le temps presse pour être à l’heure chez l’orthophoniste. Martine, inquiète, s’assure qu’elle n’a pas oublié le goûter d’Alexia. « Je fais beaucoup pour eux. Peut-être trop ? Ils ne le voient pas toujours… », glisse-t-elle. Les regards affectueux des enfants semblent la contredire. « Elle m’a appris la compassion, à aider les autres, et quelques bonnes manières », fait valoir Norah, la plus grande. Pour Maya, elle est comme sa « mamie ». Une grand-mère « toujours juste ». Quant à Jérémy, un grand adolescent au regard doux, c’est de l’amour qu’il dit éprouver pour celle qui lui a appris « à respecter les autres… et à ranger sa chambre ». À les entendre, le voeu de Martine d’offrir à ces enfants « une vie normale et des valeurs » est bel et bien exaucé.


 


60 ans au service des fratries 

L’association SOS Villages d’enfants est née de la colère de Gilbert Cotteau, frappé par l’injustice dont sont victimes les fratries d’orphelins de la Seconde Guerre mondiale, séparées par l’État. S’inspirant d’un village autrichien, qui rassemble sous un même toit les enfants de familles nombreuses, aux côtés d’une « mère », cet instituteur construit en 1956 le premier village SOS dans le Nord. Pour épauler l’éducatrice, chaque village qui est financé par le conseil départemental, au titre de la protection de l’enfance, dispose d’une équipe d’éducateurs spécialisés, psychologues, animateurs… L’ONG gère 13 villages en France et 44 autres, ailleurs dans le monde. Et projette une nouvelle ouverture, en Moselle.


> À lire 


Ma vie de Courgette, P’tit Glénat, 14,50 EUR. Ce livre pour enfants est adapté du film éponyme qui a remporté le Grand Prix du Festival d’Annecy, lui-même adapté du roman de Gilles Paris, Autobiographie d’une courgette (Plon). 


> À écouter 


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