Modèle éducatif : 5 questions que tout parent devrait se poser

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Psychosociologue, Édith Tartar Goddet anime des ateliers de parole pour parents et pour adolescents. Auteure de plusieurs ouvrages, dont la Toute-puissance de l’école (Retz), elle forme 6000 enseignants par an à la relation à l’enfant et à la gestion des conflits. Elle engage chaque parent à interroger son modèle éducatif en se posant cinq questions.


1. Ai-je des convictions ?


« Sur quoi s’appuyer dans une société qui promeut l’absence de règles et l’épanouissement individuel ? Souvent démunis, les parents naviguent à vue. Connaître quelques astuces ou outils ne suffit pas en matière d’éducation, car ce n’est pas seulement une question de “faire”, mais d’“être”. Les parents ont avant tout besoin de convictions. Les déterminer implique une réflexion personnelle : quelles sont mes valeurs ? Qu’est-ce que je veux transmettre à mon enfant ? Sur quels points je ne céderai pas ? Sur quels autres je peux lâcher ? Ce questionnement permet de déterminer l’essentiel et ce que les parents vont défendre, quitte à se battre ! Je recommande aux parents de distinguer clairement les besoins des désirs. Les besoins fondamentaux de l’enfant doivent être satisfaits, afin qu’il puisse vivre, croître et se réaliser : sommeil, boisson, nourriture, protection, sécurité, identité. Si les envies sont normales puisque nous sommes en vie, leur satisfaction peut être différée, voire non satisfaite. J’ai accompagné une mère qui pleurait de voir son fils triste parce qu’elle lui avait dit non. On ne meurt pas de la frustration. Il y a des obligations, des contraintes, qui demandent de faire des efforts, de poser des choix. Accepter que la vie est frustrante et conflictuelle est une preuve de maturité. »


2. Quel est mon rapport à l’autorité ?


« Nul n’est énonciateur de la loi, sauf le tyran. La loi s’impose à tous. Le parent en est le locuteur. Il l’a lui-même reçue et doit la transmettre. Quel est mon rapport à la loi : est-ce que je la considère de façon pacifiée, positive, bénéfique, ou comme une empêcheuse de tourner en rond ?

Un adulte choisit d’obéir à la loi, tandis qu’un enfant s’y soumet. Si l’adulte se soumet à la loi, il demeure à un stade infantile… Mais notre société est-elle adulte ? Nous pouvons nous interroger en considérant combien nous-mêmes sommes tellement transgressifs, cherchant à esquiver les règles sitôt le radar passé ou loin de la police. Sans doute un pouvoir trop vertical et autoritaire, par le passé, a-t-il contribué à construire cette vision péjorative de la loi. Or c’est elle qui nous permet de vivre.

D’après moi, notre société médiatique est perverse ; elle produit des illusions en permanence. Elle nous fait miroiter ­l’absence de limites : l’omnipotence et l’omniscience. Cette promesse de toute-puissance nous piège. En dix ans, les écoles se sont remplies d’enfants ingérables, produits de notre société de consommation. L’enfant élevé sans loi ou avec des règles fluctuantes demeure sous l’emprise de ses pulsions du moment. Il n’est pas libre. La loi nous libère de l’aliénation à nous-mêmes. Elle nous met en situation de choix. Il faut le dire aux enfants ! C’est possible dès l’âge de 4 ans. »


3. Est-ce que je pose un cadre clair ?


« Les adolescents sont vulnérables et fragiles. Il faut les protéger davantage. Je rencontre trop de parents qui font confiance à la société de consommation, qui laissent leur jeune avec un Smartphone faire n’importe quoi sur Internet. Pour grandir, l’enfant a besoin d’être contenu. Les adultes doivent lui proposer un cadre cohérent, où les règles sont clairement énoncées et respectées par tous : voilà ce qui est permis, voilà ce qui ne l’est pas, et les conséquences en cas d’infraction. Combien d’enfants connaissent la gradation entre une contravention, un délit et un crime ?

Pour expliquer ces nuances, je dessine un cadre au centre d’une feuille : il correspond à ce qui est permis. Les adultes doivent veiller à valoriser l’enfant qui s’y trouve. Autour, je trace un cadre que j’appelle la zone de transgression. La première partie relève de ce qui est tolérable et n’entraîne qu’un rappel à la règle, quand la seconde est intolérable et a pour conséquence une sanction. Au-delà, c’est la zone du hors-la-loi, qui est inadmissible, empêche de vivre en société et relève de la justice. Avec l’enfant, nous cherchons des exemples et il m’indique dans quelle zone, selon lui, ils se situent. On peut avoir des surprises !

Je me souviens ainsi d’un cas : trois lycéens cagoulés avaient aspergé leur enseignant d’un produit lacrymogène et l’ont jeté à terre. Le procureur de la République voulait qualifier cet acte de crime, ce qui a soulevé l’indignation de la classe qui n’y voyait qu’une transgression intolérable. J’ai travaillé avec eux sur cet écart entre leur perception et la réalité judiciaire. La loi n’est pas question de ressenti. La violence, qui cherche à détruire (telle est sa définition), relève du Code pénal. Qu’elle soit physique ou psychique, elle appelle une action des adultes, garants de la protection de l’enfant. L’intervention est à trois niveaux : à l’égard des auteurs, des victimes et des témoins. »


4. Comment je gère les conflits ?


« Qu’il soit intérieur ou entre deux parties, les ressorts face à un conflit sont similaires. Il s’agit d’abord d’entendre le conflit, quand souvent nous faisons comme s’il n’existait pas ou s’il n’était pas grave. Ensuite, il faut chercher des arguments ; formuler les siens et écouter ceux de la partie adverse. Enfin, je fais travailler l’enfant sur les conséquences : que se passe-t-il s’il préfère rester au lit plutôt que d’aller à l’école, s’il ne veut pas rendre la pelle qu’il a prise à son camarade ? Le raisonnement permet de prendre conscience du risque d’avoir des ennuis et de ressentir de la culpabilité.

Or nous ne savons pas gérer la culpabilité. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi, c’est un constat clinique. Nous enfouissons nos culpabilités et elles s’accumulent. Alors que nos frustrations, elles, s’atténuent et disparaissent ; on peut les élaborer et les gérer. Mieux vaut donc ressentir de la frustration, en ayant respecté une règle, que de la culpabilité, pour l’avoir enfreinte ! »


5. Est-ce que j’ose transmettre ?


« Il est difficile de transmettre, dans une société exclusivement tournée vers le présent et le futur immédiat. Tout ce qui vient du passé est dénigré. Dans le même temps, les enfants sont souvent considérés comme des adultes en miniature, qui auraient déjà mystérieusement des acquis sociaux, de savoir-être, de savoir-faire. Et pourtant, ils ont tellement besoin de recevoir, d’enrichir leur vision du monde, de prendre du recul… Les grands-parents ont un rôle majeur à jouer. Pour aider les jeunes à réfléchir, à prendre de la distance, à formuler en qui ils ont confiance, par exemple, à réfléchir aux questions existentielles : la vie, la mort, la maladie… Nous avons aussi à accompagner la construction spirituelle de l’enfant, ce souffle qui l’anime. Je lis ainsi des récits bibliques à mes petites-filles et cette lecture suscite des questions incroyables sur le sens de la vie. »

 


> À lire :

La Toute-Puissance à l’école, d’Édith Tartar Goddet, Retz, 20,60€.


 


Semaines sociales 2016 : « Ensemble l’éducation »


Édith Tartar Goddet participera à un débat aux Semaines sociales de France 2016 qui ont lieu à Paris, les 19 et 20 novembre, sur le thème « Ensemble, l’éducation ». « Il y a comme une redistribution des rôles aujourd’hui, précise Pierre-Yves Stucki, responsable de la session, et un besoin de redéfinition des places respectives de la famille, de l’école et des autres acteurs : pairs, médias, associations. Pour le bien de l’enfant et de la société, une alliance éducative est nécessaire. » Cette session nationale, ouverte à tous, propose conférences, ateliers et débats. Elle interpellera notamment des politiques par des propositions éducatives issues d’une plate-forme collaborative et réunies en un « livre ouvert ». Cette année, les 6-14 ans bénéficieront d’un programmes spécifique.
http://ssf-lasession.org

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