Pourquoi donner rend heureux

Standard
  • Partager par Facebook
  • Partager sur Twitter
  • Envoyer par email
  • Version imprimable


« Donner fait du bien aux autres et à soi-même », tel était le slogan de France Générosités en 2015. Un slogan reconduit cette année. Qu’est-ce qui vous séduit dans ce message ?


C’est un message nouveau qui tranche avec les angles souvent utilisés pour les appels au don (la responsabilité, la morale et l’émotionnel). Avec un tel slogan, France Générosités contribue à ce que notre société reconnaisse aujourd’hui les bienfaits du don, pour tout le monde. En tant que spécialiste de l’économie du bonheur (voir ci-dessous), j’étudie comment les comportements économiques, notamment à travers nos modes de consommation et en entreprise, peuvent avoir un impact sur notre bonheur. Or, selon la recherche, s’il y a un type d’action économique qui augmente significativement le bonheur, c’est bien le don.


L’argent ne fait pas le bonheur, mais le donner oui, assurez-vous. Selon vous, plus on donne, plus on a de chances d’être heureux ?


Je travaille d’après des observations faites par des chercheurs internationaux soit en laboratoire soit dans la vie réelle. À partir de ces matériaux, on observe que les gens qui donnent, quel que soit le montant de leur don, sont plus heureux que leurs homologues (du même âge et de même situation socio-économique) qui ne donnent pas. Une étude internationale a même révélé qu’un donateur augmente le niveau de satisfaction de sa vie autant que s’il voyait un doublement de son salaire. En clair : un euro donné vaut beaucoup plus (jusqu’à 20 fois plus) qu’un euro gagné en salaire ! Et le don augmente de manière bien plus durable le bonheur que la consommation.


Comment expliquer ce fait ?


Les sciences du bonheur, qui font intervenir la psychologie, les neurosciences et même l’économie, mesurent trois dimensions du bonheur : premièrement, la dimension émotionnelle, que l’on appelle « bien-être émotionnel », c’est-à-dire l’équilibre entre émotions positives et négatives, et qui s’expérimente dans le court terme. Ensuite, la dimension cognitive reflétée par la « satisfaction de la vie », une note d’ensemble donnée à sa vie : elle s’inscrit dans le moyen terme. Enfin, la dimension psychologique, ou « bien-être psychologique », qui s’inscrit, elle, dans le long terme et inclut différents sentiments (l’autonomie, le contrôle, la relation aux autres, l’estime de soi, le sens de sa vie, etc.). 


De l’altruisme à la gratuité, les nouvelles formes de don


En donnant, on ressent immédiatement des émotions positives, la vie semble plus satisfaisante et avoir plus de valeur, et on se sent plus autonome dans ses choix, tout en ayant un impact sur le monde et en trouvant un sens à la vie. Je pourrais dire comme Jean-Jacques Rousseau dans les Rêveries d’un promeneur solitaire : « Je sais et je sens que faire du bien est le plus vrai bonheur que le cœur humain puisse goûter. »


Aux États-Unis, des études ont montré que les personnes sans ressources donnaient davantage que les riches. Un paradoxe ?


Non, ce n’est pas vraiment un paradoxe. Le don répond à de multiples motivations. Donner est positif pour l’image de soi et l’image sociale. Pour ceux qui sont en bas de l’échelle, c’est donc très important. Le don, au même titre que la consommation ostentatoire, contribue à donner un statut.


Quels conseils donnez-vous à ceux qui souhaitent faire un don mais ne savent pas trop comment s’y prendre ?


Je préconise de ne pas attendre le Téléthon pour donner, mais de mobiliser sa puissance de don tout au long de l’année, par de petits dons fréquents plutôt que des versements importants mais rares. Cela permet de se reconnecter fréquemment à ses valeurs. Je ne suis pas favorable au prélèvement automatique, car, pour générer du bonheur, le don doit être accompli consciemment ; si l’on a recours à ce moyen de paiement, on finit par l’oublier. Mais je sais aussi que pour le bonheur des associations, la régularité et la prévisibilité de ces versements réguliers sont un vrai plus… Celles-ci peuvent amplifier la dimension solidaire du don, en organisant des communautés de donateurs, pour créer chez ces derniers ce sentiment d’appartenance à un groupe qui partage les mêmes valeurs.


Être croyant contribue-t-il au bonheur ?


Les chercheurs ont repéré que le don a un effet très clairement positif chez les adeptes et pratiquants d’une religion. Le monde apparaît moins chaotique au croyant car il croit en Dieu, il a trouvé un sens à sa vie, et il est connecté socialement au monde, ne serait-ce qu’en allant aux offices où il rencontre d’autres personnes.


Selon le rapport du World Giving Index 2015, qui étudie l’état de la générosité dans le monde, la France est en retard sur d’autres pays occidentaux, comment l’expliquer ?


Les chiffres montrent qu’il y a environ 30% de donateurs réguliers en France contre 60 à 70% dans les pays anglo-saxons. Chez ces derniers, le total des dons privés se situe dans une fourchette comprise entre 0,5% et 1,4% du PIB, alors qu’il ne représente que 0,1% dans l’Hexagone. Les habitudes prises en matière de dons sont notamment le reflet des structures politiques dans lesquelles une population évolue. En France, l’État a pris en charge un certain nombre de causes sociales et les Français se sont habitués à se reposer sur lui. De nombreuses personnes ne donnent pas car elles donnent déjà aux impôts. Mais, par définition, le don, volontaire, n’est pas un impôt ! Les études affirment aussi qu’environ 30% de l’écart de bonheur entre la France et les pays dits « les plus heureux au monde » (pays scandinaves et anglo-saxons) s’expliquerait par la moindre propension à donner des Français.


La défiance des Français vis-à-vis de l’État peut-elle avoir un impact sur leurs dons ?


Oui, je le crois. On sait depuis longtemps que les gens donnent plus à des organismes quand ils considèrent ceux-ci comme efficaces. Une étude très récente a montré que les dons aux associations dépendaient aussi de la perception de l’efficacité de l’État et donc des impôts qu’il collecte. Lorsque ce dernier semble peu efficace, les intermédiaires que sont les associations en pâtissent également. L’impact sur le don est négatif quand les particuliers paient beaucoup d’impôts et qu’en plus, ils ont l’impression que leur argent est mal utilisé. Une attitude répandue, dans ce genre de situations, est de se passer des intermédiaires que sont les associations et de garder son argent pour soi ou pour s’occuper de ses proches.


 


L’économie du bonheur


Ce nouveau courant de recherche en économie s’inscrit dans la voie ouverte par des économistes iconoclastes des années 1970. Ceux-ci ont commencé à étudier les corrélations entre les différentes variables économiques et le niveau de bonheur des individus à travers le monde. Au même moment se sont développées la psychologie positive, qui étudie l’épanouissement des individus, ou encore la psychologie hédoniste, qui s’intéresse au plaisir et à la satisfaction. Ces courants prennent en compte davantage les émotions positives et le bien-être plutôt que les pathologies mentales.

Leave a Reply