Vous reprendrez bien un peu de cervelle ?

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L’ouvrier africain de Jean-Jacques Arnoult a de la dextérité. En un tournemain, il a découpé sous nos yeux la langue et les oreilles de la tête de veau, puis l’a placée dans une machine qui fend en un éclair la boîte crânienne de l’animal, en provenance de Périgueux, et en a extirpé la cervelle sanguinolente. « Cet appareil est une sorte de guillotine », commente le président de la Confédération nationale de la triperie française (CNTF). Il est 7 h, en ce matin de juillet. Bienvenue au pavillon de la triperie de Rungis, temple glacé des viscères où trônent partout rognons, cœurs, foies et têtes de veau, entières ou préparées comme un rôti. Âmes sensibles, s’abstenir !


L’ombre de la maladie de la vache folle

Le marché de gros, au sud de Paris, irrigue la France et l’Europe (plutôt du Sud) en cervelles et autres abats. La société de M. Arnoult vend de 300 à 800 cervelles de veau chaque jour, de 200 à 500 cervelles de porc, et seulement quelques dizaines de cervelles d’agneau. « En raison de la tremblante du mouton, la France a adopté une législation restrictive : les cervelles d’agneaux âgés de plus de six mois sont interdites à la vente, alors que la réglementation de l’Union européenne, moins sévère, a fixé cet âge à 12 mois. Il y a donc un problème d’approvisionnement dans l’Hexagone. Sur 4,2 millions d’agneaux abattus par an, 3 millions de cervelles sont jetées car issues d’animaux âgés de plus de six mois », explique Jean-Jacques Arnoult. Les poncifs font sourire cet amateur d’abats, plutôt prisés par les personnes âgées. « Longtemps, on a donné de la cervelle aux tout-petits parce qu’elle aiderait au développement des neurones. Ce n’est pas scientifiquement prouvé, mais la croyance subsiste. »

Manger de la cervelle rendrait intelligent ? Pas sûr ! Sa consommation est très ancienne. Avant de maîtriser le feu, les primates hominidés savouraient les abats, faciles à mâcher crus. Des tribus primitives ingéraient la cervelle de leurs ennemis pour s’approprier leur force. Jusqu’à ce que des chercheurs découvrent, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, qu’une pratique anthropophage – la consommation de broyats de cervelle humaine – déclenchait une maladie neurodégénérative mortelle, nommée kuru chez les Fore, et caractérisée par de forts tremblements.

En Europe, la maladie de Creutzfeldt-Jakob, apparue après l’injection à des enfants d’hormones de croissance extraites de cerveaux humains mal stérilisés, a alerté sur le danger lié à l’absorption de cervelle. De même que la maladie de la vache folle, l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), affection dégénérative du système nerveux central due à la consommation de farines animales par le bétail. Une crise qui a entraîné à partir de 1995 une baisse de la consommation de viande bovine, et plus encore d’abats.

Mais, en Occident, les purs rites cannibales n’ont pas cours, sauf faits divers exceptionnels, dignes de films d’horreur. C’est cette Texane qui en 2009, « obéissant à Satan », a mangé le cerveau de son bébé âgé de trois semaines. C’est ce détenu qui, en France, en 2004, à la prison de Saint-Maur, a ouvert le crâne d’un prisonnier pour en dévorer le contenu.


Des bienfaits un peu surévalués

Selon les nutritionnistes, les abats boostent le cerveau. À Paris, Nicole Tripier, naturopathe et micronutritionniste, estime que la cervelle, riche en protéines, en fer, en vitamine B12 et en phosphore, « contribue à l’oxygénation du sang et apporte de l’énergie. La cervelle contient des acides gras essentiels, des oméga-3 DHA, indispensables au développement du cerveau et aux fonctions d’apprentissage », résume-t-elle. Points négatifs ? « Elle contient aussi du cholestérol, et génère de l’urée et de l’acide urique. »

Autre point faible : son aspect visuel. Parce qu’elle ressemble au cerveau humain, la cervelle suscite souvent le dégoût. « Aujourd’hui, l’industrie alimentaire a choisi de cacher la réalité de ce que l’on mange. Tout est fait pour que la viande que l’on achète n’évoque pas l’animal, afin que les gens aient bonne conscience. Or, avec une cervelle dans son assiette, endroit magique où nichent le savoir et peut-être l’âme, impossible de se voiler la face », analyse Aymeric Caron, journaliste de télévision. L’auteur du plaidoyer végétarien No Steak (Fayard) avoue que l’absorption de cortex animal le dégoûte autant, mais pas davantage, que celle de la bidoche.

Même sentiment pour Catherine Hélayel, une avocate appartenant au mouvement Vegan – qui refuse tout ce qui vient des animaux, de la viande au lait en passant par le cuir et la laine. Pour celle qui porte un sac et des chaussures « végétariennes » en plastique recyclé, l’animal devrait avoir les mêmes droits qu’un enfant de moins de 15 ans : droit à la vie et droit de ne pas être maltraité. « Un jour, peut-être, on risquera la cour d’assises quand on tuera un animal, a fortiori quand on lui prendra sa cervelle », annonce la juriste. Et ces restaurants chinois ou indonésiens dans lesquels on déguste à table la cervelle d’un singe vivant, saoulé à l’alcool, n’existeront sans doute plus.


Un mets caché sur la carte

À Paris, il existe un établissement où l’on consomme toutes sortes d’abats, de la tétine de vache à l’oreille de cochon. Dans une ruelle proche de Notre-Dame, Nadège Varigny, fille et petite-fille de boucher, en a fait la spécialité du Ribouldingue, un restaurant qu’elle a ouvert en 2007. Mais parce qu’ils révulsent les touristes, Américains, Anglais ou Brésiliens, elle a pris soin de ne pas trop l’afficher sur sa carte. Jérôme, son chef cuisinier, un ex-tripier de Belleville, s’évertue aussi à faire revenir la cervelle meunière dans le beurre, pour que, « dorée à point, elle ait moins l’aspect d’une cervelle ». « Certains clients, comme moi, raffolent de la texture molle et du goût délicat de la cervelle d’agneau, plus prononcé que celle du veau », explique la gérante. D’autres, au contraire, se lèvent en découvrant la tête de veau à la sauce gribiche, agrémentée d’une cervelle coupée en deux.

Idée recette : les beignets de cervelle de Maguy

- 2 petites cervelles d’agneau.

- 100 g de gruyère râpé.

- 2 œufs.

- 40 g de farine.

- 50 g de beurre.

- 1 citron.

- Sel, poivre, persil.


Nettoyer les cervelles avec de l’eau vinaigrée. Les pocher dans l’eau 10 minutes, puis les couper en dés. Dans un grand bol, battre les œufs entiers, y ajouter le fromage râpé, la farine, le sel et le poivre, et enfin les dés de cervelle. Faire fondre le beurre dans une poêle, y verser la préparation par cuillerée à soupe. Laisser cuire 8 minutes environ. Parsemer de persil, décorer de fines rondelles de citron, et déguster aussitôt. Ces beignets sont très prisés en Italie et en Espagne, où on les déguste à l’heure des tapas.

 

Pour aller plus loin

Intelligence artificielle, âme, médecine, méditation… Retrouvez notre dossier spécial sur les mystères du cerveau dans l’édition de La Vie n° 3545 datée du 8 août 2013, disponible en version numérique en cliquant ici.

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