Attentats : Comment vivre quand tout le monde est une cible ?

Standard
  • Partager par Facebook
  • Partager sur Twitter
  • Envoyer par email
  • Pour imprimer cet article, vous devez être abonné


La barbarie a pris le pas sur la féérie. L’auteur de l’attentat ne pouvait ignorer que nombre de familles assistaient au feu d’artifice. Selon Nice-Matin, 54 mineurs ont été admis à l’hôpital pédiatrique Lenval depuis jeudi soir. En tout, dix enfants et adolescents ont été tués lors de l’attaque du camion. Or les enfants sont choqués à la mesure de leur identification aux victimes : ils auraient pu être à leur place.


En tant que parents, inutile de chercher à cacher notre effarement sur le coup, mais on doit assurer que c’est passager, insiste Angélique Kosinski Cimelière, psychologue clinicienne pour enfants. Quelques jours après, il est important de dire que notre peur est passée, mais qu’eux ont le droit d’éprouver ce qu’ils éprouvent et qu’il vaut mieux l’exprimer : « Le mot d’ordre, c’est de rassurer et d’expliquer. » Attention au flot d’informations violentes. « Particulièrement avant 10 ans, on les tient à l’écart des images, souligne la psychologue. Et surtout, on pense à débrancher, à être à la maison avec eux, à leur consacrer du temps. »


Comment expliquer les attentats aux enfants ?


Une menace qui échappe aux probabilités


Cet attentat, survenu le jour de la fête nationale, n’a rien d’anodin, les enfants le sentent bien. Il vise explicitement la France et ce en quoi elle croit. Fête nationale, feu d’artifice, insouciance et unité : « C’est un mode de vie, mais au-delà c’est un art de vivre à la française », analysait déjà le sociologue et sémiologue Alain Mergier à propos de l’attentat au Bataclan. Spécialiste des processus d’opinion, il a cosigné Janvier 2015 : le catalyseur (Fondation Jean Jaurès), une analyse de l’impact des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher sur le vote des classes populaires. À nouveau, ces valeurs ont été visées : « Le café en terrasse, le match de foot, la musique, la mixité, l’insouciance. Tout cela crée du “nous”. Nous appartenons à cet art de vivre. Ce ne sont pas des valeurs abstraites, mais des valeurs de vie quotidienne qui sont en jeu. Nous y tenons, car elles nous tiennent ensemble. »


Prolongé de trois mois, l’état d’urgence marque la continuité avec cette réalité nouvelle « dans laquelle se reconfigure le rapport que le public entretient avec le danger, poursuit le sociologue. Nous passons d’une situation dans laquelle des attaques terroristes étaient probables, un risque à peu près mesurable, à une situation dans laquelle elles deviennent certaines, une menace qui échappe aux probabilités. C’est cela la guerre : le passage du risque à la menace, les actes terroristes ne sont plus exceptionnels, ils deviennent une dimension constitutive de la réalité ordinaire. »


Cette guerre aveugle est d’autant plus anxiogène qu’elle n’a ni contours, ni déclaration, ni front. Impossible de se mobiliser contre un ennemi visible, qui pratiquerait le respect de certains implicites : la trêve, la protection des civils, à plus forte raison les enfants. Les coups tombent sans prévenir. À quand le prochain ? Et où ? Plus grave encore : notre système de protection, pourtant paré à toute éventualité comme il l’était à Nice, s’avère totalement dérisoire et incapable d’éviter l’horreur. Comment maintenir leur sentiment de sécurité, quand n’importe qui semble pouvoir être la prochaine cible ?

Leave a Reply