Oui, les virus sont bien des êtres vivants !

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Un rotavirus représenté en 3D (Ph. Graham Beards & Graham Colm via Wikicommons CC BY 3.0)

Un rotavirus représenté en 3D (Ph. Graham Beards & Graham Colm via Wikicommons CC BY 3.0)

A l’ère de la génétique tout azimut, où faire séquencer son génome ne coûte qu’une poignée d’euros (100 environ), la lacune de compréhension sur la nature des virus faisait désordre. Sont-ce des êtres vivants ou bien simplement des structures biochimiques toxiques produites par les cellules ? Les biologistes ne pouvaient pas répondre rigoureusement à cette question, même s’ils penchaient clairement vers la première alternative.

Aujourd’hui, une équipe des chercheurs de l’université de l’Illinois semble avoir comblé cette lacune en démontrant l’enracinement de plain-pied des virus dans l’arbre de la vie. Un résultat important qui éclaire d’une lumière nouvelle cette zone sombre de la connaissance où s’accomplit la séparation entre les règnes de l’inanimé et du vivant.

 Les virus, entités entre la vie et l’inerte

A ceux qui s’étonneraient que l’on puisse douter de la nature vivante des virus, ces “petites bêtes” dont l’humanité ne cesse de se défendre (SRAS, HIV, Ebola, Grippe saisonnière ou aviaire, etc.), il faut rappeler que la définition du vivant par les biologistes contient des clauses que les virus ne semblent pas remplir, comme de posséder un métabolisme. Par ailleurs, une autre condition, la capacité à se reproduire, est présente chez les virus mais pas au sens habituel du terme, à savoir posséder la “machinerie” pour construire à partir de leur matériel génétique de nouveaux exemplaires.

Représentation des relations entre virus et cellules dans l'arbre de l'évolution (Nasir and Caetano-Anollés Sci. Adv. 2015).

Représentation technique des relations entre virus et cellules dans l’arbre de l’évolution (Nasir and Caetano-Anollés Sci. Adv. 2015).

Car les virus, s’ils contiennent bien des séquences d’ADN ou ARN, ne sont pas capables de synthétiser à partir d’elles les briques pour construire une progéniture, c’est-à-dire produire des protéines et répliquer son matériel génétique à l’aide d’enzymes (une classe particulière de protéines). Pour cela, les virus doivent utiliser le métabolisme de leur cellule-hôte.

 Les virus possèdent-ils un ancêtre commun ?

Pour ces raisons, et pour d’autres, les virus peuvent également être considérés comme de simples réservoirs de “restes” de cellules vivantes (membrane, matériel génétique) qui intoxiquent les cellules, lesquelles se mettent alors à reproduire ces éléments toxiques et à les lâcher dans le sang. Et si l’on dit que les virus mutent, cela peut aussi bien signifier que c’est la cellule envahie par ces entités qui mute et peut se mette à produire des exemplaires légèrement différents de ses envahisseurs. Bref, si une cellule envahie par un virus peut être assimilé à organisme vivant, pour le virus lui-même, isolé, les choses ne sont pas claires.

Mais il existe une autre voie, qu’ont empruntée les chercheurs : remonter aux origines des virus pour savoir s’ils ont évolué à partir d’une forme jadis clairement vivante et autonome (par exemple, un organisme unicellulaire) où s’ils ont toujours été une sorte d’entrepôt à déchets toxiques. Les virus possèdent-ils donc un ancêtre qui appartenait à l’arbre de l’évolution ?

 Les protéines de l’évolution

Hélas, l’ADN ou ARN contenue par un virus est en général trop petit, trop volatile et trop lié à celui d’une cellule-hôte pour qu’il puisse être analysé les méthodes usuelles, en comparant les codes d’un grand nombre d’individus d’espèces voisines afin d’en tirer les séquences invariables, signature de l’ancêtre commun. Les scientifiques ont choisi d’étudier plutôt que l’ADN ou l’ARN, les protéines produites par les virus, à la recherche de formes invariables.

Exemple de protéine repliée (ici, de l'hémoglobine). Ph. Gabby8228 (GFDL).

Exemple de protéine repliée (ici, de l’hémoglobine). Ph. Gabby8228 (GFDL).

Comme les protéines sont de longues molécules repliées sur elles-mêmes d’une manière très particulière – qui détermine leur fonction dans l’organisme – les chercheurs se sont concentrés sur leurs structures : utilisant les données biochimiques disponibles, ils ont ainsi comparé les repliements de protéines produites par 3460 virus et 1 620 cellules d’organismes de différentes espèces.

 Issus d’une cellule voici 2,45 milliards d’années

Ils ont ainsi découvert que si les cellules et les virus partagent 442 types de structures de protéines, 66 n’appartiennent qu’aux virus. Ces structures étaient, ont déduit les chercheurs, celles que produisait leur ancêtre commun. Voilà les virus intégrés de fait dans le jeu de l’évolution. Mais qui était-il ? C’est une découverte relativement récente qui leur a permis d’en dévoiler le profil probable : l’ancêtre était… une cellule. La branche a ainsi été reliée à l’arbre.

Reconstitution informatique d'un mimivirus (Crédit : Xiao C, Kuznetsov YG, Sun S, Hafenstein SL, Kostyuchenko VA, et al. 2009 PLoS Biol)

Reconstitution informatique d’un mimivirus (Crédit : Xiao C, Kuznetsov YG, Sun S, Hafenstein SL, Kostyuchenko VA, et al. 2009 PLoS Biol)

C’est en effet l’existence de “mimivirus“, sortes de géants possédant un matériel génétique plus large que celui de certains microbes et contenant tous les outils génétiques nécessaires à la réplication, qui leur a inspiré cette réponse. Et les méthodes de génétique statistique ont permis de situer la date de cet ancêtre commun à -2,45 milliards d’années.

Les virus sont donc bien des êtres vivants, issus d’une lignée d’organismes unicellulaires qui ont épousé un mécanisme particulier de l’évolution, nommé évolution réductive (simplification plutôt que complexification). Les virus sont donc bien nos cousins lointains…

Román Ikonicoff

 

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  • La mécanique de la vie – S&V n°1150 – 2013. Contraintes, frottements, contractions… les forces physiques agissent aussi sur les cellules, et influencent leur développement et leur organisation à l’intérieur de l’organisme. La division cellulaire, aussi, obéit aux lois de la physique !

S&V 1150 - mécanique de la vie

  • Les nouveaux mystères de l’ADN – S&V n°1145 – 2013 – Depuis la découverte de la structure de l’ADN, en 1953, les biologistes ne cessent de s’étonner de la sophistication de cette minuscule machinerie qui contient toutes les informations pour faire fonctionner un organisme vivant. C’est un véritable langage, dont les paroles sont des protéines, qui est loin d’avoir été parfaitement déchiffré.

1145bis

  • Virus : la fin de l’homme ? – S&V n°934. Le « péril viral » est annoncé pour le troisième millénaire. Aux nombreux virus déjà connus s’ajoute en effet la menace d’une multitude d’autres…

S&V 934 virus

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