Ils ont fabriqué un trou de ver… magnétique !

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Ce "trou de ver" magnétique relie magnétiquement deux parties de l'espace qui ne se touchent pas ! - Ph. Jordi Prat-Camps / Universitat Autònoma de Barcelona

Ce “trou de ver” magnétique relie magnétiquement deux parties de l’espace qui ne se touchent pas ! En rouge, les lignes de champ magnétique qui semblent rentrer d’un côté et sortir de l’autre. – Ph. Jordi Prat-Camps / Universitat Autònoma de Barcelona

Les fans de Star Trek ou d’Interstellar connaissent bien ces étranges objets astrophysiques : les trous de ver relient entre eux deux points éloignés de l’Univers, à la faveur des plis de l’espace-temps, comme le prévoit la relativité générale théorisée par Albert Einstein. Qu’on emprunte un trou de ver, et on se retrouverait (théoriquement) dans un autre endroit et à une autre époque ! Dépassant ainsi, de fait, la vitesse de la lumière, limite infranchissable d’après la même théorie.

Objet mythique en astrophysique, un trou de ver est un raccourci spatio-temporel

Voilà des décennies que les physiciens donnent la chasse à ces formations si particulières, depuis qu’elles ont été décrites par Einstein et Rosen en 1936 (qui les appelaient “ponts”), puis par John Wheeler (qui baptisa les “trous de ver”, wormholes en anglais) à la fin des années 50. Une recherche probablement vaine, si l’on en croit certains scientifiques qui pensent qu’ils n’existent qu’à l’échelle infiniment petite ! Les trous de ver ne dépasseraient pas les 10^-43 centimètre et ne persisteraient pas plus de 10^-35 seconde (deux limites imposées par les “constantes de Planck”, en dessous desquelles les lois de la physique nous échappent).

Grâce aux courbures de l'espace-temps, les trous de ver relient deux régions de l'espace-temps très éloignées (dans l'espace et dans le temps). - S&V n°859.

Grâce aux courbures de l’espace-temps, les trous de ver relient deux régions de l’espace-temps très éloignées (dans l’espace et dans le temps). – S&V n°859.

Autre difficulté, les trous de ver astrophysiques sont des trous gravitationnels : basés sur la force gravitationnelle, il seraient impossibles à réaliser sur Terre car ils demanderaient d’appliquer des énergies gravitationnelles d’une intensité impensable.

Une sphère de métamatériaux forme le trou de ver magnétique

C’est ainsi que Jordi Prat-Camps et ses collègues de l’université autonome de Barcelone ont décidé d’emprunter un autre chemin, en essayant de reproduire des trous de vers non pas gravitationnels, mais magnétiques. Ils ont, pour ce faire, manipulé le champ électromagnétique à l’aide d’une sphère de leur conception, composée de plusieurs couches de métaux et de supraconducteurs, afin de faire disparaître le champ magnétique à l’intérieur de celle-ci.

Les résultats, décrits dans la revue Scientific Reports, furent probants : d’un côté de la sphère, un champ magnétique est détectable, qui s’interrompt et réapparaît de l’autre côté ! Entre les deux, il est indétectable… comme s’il sautait d’un point à l’autre.

La sphère de métamatériaux conçue par Jordi Prat-Camps et ses collègues permet de transmettre le champ magnétique d'une extrémité à l'autre, en laissant un "vide" entre les deux.  - Ph. Jord Prat-Camps / Universitat Autonoma de Barcelona

La sphère de métamatériaux conçue par Jordi Prat-Camps et ses collègues permet de transmettre le champ magnétique d’une extrémité à l’autre, en laissant un “vide” entre les deux. Tout le long de la sphère, aucun champ magnétique n’est en effet détectable. – Ph. Jord Prat-Camps / Universitat Autònoma de Barcelona

La sphère (a) formant le trou de ver est composée de coques concentriques : une métasurface extérieure, composée de plaques ferromagnétiques (b), une coque supraconductrice intérieure faite de pièces conductrices revêtues (c), et un conduit magnétique fabriqué en feuille mince ferromagnétique enroulée en spirale (d). Comme on le voit dans le schéma complet (e), des couches en plastique (en vert et en rouge) supportent ces différents éléments à l'aide d'une colle. - Ph. Jordi Prat-Camps / Universitat Autònoma de Barcelona

La sphère (a) formant le trou de ver est composée de coques concentriques : une métasurface extérieure, composée de plaques ferromagnétiques (b), une coque supraconductrice intérieure faite de pièces conductrices revêtues (c), et un conduit magnétique fabriqué en feuille mince ferromagnétique enroulée en spirale (d). Comme on le voit dans le schéma complet (e), des couches en plastique (en vert et en rouge) supportent ces différents éléments à l’aide d’une colle. – Ph. Jordi Prat-Camps / Universitat Autònoma de Barcelona

C’est la première démonstration que la topologie de l’espace peut être changée, en reliant magnétiquement entre-elles deux zones qui ne sont pas en contact direct.

Voyager dans le temps reste un rêve inaccessible

Mais attention, pas question de croire qu’une telle avancée pourrait permettre un jour les voyages dans le temps ! Ceux-ci appartiennent toujours au domaine du rêve : revenir en arrière dans le temps ou aller dans le futur contrediraient le principe de cause à effet, ce qui est scientifiquement impossible. La théorie n’interdit pas qu’on puisse éventuellement emprunter un trou de ver… mais le voyage serait sans retour.

Si on veut lui trouver des retombées pratiques concrètes, la sphère – trou de ver pourrait avoir des applications notamment en médecine diagnostique. Elle pourrait servir, comme l’envisagent ses concepteurs, à suspendre le champ magnétique dans certaines parties d’un scanner à IRM (pour le confort du patient) ou bien à réaliser des IRM de plusieurs parties du corps à la fois.

—Fiorenza Gracci

 

> Lire aussi dans les Grandes Archives de S&V :

S&V 1161 - au dela du reel

  • Voyager dans le temps, le premier pas — S&V n°950, 1996. En mettant en évidence par des expériences l’existence de l’énergie négative et de l’”effet Casimir”, les chercheurs ajoutent de nouveaux éléments théoriques aux passages spatio-temporels.

S&V 950 - voyage temps

  • Le voyage dans le temps est-il possible ? — S&V n°859, 1989. Théoriquement, à travers un trou de ver ! En pratique, les astrophysiciens commencent à cerner les conditions favorables à la formation de ces mythiques objets.

S&V 859 - couv

 

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